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EUCHARISTIE D’APRÈS LE CONCILE DE TRENTE


par ces trois adverbes aux trois expressions de l’erreur. Le concile n’a donc voulu par là qu’affirmer davantage la doctrine et rendre impossibles les chicanes ; il a opposé en bloc le dogme à l’hérésie sans vouloir exclure chaque erreur en particulier par une affirmation contraire.

b) La présence du Christ intégral. — C’est un complément du dogme de la présence réelle. Le corps et le sang du Christ ne sont pas sous les espèces à l'état de mort ; le Christ étant, depuis sa résurrection, glorieux et immortel, à jamais vivant dans l’intégrité de ses deux natures et l’unité indivisible de sa personne, il est tout entier là où est une des parties de son être. L’eucharistie contient donc ! e corps, le sang, l'âme de Jésus-Christ, c’est-à-dire toute sa nature humaine ; elle contient aussi sa divinité ; c’est donc la personne entière du Christ, toium Christum, qui est présente sous les espèces consacrées.

c) Le mode de présence. — Le dogme ainsi défini soulève des questions extrêmement difficiles et dont la solution reste un mystère. Le concile était mis en face de ces difficultés, non seulement par les études des théologiens antérieurs, mais d’une façon plus aiguë par les objections de Calvin. Le Christ présent sur la terre n’est-il plus au ciel ? et, dans l’eucharistie même, comment comprendre une présence corporelle qui échappe aux lois ordinaires des corps, présence en plusieurs lieux, présence d’un corps inétendu ? Le concile, après avoir affirmé le fait, esquisse une explication théologique dans ces mots du c. i : « Il n’y a pas contradiction entre ces deux faits que notre Sauveur continue toujours d'être au ciel à la droite de son Père, selon sa manière d'être naturelle, juxta modum existendi naturalem, et que néanmoins il nous soit présent en plusieurs autres lieux par sa substance et d’une manière sacramentelle, sacramentalitcr præscns sua substantia nobis adsit. C’est là une manière d'être que nous ne pouvons qu’imparfaitement exprimer par des mots : mais qu’elle soit possible à Dieu, nous pouvons le comprendre par notre raison éclairée par la foi, et nous devons le croire très fermement. » Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 874.

La présence eucharistique est donc une présence à part, de laquelle nous devons raisonner tout autrement que des présences perceptibles à nos sens. Un corps, dans sa manière naturelle d'être, est présent en un lieu et en un seul par la relation de ses dimensions sensibles avec ce lieu ; c’est de cette manière que le corps du Christ est au ciel d’une présence apparente et localisée et ne peut être ailleurs en même temps. Mais dans l’eucharistie, c’est la présence d’une substance, sua substantia nobis adsit, d’une substance qui, tout en étant un corps vivant et organisé ainsi que nous l’enseigne la foi, est dépouillée de tous ses accidents matériels comme le constatent nos sens, d’une substance qui n’a plus ni extension, ni quantité dimensive propre, qui par elle-même n’a de relation avec aucun lieu et ne se localise que par les espèces sacramentelles, en quelque lieu qu’elles se trouvent. Telle est l’explication que le concile amorce et que les théologiens développent. Qu’elle ne supprime pas le mystère, c’est évident, et les Pères eux-mêmes le proclament, soit en employant, pour la désigner, le mot mystérieux de présence sacramentelle, soit en avouant la faiblesse de l’intelligence humaine pour le comprendre et du langage humain pour l’exprimer, mais du moins, en l’affirmant et en le précisant, elle écarte ces contradictions qui en rendraient la réalisation impossible même à Dieu.

d) Fondements de la foi de l'Église en la présence réelle. — Le concile fait appel à deux preuves : les textes scripturaires et leur interprétation tradition DICT. nK TIIÉOL. CATHOL.

nelle. Les textes scripturaires invoqués sont les récits de l’institution de l’eucharistie ; les dissentiments qui éclatèrent parmi les Pères du concile sur le sens du c. VI de saint Jean ne permirent pas de citer ce passage comme une preuve formelle de la présence réelle. Ces textes, par eux-mêmes, sont clairs et leur sens indiscutable, propriam illam et apertissimam significationem prse se ferunt ; Jésus-Christ a affirmé sans équivoque possible, discrtis ac perspicuis verbis, qu’il donnait à ses disciples son corps et son sang. Mais, si une incertitude pouvait exister, elle serait rendue impossible par la continuité avec laquelle l'Église, colonne et fondement de la vérité, a toujours interprété ces textes comme viiie affirmation de la présence réelle.

2° Le fait productif de la présence réelle. La transsubstantiation. — 1. Les erreurs. — L’art. 3 du projet primitif cite Luther dont il résume ainsi la pensée : l’eucharistie contient le corps et le sang de NotreSeigneur Jésus-Christ en même temps que la substance du pain et du vin ; il n’y a donc pas transsubstantiation, mais union hypostatique de la nature humaine du Christ avec la substance du pain et du vin. Ehses, t. v, p. 869. Le projet de 1551 ajoute cette explication : de sorte qu’il est vrai de dire : ce pain est mon corps, ce vin est mon sang.

C'était donner à la doctrine de Luther une précision qui la défigurait, que de lui attribuer l’idée d’une union hypostatique entre l’humanité du Christ et la substance du pain et du vin ; cette erreur, soutenue au xiie siècle, dit-on, par Rupert de Deutz, Hurter, Nomenctator litcrarius, 3° édit., 1906, t. ii, p. 278, et peut-être, avant lui, par Bérenger, venait d'être ressuscitée par André Osiandre, mais n’avait trouvé faveur ni auprès de Luther, ni auprès de ses disJples. L'évêque deGuadix le fit remarquer dans la congrégation générale du 26 septembre 1551. Theiner, t. i, p. 512 ; Sarpi, op. cit., 1. IV, 11 ; Bossuet, Histoire des variations, I. II, 3. Le texte fut donc modifié, et, dans le projet de canons proposé le l^' octobre, l’erreur de Luther était présentée sous la forme suivante : la substance du pain et du vin demeure avec le corps et le sang de.Jésus-Christ ; le Christ est dans le pain, impanatus. Theiner, t. i, p. 520. Ce dernier mot déplut encore à beaucoup de prélats qui n’y voyaient probablement pas une expression exacte de la pensée de Luther ; on le supprima dans la rédaction définitive.

Si les Pères du concile eurent tant de mal à donner à la doctrine luthérienne une formule adéquate, c’est qu’en elTet, elle manque de netteté et de fixité. Dans cette question, il n’y a qu’un point sur lequel Luther n’ait pas varié : il a toujours rejeté la transsubstantiation. Les Articles de Smalkalde de 1537, part. III, a. 6, nous font connaître les raisons sur lesquelles il s’appuyait : « Nous ne nous occupons pas de la subtilité sophistique de la transsubstantiation, selon laquelle ils s’imaginent que le pain et le vin abandonnent et perdent leur substance et qu’il ne reste que l’apparence et la couleur du pain et non du pain véritable. La sainte Écriture, en effet, laisse à penser que le pain demeure présont, puisque saint Paul le nomme, en disant : le pain que nous rompons, et encore : qu’il mange ainsi de ce pain. » Tittmaiin, Libri symb. Eccl. evang., p. 254.

Mais, lorsqu’il s’agit de remplacer la transsubstantiation par autre chose et dédire avec précision comment il entend la présence du Christ dans l’eucharistie, Luther s’y essaie à peine ; les formules que l’on trouve dans les textes officiels ou quasi officiels composés ou approuvés par lui ne sont que l’affirmation répétée de la présence simultanée des deux substances, celle du corps et du sang du Christ et celle du

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