Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.2.djvu/263

Cette page n’a pas encore été corrigée
1825
1826
EXPÉRIENCE RELIGIEUSE


du moins à ce minimum d’amour qui exclut entre deux personnes l’opposition de volonté en matière grave. Jusqu’à ce que cette habitude soit ancrée dans l’âme, on pourra donc assister à une série de fautes mortelles, suivies de repentir : c’est une amitié intermittente. Les émotions propres à ce stade répondent à ce type de relations.

b) Dans la voie itliiminative, le désaccord des appétits entre Dieu et la créature subsiste, et de ce chef des luttes intimes, analogues à celle de la période précédente, sont à prévoir ; mais la volonté, maîtresse d’elle-même, vise à éviter ce qui déplairait à Dieu, fûtce en matière légère. C’est une amitié jusqu’à la délicatesse. On l’a dénommée « illuminative » , en raison des connaissances toutes spéciales, spéculatives et pratiques, que procure, ici comme ailleurs, ce progrès d’intimité.

c) La voie iinilive suppose l’uniformité de goûts et de tendances pleinement établie. Les œuvres, dues jusque-là à l’elïort, semblent dériver d’une pente naturelle ; aux émotions de deux volontés qui se cherchent succèdent celles de deux amours qui, s’étant trouvés, jouissent l’un de l’autre.

3. Expériences propres à chaque siade.

a) La voie

purgative, au sens large du mot, commence, dès que l’âme a pris conscience du devoir religieux et s’évertue à le remplir, cf. Suarez, De oraiione, 1. II, c. xi, n. 3 : époque de lutte, décrite à l’envi par les psychologues et les ascètes. Cf. S. François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, 1. L c. xi. Œuvres, Annecy, t. iv, p. 62 sq. ; W. James, L’expérience religieuse, 2e édit., part. I, c. VI, la volonté partagée, p. 139 sq.

L’impression de passivité qui accompagne tout mouvement de l’appétit, la répugnance que l’amourpropre éprouve à se reconnaître coinme le principe des tendances mauvaises, portent facilement à attribuer à l’action de Dieu ou des démons ce <^u’on regarde comme « une tentation » . Saint Jacques, i, 13, réagissait déjà contre l’exagération. Pour le bien, comme pour le mal, la seule présence d’objets attrayants et de facultés sensibles suffît souvent à expliquer ces mouvements indélibérés. Cf. A. Gagliardi, De discrelione spirituum regulæ explanatse, Naples, 1851, p. 9, 22, 36.

Cette réserve faite, il est juste d’observer que l’intervention des anges dans notre vie morale est fréquente, l’action immanente de Dieu incessante. Dans le cours ordinaire des choses, celle-ci ne se substitue pas aux causes secondes, mais elle règle et ordonne leur jeu. Voir col. 1821. D’une part, elle accentue tout ce qui fait sentir le besoin du divin : Patiebar in cis cupiditatibus anmrissimas difficultates, te propiiio lanto magis, quanlo minus sincbas mihi dulcescere quod non eras lii, S. Augustin, Confess., 1. VI, c. vi, n. 9, P. L., t. xxxii, col. 723 ; fiebam miserior et lu propinquior, 1. VI, c. xvi, n. 26, col. 732 ; 1. VII, c. viii, n. 12, col. 740. D’autre part, elle signale par des attraits plus ou moins vifs tout ce qui est apte à le satisfaire. Commentant cette parole du Christ : Nemo potest venire ad me, nisi Pater Iraxerit eum, Joa., vi, 44, saint Augustin en appelle à l’expérience, da amanlem et sentit quod dico, et explique heureusement ces invites secrètes : parum est voluntate ; cliam voluptate Iraheris. In Joa., tr. XXVI, c. vi, n. 4, t. xxxv, col. 1608. Ce sont là, au sens large du mot, des inspirations.

L’ascèse catholique s’est appliquée à démêler les signes qui permettraient, au moins avec prudence, de les discerner. Voir Discernement des esprits, t. iii, col. 1375 sq.

Le conflit sepoursuit jusqu’aux dernièrescrises qui précèdent la conversion, prenant dans le catholicisme, voir col. 1810, le caractère très net d’une délibération morale. S. Augustin, Confess., 1. VIII, c. xi, P. L., t. xxxii, col. 760 sq. ; S. Bernard, De convcrsione,

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

c. VI, P. L., t. CLxxxii, col. 839 sq. ; c. xi, n. 22 sq., col. 846. Ce n’est pas à dire que tout, même chez un catholique, se décide par la raison seule. Souvent, comme dans le cas d’Augustin, loc. cit., c. xi, n. 29 sq., col. 762 sq., lorsque le courage fait défaut, non la lumière, la volonté est excitée, réconfortée par quelque intervention spéciale. Parfois, lorsque la passion, comme dans saint Paul, I Tim., i, 13, est si fougueuse et l’erreur si complète, qu’il est devenu comme impossible à cet aveugle de rejoindre le droit chemin, il semble qu’un coup de providence vienne violenter l’âme, la transporter dans une autre perspective et l’obliger à voir cette direction qu’elle s’obstinait à fuir. C’est « son chemin de Damas » . Si elle perçoit à cette heure toute la vérité et y adhère librement, la conversion date de cet instant, Act., xxii, 10 ; au contraire, si la commotion est purement émotionnelle, sans illumination, ce n’est qu’un avertissement divin : la conversion n’est accomplie qu’à l’heure où le changement devient réfléchi et voulu. La critique des motifs est indispensable à la rationabilité comme à la stabilité de la conversion et de la foi.

Si prépondérant que puisse être le rôle du subconscient dans des conversions où « l’abandon domine, » comme dans le méthodisme, on voit quelle part très accessoire lui revient dans celles qui répondent au type catholique. Au surplus, il est piquant d’observer comment, dans une petite note, The varieties of religious expérience, p. 236 (insérée dans le texte, 2^ éditfranc. , p. 200), W. James est obligé d’avouer que son explication par le subliminal pourrait bien ne pas rendre raison de tous les cas.

Que l’âme ait passé ou non par une crise de ce genre, elle ressent des émotions analogues à celles que nous venons d’esquisser, tant qu’elle reste < partagée » entre la vie proprement religieuse et ces attitudes qui en sont ou la négation ou la déviation : formalisme d’une pratique toute extérieure, impatience d’une règle subie par crainte des sanctions qui l’appuient, duplicité d’une conduite qui, à la fois ou tour à tour, pactise avec le bien et le mal. L’idée religieuse, n’étant pas aimée, n’est pas goûtée : c’est plutôt un troublefête, dont l’obsession ne permet pas de se compenser pleinement avec des satisfactions plus vulgaires.

Certaines natures lâches ou perverses peuvent s’endurcir à ces impressions : la religion véritable étant absente de leur vie, rien en elle ne nous intéresse.

Des âmes faibles les éprouvent, sans être assez basses pour se fixer dans le mal, ni assez énergiques pour se maintenir constamment dans le devoir : leur bonne volonté laisse possibles toutes les émotions de la sincérité. A cette classe appartient la grande masse des croyants. Le réconfort qu’elles sentent dans leurs périodes de générosité leur fait apprécier les réalités invisibles ; la tension habituelle, sinon vigoureuse, de leur intelligence vers les choses de la religion les leur fait pénétrer un peu mieux ; avec le temps, l’habitude rendant de moins en moins présents à leur pensée les motifs intellectuels de leur foi, tandis que croît de jour en jour la certitude expérimentale de sa valeur, il semblera aisément à leurs analyses superficielles que les émotions religieuses sont la base réelle et légitime de leur croyance et l’essentiel de la religion.

b) Voie illuminative. — La disposition différente de la volonté, col. 1825, dans la voie illuminative, modifie cet état de choses.

A chaque pas qu’on y fait — c’est l’explication de sa difficulté et de ses charmes — l’âme doit s’arracher aux joies connues, mais dangereuses, pour se jeter comme dans un monde nouveau, qu’elle sait meilleur par la raison et par la foi, mais non par expérience personnelle : c’est « un saut dans l’inconnu. » Ainsi le célibat et l’austérité d’Ambroise étaient-ils une énigme

V. - 58