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EXPÉRIENCE RELIGIEUSE


normal, l’action de Dieu, soit qu’elle récompense, soit qu’elle châtie, soit qu’elle éprouve, doit viser à le produire ; sa présence ou son absence doit expliquer les différences et les vicissitudes de la vie religieuse. La constatation précédente est donc grosse des plus graves conséquences.

Ce commerce d’amitié entre Dieu et l’homme naît et s’entretient par les facteurs que nous allons déterminer.

Fadeurs psychologiques de la vie religieuse.


Avec prédilection les pseudo-mystiques de tous les temps et, de nos jours, les théoriciens de l’expérience religieuse insistent sur l’innnanence divine : présent au fond de toutes les consciences, Dieu provoque luimême et dirige le mouvement qui les amène vers lui.

A cette thèse est venue s’ajouter récemment celle de Mjers, vulgarisée par V. James, sur le rôle de la subconscience. Les bords extrêmes de la conscience, d’après James, seraient en quelque sorte continus avec

« le moi plus grand » ou les « moi » supérieurs, d’où

découleraient dans le fidèle les expériences de salut. La théorie prend une teinte panthéiste. A pluralistic universe, p. 307 ; L’expérience religieuse, 2° édit., p. 398-405.

M. Bois, protestant positif, l’adapte à ses vues théistes : il essaie de montrer que la région subliminale est naturellement indiquée comme terrain de communication entre Dieu et l’homme, des manifestations plus nettes de l’action divine devant périmer le jeu de la liberté. La valeur de l’expérience religieuse, c. v, p. 104-138.

Une accommodation analogue, où l’on souhaiterait parfois de plus expresses réserves, a été tentée, du point de vue catholique, par M. de Hiigel, The mystical element of religion, t. ii, p. 265 sq., 338 sq.

Ces théories ne sont pas sans valeur.

Élaborée surtout en vue d’expliquer les crises religieuses des sectes américaines, il serait surprenant que la thèse de la subconscience n’eût pas réussi à éclairer leur mécanisme psychologique et, du même coup, nombre de phénomènes émotionnels ou nerveux, purement naturels, qui peuvent se rencontrer d’ailleurs avec d’autres phénomènes pleinement irréductibles au même tj’pe. Omettant ce qui serait en ce genre détente nerveuse ou synthèse subite d’aperceptions latentes, nous étudierons seulement ce qui relève de principes plus relevés et de causes plus profondes.

L’immanence divine elle-même ne répond pas adéquatement au problème. Sous les réserves que nous indiquerons bientôt, col. 1821, elle constitue une indiscutable vérité, mais, si l’on écarte la solution panthéiste, il reste à expliquer la raison dernière du mouvement d’affection qui porte l’un vers l’autre l'âme et Dieu. S’ils sont même chose, l’identité d’appétits se comprend — mais que de contradictions le système entrame ! S’ils sont distincts, pourquoi Dieu vient-il travailler l'âme, et pourquoi dans l'âme cetincocrcible appel du divin ?

La théologie catholique, ou plutôt, pour une large I)art, la philosophie traditionnelle, présente sur le sujet cinq thèses principales.

1. Siinililude enlitalive (i-jyyi'/Eix). — Mise en g irde contre le panthéisme par le dogme de la création, l'Église trouvait en même temps, à la première page de la (ienèse, !, 26, la solution qui lui sudisail : l’homme est créé à l’image de Dieu. Il existe donc entre créature et créateur une parenté réelle, fondée sur une analogie de nature.

Xe pouvant développer cette doctrine dans toute son ampleur, en montrant comment toute création est nécessairement pnrticipalion, parce qu’aucun être n’est possible que par imitalion entitative de celui qui seul, en rigueur, csl, puisque seul il se suffit pour exis ter, voir Analogie, 1. 1, col. 114C sq. ; Création, t. iii, col. 2087, nous nous contenterons d’insister sur un seul trait de ressemblance : ce qui fait l’honmic, à un titre spécial, « image de Dieu » , c’est l’intelligence.

Dans la mesure où ils participaient au Verbe divin (loyoc mztpii.'XTiv.'jç), dit saint Justin, chaque philosophe s’est approché de la vérité, Sià xb irj-iycvàc opciiv. Apol., II, n. 13, P. G., t. VI, col. 465. Ex ipsa rationc ac prudenlia, écrit Lactance, intclliriitur esse quasdani in liomine ac Dca simililudo… De là procède la tendance religieuse, caractéristique de l’homme : id affcctare nos… quod nobis familiare, quod proximum sil futurum… ipsa cogenle natura, senlicns vcl unde orla sil, vel quo rcuersura. Divin, instil., 1. "VIII. c. ix, P. L., t. VI, col. 765, 766. Saint Augustin, qui combattit toutes les exagérations hérétiques, Contra Forlunalum, 1. I, n. 11, P. L., t. xlii, col. 116, 117 ; De actis cum Felice manichœo, 1. II, c. xix, col. 549 ; De Gen. ad litt., 1. VII, c. ii, n. 3, t. xxxiv, col. 357 ; c. XI, n. 17, col. 3C1 ; c. xxviii, n. 43, col. 372…, nec cujus porlio, sed eu jus conditio est. De civilate Dei, . VIT, c. V, t. XLi, col. 199, a insisté plus que d’autres sur cette similitude entre l'âme et Dieu par la raison. De Genesi, liber imper jectus, c. xvi, n. 54 sq., t. xxxiv, col. 241 ; n. 60, col. 243 ; De Genesi ad lilleram, 1. III, c. XX, n. 30 sq., col. 292 sq. On peut voir la même doctrine condensée dans ces quelques mots de saint Thomas : non enim esset in natura alicujus quod amaret Deum, nisi ex co quod unumquodque dependet a bono quod est Deus. Sum. theol., 1 q. lx, a. 5, ad 2°'" ; II' II » , q. XXVI, a. 13, ad 3°"'.

Il suffira, pour justifier ces vues, d’attirer l’attention du lecteur sur l’intellectualité de l'âme. Nous concevons cette perfection surtout de manière négative, par exclusion de toute composition (quantitative) : peu importe. Nous entrevoyons déjà comment elle reproduit, mieux que toute autre substance, la simplicité (même qualitative) de l'être divin : il y a donc entre les deux termes similitude entitative ou ontologique (ijyyevEta, cognatio cum Deo). Elle entraîne une similitude d’appétits.

En effet, une substance qui n’agit pas par application de quantité à quantité est apte à percevoir les ensembles, les rapports, les notions simples ; de là découlent toutes ses propriétés : aptitude à connaître l’Infini et tendance nécessaire vers ce terme.

Ce que nous voudrions accentuer dans cette esquisse, c’est le caractère intuitionncl de cette connaissance et le caractère spontané de cette recherche : réduite à la perception de certaines notions premières et de certains principes, à plus d’un égard, ni la déduction, ni la liberté n’y ont de part ; c’est comme une expérience.

Remontons aux origines de la connaissance, et pour éviter tout esprit de système, considérons non telle ligne exclusive, comme la moralité, mais tous les aspects immédiats de l'être : vérité, beauté, bonté, moralité.

Chacun concédera le fait pour la perception du vrai. L'évidence qui l’impose prend précisément ce caractère de paraître, au point d’arrivée, moins une déduction, qu’une expérience : on voit et l’on voit avec tant de force qu’on ne peut pas plus douter de cette intuition que de ces données immédiates impliquées dans l'évidence physique la plus rudimentaire. Certains théoriciens ont voulu la découper en trois vérités primitives : aptitude à connaître, principe de contradiction, existence du moi. En réalité, il n’y a là que le triple aspect d’un fait de conscience simple en quelque manière : aucune de ces vérités n’est connue explicitement ; chacune est sentie dans la nécessité physique, pour le sujet, de s’atteindre dans et par la représentatioi de tel objet : l’ordre logique et l’ordre ontolo