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EXPÉRIENCE RELIGIEUSE

1802

3. Ritschl.

0 : i sait la distinction qu’ils établissent entre les jugements d’existence, Se(nsuWc(7e, et les jugements de valeur, Werturleile, les uns concernant les choses telles qu’elles sont, les autres telles qu’elles nous affectent, cliaque classe demeurant pleinement hétérogène à l’autre. La religion est à ce titre entièrement dégagée de la philosophie. On la libère de l’histoire, tout en invoquant avec insistance les documents seripturaires, en distinguant le fondement et le conlenn de la foi : le fondement, c’est la personne du Christ ; le contenu, c’est le jugement de valeur que l’esprit formule à son sujet ; et celui-ci n’a rien à voir avec le terre à terre de la critique historique. Les Évangiles consignent les jugements de valeur et les expériences de la première génération chrétienne : il faut les vénérer, les lire même dans la communauté des fidèles qui seule y retrouve le vrai sens de la foi, mais en se gardant d’un littéralisme qui supposerait aux mots une portée métaphysique, et à la mentalité des premiers chrétiens l’aptitude à s’exprimer en une langue qui valût pour tous les temps.

Cette distinction du contenu et du fondement de la foi a provoqué les plus vives controverses. Qu’est-ce que la vérité historique, si l’on sépare des faits l’interprétation qu’ils comportent ? Qu’est-ce qu’un fondement de la foi qui a besoin d'être interprété par elle ?

Des orthodoxes comme E. Cremer et M. Ka ?hler, des ritschliens comme Reischle et Th. Hæring ont protesté, en affamant la nécessité d’un lien ferme avec l’iùstoire, quitte à réduire, comme A. Harnack, à une expérience pure, dans la conscience de Jésus, l’apport de la révélation nouvelle.

On trouvera le résumé de ces débats dans Scholz, Der geyemvarli ge Sland der Forschung ûber den dogmalischen Christiis iiiid den liistorischeii Christiis, dans Theologisclic Htindscluai, 1898, et dans M. Goguel, W. Ilerrmann et le problème religieux acliiel, Paris, 1905, part- II, c. iv, v, p. 189 sq. Voir entre autres E. Cremer, Der Glaube und die Tluilsachen, dans Grvijswalder Sludien, Gutersloh, 1905 ; Uebcr die Enlstehung der christlichen Gewissheil, Gutersloh, 1893 ; 51. Kîehler, Der sogenannle « liistorisclie « Clirisliis und der geseliichllische hiblische Chrixlus, Leipzig, 1892 ; M.ReischleetTh. Hiering.dans Zeitsclirift fiir Théologie und Kirche^ 189 : J, 1897, 1898 ; A. Harnack, Reden und Aufsiilze, 2- édit. Gicsscn, 1906, t. ii, p. 3 sq. Voir Ritschl.

Pendant que les « positifs » s’essaient à déterminer le minimum d’historicité requise, spécialement Reischle et Hfering, loc. cit., 1898, pendant cjue les audaces de l'école libérale provoquent par un dernier excès la Jesusbewegung, pour ou contre l’existence du Christ, des libéraux n’hésitent pas à déclarer que la réalité liistorique du Clirist, voire même la notion d’un Dieu personnel, n’importent pas à leur foi.

Bibliograpliie de la lutte pour l’exislencc du Christ, dans L. Cl. Fillion, Les étapes du raiionctlisme, Paris, [1911], p. 320-350 ; Revue du clergé français, 1910, t. lxiv, p. 420 sq ; 1911, t. Lxvii, p. 162 sq. Sur la volatilisation dogmatique voir, entre autres, E. Doumerge, Les étapes du fidéismc, ! >. 12 sq. ; F. Buisson contre Ch. Wagner, Libre-pensée el protestantisme libéral, Paris, 1903 ; du point de vue catholique, .1. Lcbreton, L’encgclique et la théologie moderniste, dans les Ëtudes, 1907, t. cxiii, p. 497 sq. ; Paris, 1908, et trad. anglaise et italienne.

Par des voies un peu différentes, le symbolo-fidéisme aboutit au même terme.

Le symbolo-fldcisme et le modernisme.

A vrai

dire, ce mouvement est des plus composites. Issu du Icintisme, quant à la critique de l’intellectualisme, de Schleiermacher, quant à la conception affective de la raligion, il doit à Pries et à son disciple de Wette ses thèses propres du pressentiment et du symbole.

C’est par « le pressentiment » que l’homme entre en communication avec les réalités supérieures, sans que le raisonnement ait aucun titre à s’ingérer dans ces

relations. Nous voilà bien proches des jugements de valeur et l’on s'étonnera peu de voir les représentants modernes du symbolo-fidéisme adopter la distinction ritschliennc des deux ordres de connaissance et des deux classes de jugements.

Faire pressentir n’est point révéler : le dogme qui traduit l'émotion religieuse, à aucun titre, ne peut donc avoir une valeur littérale. Son mérite et son rôle sont ceux du symbole : on comprendra la foi du passé en dégageant de ce langage poéticpie les impressions subjectives qu’il a voulu exprimer.

Sans grand mérite d’originalité, comme on le lui a justement fait observer, Lobstein, dans la Theologischc Literalurzeiliing, 3 avril 1897, mais avec un incontestable talent, qui a exercé grande influence sur le modernisme anglais, français et italien, A. Sabatier s’est donné la mission de vulgariser ces idées. « Les vérités de l’ordre religieux et moral se connaissent par un acte subjectif de ce que Pascal nommait le cœur. » Esquisse d’une philosophie de la religion, 9^ édit., Paris, s. d., 1. III, c. iv, § 4, p. 382 ; c. i, § 2, p. 269. « La science n’en peut rien connaître, car ces choses ne sont pas de même ordre. » Ibid.

En son dernier stade, voici les caractéristiques de la certitude religieuse. En les rapprochant des thèses de Lutlier, col. 1787, et de Calvin, col. 1792, il sera aisé de voir s’il y a, sur ce terrain, modification aucune : « C’est le résultat immédiat et pratique de l’expérience interne que [les chrétiens] ont faite et font tous les jours. Ils sentent que leur besoin religieux est entièrement satisfait, que Dieu est entré avec eux et qu’ils sont entrés avec lui en une relation si intime et si heureuse, qu’au-dessus d’elle… non seulement ils n’imaginent rien, mais encore ils ne désirent rien, » 1. II, c. ii, § 1, p. 176. « Cette foi était devenue [en Luther] si vivante, si sûre d’elle-même, …qu’elle ne pouvait accorder ni crédit, ni valeur, ; i aucun témoignage biblique qui paraissait la contredire. » Les religions d’autorité el la religion de l’Esprit, 3e édit., Paris, 1904, 1. II, c. i, §4, p. 275. Ainsi en est-il de plein droit pour tout chrétien. Esquisse, 1. III, c. i, §5, p. 285.

C’est qu’en effet autre est l’expérience primitive, autre la formule symbolique qui prétend la traduire ; autre la piété, autre le dogme. Esquisse, 1. III, c. i, §2, p. 265 sq. ; Les religions d’autorité, 1. III, c. v, § 4, p. 534 sq. Illégitime donc, si elle prétend à une valeur objective, la théologie est recevable comme science des adaptations sociales des formules au sentiment. Ibid., p. 539. Et l’auteur trace le plan d’une théologie qui déroulerait méthodiquement « l'étude et l’explication de l’expérience chrétienne. » Ibid., c. vi, § 4, p. 561 sq.

Dans le même sens, E. IMonégoz, Le fidéiS7ne et son application à l’enseignement chrétien traditionnel, 2e édit., 2 in-8°, Paris, 1909 ; P. Lobstein, Essai d’une introduction à ta dogmatique protestante, Paris, 1896 ; trad. allemande, Fribourg en-Brisgau, 1897, el — étude très tendancieuse — La connaissance religieuse d’après Calvin, dans la Revue de théologie et de philosophie de Lausanne, janvier-avril 1909.

Oii retrouvera les mêmes pensées, ou peu s’en faut, chez les auteurs modernistes, Loisy, L'Évangile cl l'Église, Paris, 1902, p. 66 sq., 173 sq. ; Autour d’un petit livre, Paris, 1903, p. 195 sq. ; G. Tyrrell, Rights and limits of llieologij, dans le Quarterly revieiv, 1905, p. 406 ; Through Scijlla and Charybdis, Londres, 1907, p. 208, 306 sq. Se défendant du sentimentalisme de Schleiermacher, Lex credendi, Londres, 1906, part. I, c. IV, p. 15 sq., 251 sq., Tyrrell n’arrive pas à maintenir aux formules dogmatiques une valeur suffisante de vérité. Voir Theologisme, dans la Revue pratique d’apologétique, 1907, t. iv, p. 499 sq. Tels encore, avec une nuance plus tapageuse, les modernistes italiens. Programma dei modernisti, Rome, 1908, p. 97 sq.