Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.2.djvu/25

Cette page n’a pas encore été corrigée
1349
1350
EUCHARISTIE D’APRÈS LE CONCILE DE TRENTE


dans des questions purement philosophiques ; quels que soient les termes employés, il ne faut les entendre qu'à la lumière de la philosophia perennis, de cette philosophie très simple et rudimentaire dont on ne saurait se passer dans l’exposé des dogmes pas plus que dans aucune connaissance rationnelle, qui n’exige aucune étude pour la comprendre, qui reste à part de tous les systèmes, ou plutôt qui doit être sousjacente à tous les systèmes, puisque, sans elle, les systèmes ne seraient qu’un défi au bon sens. Cf. Gardeil. Le donné révélé et la théologie, Paris, 1910, p. 109. C’est ce que remarquait fort justement, à propos d’un autre dogme, M. Lebreton dans une récente discussion avec le P. Tyrrell : « Toutes ces objections naissent de la même méprise initiale ; on suppose que nous interprétons le dogme en fonction d’un système philosophique déterminé, alexandrin, scolastique ou moderne… Cette position n’est point la nôtre ; le dogme n’est point formulé en langage technique par des savants pour leur usage exclusif ; il est écrit en langue vulgaire par des chrétiens pour l’humanité tout entière. » Revue pratique d’apologétique, 15 juillet 1907, t. IV, p. 529. Voir p. 533. Toute philosophie est donc conciliable avec le dogme si elle sauvegarde la distinction, sans laquelle le dogme serait inacceptable, entre les apparences et la réalité, entre les objets sensibles et les objets intelligibles, entre les phénomènes et les noumènes. Cf. Ed. Le Roy, Dogme et eritique, Paris, 1907, p. 261-262 ; Mgr Batifîol, dans la Revue du clergé français, du l^^^ septembre 1908, p. 530532.

Or trois termes résument le dogme de la transsubstantiation, tous trois choisis tels qu’ils demeurent audessus des systèmes et des théories ; c’est un changement, le changement d’une substance en une autre substance, un chang-ment qui laisse subsister les apparences primitives.

C’est un changement ; mais, parce que le concile place lui-même ce changement dans un ordre à part, mirabilem et singularem conuersionem, il ne nous oblige pas à mettre sous ce mot autre chose que ce qui constitue essentiellement un changement, à savoir, la succession de deux choses dont l’une prend la place de l’autre.

C’est un changement de substances ; mais, dans ce mot de substance, on ne doit voir que ce que le sens commun y voit, c’est-à-dire ce fond insaisissable de tout que la science n’atteint pas, que l’observation ne découvre pas, que les sens ne perçoivent pas et que cependant la raison nous dit exister en toutes clioses, comme point d’attache et raison dernière des phénomènes et des propriétés ; c’est, en un mot, la réalité en tant qu’elle se distingue des apparences. Cf. Allô, Foi et systèmes, Paris, 1908, p. 174.

C’est un changement qui laisse subsister les apparences ; ce dernier mot se comprend de lui-même ; les apparences sont tout ce qu’on voit, tout ce qu’on observe ou expérimente, tout ce qui tombe sous les sens en quelque manière. Tout cela subsiste, puisque tout se passe pour notre expérience comn^e si la consécration n’avait rien changé.

Les théologiens voudront aller plus loin ; ils sont dans leur rôle. Ils essaieront de se rendre compte de la manière dont les accidents eucharistiques peuvent subsister sans leur substance propre. Ils se demanderont ce que peut être une substance corporelle sans aucun des accidents qui semblent à notre expérience constituer les corps. Ils creuseront le mot de changement et discuteront sur la nature de ce fait miraculeux qui met le corps et le sang de Jésus-Christ à la place du pain et du vin ; de telles discussions se produisirent, dit Sarpi, op. cit., l. IV, n. 13, entre franciscains et dominicains au moment où les théologiens

du concile examinaient les articles sur l’eucharistie, et, pour y couper court, on décida, conformément à la règle générale que s'était imposée le concile, de se servir d’expressions assez vagues pour n’atteindre aucun des deux partis. Ces discussions n’ont pas cessé ; les uns continuent de soutenir que la substance du pain disparaît, chassée qu’elle est par le corps et le sang du Christ, que la consécration produit, amène, producit, adducit, sous les espèces ; d’autres, fidèles à l’opini jn de saint Thomas et serrant de plus près le texte du concile, veulent une véritable transmutation de substances sans annihilation ni production. Le dogme est plus simple et son énoncé reste en dehors des théories qui veulent l’expliquer. On pourrait le traduire ainsi : la consécration semble ne rien changer au pain et au vin ; mais en réalité tout est changé, sauf les apparences ; là où il y avait du pain et du vin la foi nous apprend qu’il n’y a plus ni pain, ni vin ; mais à leur place le corps et le sang de NotreSeigneur Jésus-Christ.

3° Le mode de présence. Présence intégrale de JésusClirist sous chaque espèce et sous chaque parcelle des espèces. — 1. Erreurs. — D’après l’histoire du canon 3 et les discussions qui aboutirent à sa rédaction définitive, il ne vise pas une erreur précise et contemporaine. La même conclusion se dégage d’une étude sur la pensée de ceux que visaient les articles primitifs qui sont devenus ce canon.

a) Luther n’a jamais formulé avec précision sa pensée sur ce point. Les documents officiels qui nous donnent sa doctrine propre ou les corrections que lui faisait subir Mélanchthon nous afilrment sans doute la nécessité de la communion sous les deux espèces, mais ne se basent pas sur le fait que Jésus-Christ ne serait pas intégralement présent sous une seule espèce ; sur ce point, ou Luther ne se prononce pas, ou sa pensée reste flottante. Ainsi, dans la Confession d’Augsbourg, part. II, 1, il fait appel au commandement du Christ qui ordonne de boire son calice, Tittmann, Libri symb., p. 21-22 ; Mélanchthon reproduit et développe le même argument dans son Apologie. Ibid., p. 178-181. La Confession de Witlemberg, 1536, semble plus explicite dans le sens du dogme catholique : « Encore que Jésus-Christ soit distribué tout entier tant dans le pain que dans le vin de l’eucharistie, l’usage des deux parties ne laisse pas de devoir être universel. » Bossuet, Histoire des variations, 1. VIII, 20. Mais les Articles de Small<alde indiquent un recul : « Nous ne pensons pas qu’il faille ne donner (aux communiants) qu’une seule espèce. Nous n’avons pas besoin, en effet, de cette doctrine sophistique, doxosophia ista, qui nous apprend qu’il y a autant sous une espèce que sous les deux. Car, quand même il en serait ainsi, une espèce n’est pas toute l’institution faite, transmise et ordonnée par le Christ. « Tittmann, p. 254.

b) Ceux qui seraient plus directement atteints par ce canon sont les utraquistes contre lesquels le concile voulait affirmer la légitimité de la communion sous une seule espèce. Mais ils ne niaient pas, du moins en général, que le Christ fût tout entier présent sous une espèce ; ils se plaçaient plutôt au double point de vue de l’institution qui semble requérir la double communion pour que le sacrement soit complet, et de la grâce du sacrement qu’ils afiirmaient avec plusieurs docteurs catholiques être plus abondante dans la communion sous les deux espèces. Ce furent, d’ailleurs, les deux seules raisons d’ordre dogmatique qui furent invoquées par ceux qui, au concile, se firent les avocats de la conununion sous les deux espèces, par exemple, par Baumgartner, orateur du duc de Bavière, à la congrégation générale du 27 juin 1562, et, le même jour, par les orateurs-