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EXPERIENCE RELIGIEUSE

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I)ropres forces. Dieu, au plus intime d’elle-même, la .sUinule et la dirige. Saint Paul en donne la raison, en soulignant ce point de contact entre le christianisme et la philosophie profane : in ipso enim vivimiis et movemuT et sumus. Act., xvii, 28. Les docteurs de l'Église ne pouvaient manquer d’accentuer cette importante vérité. Ils l’ont fait, au double point de vue statique et dynamique, avec une profondeur de pensée trop méconnue. Voir Création, t. iii, col. 2087, 2091 ; Conservation, Concours, Immanence.

Ce n’est donc passur /e/a(7 de l’immanence, mais sur son mode, que le désaccord peut exister entre catholiques et acatholiques. L’encyclique Pascendi le rappelait expressément : » Les uns la comprennent en ce sens que Dieu est plus présent à l’homme que l’homme ne l’est à lui-même ; ce qui manifestement, à charge de le bien entendre, est irréprochable. D’autres la mettent en ceci que l’action de Dieu ne fait qu’un avec l’action de la nature, comme cause première et cause seconde, ce qui supprime eu fait l’ordre surnaturel. D’autres enfin l’expliquent de telle sorte qu’ilsdonnent lieu de soupçonner un sens panthéiste ; c’est d’ailleurs ce qui cadre le mieux avec le reste de leurs doctrines. » Denzinger-Bannwart, Enchiiidion, n. 2087.

En insistant sur la compénétration du fini par l’Infini, oublier l’infinie distance qui les sépare, non quant au lieu, mais quant à l'être, Denzinger-Bannwart, n. 1782 (1631), c’est, logiquement, en supprimant la distinction des deux termes, ruiner le fondement de la religion. Cet abus évité, l'Église maintient plus que toute autre école l’action intime de Dieu dans les âmes par une présence immédiate. A un double litre, comme cause première, et comme auteur de l’ordre surnaturel, il imprègne et dirige toute l’activité de la créature.

Le plus habituellement son intervention ne se fait pas sentir, parce qu’il n’a pas à entrer dans l'âme — il est toujours en elle — et parce qu’il a garde de ne pas supprimer la liberté. Ses premières sollicitations, disent les théologiens, se mêlent aux attraits indélibérés, d’abord à peine perçus, qui précèdent les délibérations explicites, et dont nul ne peut dire souvent quel strict enchaînement d’idées les a provoqués. A cet égard, et du point de vue psychologique, il est d’ordinaire impossible de discerner ses suggestions de celles que des incidents multiples font monter de la subconscience. Mais borner là son rôle est de tous points arbitraire.

Dans l’hypothèse panthéiste, il est vrai, on ne peut guère concevoir comme relation que la transmission, par le seuil de la conscience contigu à la substance divine, des vibrations affaiblies (ou des pensées) qui l’agitent. Mais on ne peut refuser à un Dieu personnel d’ordonner son action à un but spécial et précis, d’agir nettement et de parler dans la conscience claire, aussi bien que sur ses bords extrêmes. Ses moyens sont multiples : il peut, mêlant son action à celle des causes secondes.modifier seulement leur énergie, augmentant, par exemple, de manière singulière l’illuminatiou ou l'émotion que d’ordinaire elles provoquent, ou même en introduisant, sans connexion avec les états de conscience antécédents, des états nouveaux propres à modifier le cours des pensées ou des désirs : ces plusvalues providentielles et ces motions sans cause, précisément en raison de leur caractère anormal, pourront être reconnues avec une probabilité plus ou moins grande. Suarez, De religione Socielalis Jcsu, 1. IX, c. v, n. 39 sq. ; Bona, Traité du discernement des esprits, 1. VI, §3, n. 14 ; 1. VII, § 1. n. 2. Que par ailleurs elles ne détruisent pas la liberté, il est aisé de s’en rendre compte ; c’est que, avant toute critique rationnelle, elles n’ont rien de plus singulier que les successions souvent si imprévues, si déconcertantes, de nos idées

ou de nos affections ; même après critique, comme nous ne voyons strictement ni Dieu, ni son action, elles ne sont d’ordinaire intelligibles que par la foi ; l'âme garde donc la faculté ou de les tenir pour divines, en s’appuyant sur le dogme, ou de les regarder comme naturelles, en invoquant le mystère de la vie psychique.

En plus de ces illuminations et motions, Pères de l'Église et scolastiques ont admis une action divine ordonnée de manière spéciale au sentiment. Elle a pour but immédiat, non de faire comprendre, mais de faire goûter les réalités religieuses : c’est le don de sagesse.

4. Le don de sagesse.

A vrai dire, certains auteurs

insistent sur la connaissance que ces jouissances présupposent ou produisent, pour rapprocher le don de sagesse du don d’intelligence. Voir Pierre Lombard, Sent., I. III, dist. XXXV ; S. Thomas, Sum. iheoL, 1=" II » , q. Lxviii, a. 4 ; II' II"-, q. xlv, a. 1, ad 2>"" ; cf. Jean de Saint-Thomas, Cursus IheoL, In 7/am // » , disp. XVIII, a. 4. D’autres appuient sur le goût expérimental qui leur est propre, pour l’eu distinguer plus nettement : El sic [sapientia]nomin(d cognitionem Dei expérimentale m et Iwe modo est unum de septem donis Spirilus Sancli, cujus aclus consislil in deguslando divinam suavikdem. S. Bonaventure, In IV Sent., 1. III, dist. XXXV, q. i ; cf. q. m. Opéra, Quaracchi, t. iii, p. 774, 775, 778 ; dist. XXXIV, a. 2, q. ii, ad 2°"i, ibid., p. 748. C’est l’opinion qui semble prédominante et préférable. Cf. Suarez, De gratia, 1. II,

c. XVIII.

On peut le concevoir encore comme un apport quasi miraculeux de jouissance en des actes qui par eux-mêmes ne l’appellent pas, ou comme l'épanouissement, connaturel en un sens, d’actes posés sous la guidance spéciale de l’Esprit-Saint. Cette interprétation semble plus conforme à la psychologie et bien appuyée sur la tradition.

En effet, quand une vie déraisonnable a altéré, avec la ressemblance morale, la similitude d’appétits qui le portait vers tout ce qui est vérité, pureté et justice, Phil., IV, 8, l’homme ne peut éprouver à l'égard des préceptes de la religion naturelle, et plus encore à l'égard des prescriptions d’une religion positive, ordonnées à réformer ces abus, qu’aversion et dégoût. Cette haine est instinctive, et la souffrance qui l’accompagne inévitable, col. 1818. Un phénomène inverse se produit, tlans le cas contraire : ubi antem amor est, labor non est, sed sapor. El forte sapienlia a sapore denominatur, quod virtuti accedens quoddam veluti condimentum, sapidam reddal, quæ per se insulsa quodam modo… sentiebatur. S. Bernard, In Cantic, serm. lxxxv, n. 8, P. L., t. CLXxxiii, col. 1191. Si le plaisir naît ainsi de l’ordre parfait, il est inutile d’y prétendre tant que les actes bons sont extorqués pour ainsi dire par le seul commandement de la raison, par occasion ou par contrainte extérieure. Ibid., n. 9, col. 1192.

Il ne serait pas moins superficiel de borner les effets du don de sagesse à des émotions d’ordre sensible. Nul ne fera difficulté d’admettre qu’il peut exister, dans le tréfonds de l'âme, une satisfaction intense capable de compenser les souffrances et les dégoûts qui en émeuvent la périphérie. lî en va de même de toute passion vive. A plus forte raison, en peut-il être ainsi, quand l’union des volontés entre l’aimant et l’aimi' s’est établie par une épuration progressive des passions, quand elle aboutit à faire apprécier des réalités supérieures, idées et beautés de l’ordre spirituel, quand, en réglant de manière de plus en plus stricte l’activité volontaire sur l’idéal moral auquel i orte la collaboration intérieure de Dieu, elle permet, pour ainsi dire, de lui à l'âme, un écoulement proportionné de cette plénitude de bien-être que doit être l’Infini.