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ÉVIDENCE


possible de vérifier directement les vérités qu’elle contient, et, par conséquent, d’arriver jamais véritablement à les savoir ; mais nous pouvons très bien contrôler le témoignage qui nous les apporte ; et si notre assentiment est encore un acte de foi, il repose cependant tout entier sur la connaissance que nous avons de la valeur du témoignage. Mais la foi d’autorité, celle de l’enfant qui croit à sa mère ou du chrétien qui croit à Dieu, est toute différente de la foi historique ; le motif sur lequel elle repose n’est plus l'évidence du témoignage, c’est la seule autorité de celui qui parle ; et voilà pourquoi la foi historique, ou plus généralement la foi scientifique, n’est qu’une foi analogique ou improprement dite : la véritable foi est la foi d’autorité. Voir Foi. Cf. S.Thomas, De verilale, q. XIV, a. 1, 2 ; Sum. theol., II-iII » , q. i-v, principalement q. V, a. 2, 3.

IV. ÉviDExcE ET CERTITUDE.

La conuaissancc qui repose sur l'évidence est une connaissance vraie qui nous donne la certitude ; et c’est ce que l’on veut dire quand on dit que l'évidence est le critérium de la vérité ou de la certitude. « Descartes, a-t-on fait souvent remarquer, n’ayant point mis d’enseigne à l’hôtellerie de l'évidence, chacun se croit en droit d’y loger son opinion. » On peut en dire autant de cette formule générale par laquelle les philosophes donnent l'évidence comme étant le critérium de la certitude : c’est une formule qui n’a point d’enseigne, où chacun peut loger son opinion, et dont il n’est, par conséquent, pas tout à fait indispensable d’indiquer brièvement la signification.

1° Il y a une première chose qui est communément admise, ou, si l’on veut, il y a une première sorte d'évidence que tous les philosophes s’accordent à reconnaître comme un signe infaillible de vérité et de certitude : c’est l'évidence intrinsèque, celle que Descartes avait en vue dans la première des quatre règles de sa méthode. « Le premier (précepte), dit-il, était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle, c’est-à-dire d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute. » Discours de la méthode, part. II. La clarté et la distinction des idées marquent entre elles une liaison tellement rigoureuse qu’il est impossible à notre raison, si elle est dégagée de toute influence des sens et de l’imagination, de ne point l’apercevoir. Descartes appelait du nom d’intuition cet acte de la raison qui perçoit directement la vérité.

2° Mais cette évidence absolue est trop rigoureuse pour être donnée comme le critérium exclusif de toutes les certitudes naturelles ; et la vérité n’a pas, en effet, toujours besoin de nous être manifestée d’une façon si claire et si distincte pour que nous puissions en être assurés. Voilà pourquoi, en dehors de l'évidence « où l’on ne doute point, à cause de la liaison qu’on voit entre les idées, » il y a une vraie certitude « où l’on ne saurait douter sans mériter d'être fort blâmé. » Leibniz, Nouveaux essais, 1. IV, xi, § 10. .insi « l’indice de la certitude, ce n’est pas toujours cette liaison nécessaire entre les idées, qui rend le doute absolument et métaphysiquement impossible : là où cette contrainte logique n’existe pas, il est possible de douter ; mais le doute n’est point pour cela permis, légitime, raisonnable. » Ollé-Laprune, op. cit., p. 244. Tel est le cas généralement de toutes les vérités historiques, de toutes les vérités morales, et peut-être aussi de beaucoup de vérités philosophiques qui ne s’imposent pas à notre esprit avec cette évidence irrésistible qui, dans l’ordre mathématique, par exemple,

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

rend impossible toute espèce de doute ; mais si ce n’est pas pour nous une nécessité de reconnaître ces sortes de vérités dès qu’elles se montrent à nous, il serait cependant déraisonnable d’en douter. « Nous sommes certains que Constantinople est dans le monde, que Constantin et Alexandre le Grand et Jules César ont vécu. Il est vrai que quelques paysans des Ardennes en pourraient douter avec justice, faute d’information, mais un homme de lettres et du monde ne le pourrait faire sans un grand dérèglement d’esprit. » Leibniz, toc. cit.

3° La certitude ne s'étend-elle pas plus loin ? Et en dehors des vérités qui reposent plus ou moins directement sur une évidence quelconque, n’y a-t-il point place encore pour une autre sorte de certitude qui, sans se passer de toute espèce d'évidence, ne reposerait cependant d’aucune manière sur l'évidence qu’elle suppose ou qu’elle comporte ?

En premier lieu, les « philosophes » n’admettent point d’autres certitudes cjue celles qui reposent sur l'évidence rationnelle. « Je déclare, en tant que philosophe, écrit Paul Janct, que je ne reconn ais qu’un seul devoir, celui de « n’affirmer comme vrai que ce qui « me paraîtra évidemment être tel, c’est-à-dire que je « verrai si clairement et si distinctement que je ne saurais le révoquer en doute. » Voilà la règle absolue. Descartes l’a posée au début de la philosophie moderne, et c’est par là qu’il l’a créée, constituée… C’est son Évangile. « Principes, Paris, 1897, t. ii, p. 478. Mais quel qu’ait pu être l’effet de sa philosophie, il n’est point douteux que l’intention de Descartes ait été de mettre en dehors de son doute les vérités de la religion ; et on peut croire qu’il les avait prudemment voulu soustraire au premier précepte de sa méthode. C’est Bayle, le premier, qui les a soumises « à la règle matrice et originale, qui est la lumière naturelle ; » il entend, quant à lui, que tout dogme soit « homologué, pour ainsi dire, vérifié et enregistré au parlement suprême de la Raison qui juge en dernier ressort et sans appel de tout ce qui nous est proposé ; » et c’est donc lui qui a véritablement fondé, et posé au début de la philosophie moderne « la liberté de philosopher sur les matières de la religion, « c’est-à-dire plus simplement, la liberté de supprimer les matières de la religion. Il n’y a rien de plus clair, en effet, qu’on détruit les vérités surnaturelles en les ramenant à la lumière de la raison, et il n’y a rien de plus évident, suivant les paroles de Bossuet, qu’en ôtant les feux éternels auxquels elle s’allume, on éteint complètement la foi ; et voilà pourquoi, suivant le philosophisme, la religion révélée ne se réduit qu'à « quelques propositions inintelligibles, et qui, par conséquent, ne peuvent passer pour des vérités par rapport à nous. » Cf. Bayle, Commentaire plxitosophique sur le Compelle intrare ; Voltaire, Dictionnaire philosophique, passim.

En second lieu, les théologiens catholiques croient sans doute à l’existence de vérités ou de certitudes supérieures aux vérités et aux certitudes rationnelles : telle est la condition de toutes les vérités de la foi ; mais quelques-uns d’entre eux ramènent la foi catholique, comme la foi humaine, à l'évidence du témoignage ; et ainsi ils admettent que nous croyons les vérités de la foi parce que nous les voyons dans le témoignage divin. Ils se basent sur cette raison que la foi est une adhésion intellectuelle et raisonnable, et que toute adhésion intellectuelle et raisonnable doitnécessairement reposer soit sur l'évidence directe de la vérité, soit sur l'évidence du témoignage. Mais, comme on le verra à l’art. Foi, la véritable foi peut être une adhésion intellectuelle et raisonnable sans être ramenée à l'évidence du témoignage. Si elle suppose ou comporte une certaine évidence qui est l'évidence de crédibilité, elle ne repose cependant d’aucune ma V. — ôô