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EVIDENCE

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d’évidence : l’évidence intrinsèque et l’évidence extrinsèque. — 1. L’évidence intrinsèque est l’évidence directe de la vérité, c’est-à-dire l’évidence de la vérité considérée en elle-même : elle porte sur le contenu de la proposition. Elle est comme une sorte de lumière qui va, si l’on peut ainsi dire, d’un terme à l’autre de la proposition, à l’intérieur même de celle-ci, et qui éclaire tellement le rapport qu’il y a entre les deux que l’on ne puisse pas douter un seul instant de sa vérité. Evident ia intrinscea est de esse reisecundum se, in quantum scilicet, proposito intelteetui aliquo enuntiato circa rei existentiam vel naturam vcl proprietutes, facit apparere in ipsomet convenientiam et connexionem prœdicati cum subjeeto. Billot, De virtutibus infusis, Rome, 1905, p. 202.

L’évidence intrinsèque peut être immédiate ou médiate. L’évidence médiate est celle des propositions ou des vérités qui ont besoin d’être démontrées et qui ne sont pas, comme on dit, évidentes par elles-mêmes. Mais le raisonnement qui sert à prouver ces sortes de vérités ne peut naturellement pas être reculé à l’infini ; et il faut, au contraire, qu’il procède de propositions fixes, immédiatement évidentes, auxquelles notre connaissance tout entière soit subordonnée. Ces propositions s’appellent les premiers principes : on dit qu’elles sont d’évidence immédiate, parce que non seidement elles ne doivent pas, mais elles ne peuvent même pas être démontrées : « C’est de quoi sera convaincu tout homme qui considérera une de ces propositions auxquelles il donne son consentement dès la première vue sans l’intervention d’aucune preuve : car il trouvera que la raison pourquoi il reçoit toutes ces propositions vient de la convenance ou de la disconvenance que l’esprit voit dans ces idées en les comparant immédiatement entre elles, selon l’afilrmation ou la négation qu’elles emportent dans une telle proposition. » Locke, Essai philosopliique concernant l’entendement humain, trad. Coste, Amsterdam, 1700, p. 757.

2. L’évidence extrinsèque ne porte plus, comme l’évidence intrinsèque, sur le contenu lui-même de l’affirmation ; et elle ne découvre plus, si l’on peut ainsi parler, la vérité intérieure de la proposition ; ce qui rend alors notre adhésion raisonnable, ce n’est plus la liaison intrinsèque du sujet et de l’attribut, puisque, précisément, cette liaison nous échappe ; et ainsi notre certitude repose, non pas sur la vérité elle-même que nous ne pouvons pas atteindre par nos propres forces, mais sur des points d’appui extérieurs à la vérité. Evidentia autem extrinscca dicitur illa quse tota versatur circa quoddam esse cxtrinsecum rei, puta esse atlestatum, esse credibile. Billot, op. cit., p. 203.

L’évidence de crédibilité est une évidence extrinsèque. Voir Crédibilité. L’évidence du témoignage ou évidence de l’attestation, evidentia in attestante ou in testifîcante, doit-elle aussi être considérée comme une véritable évidence extrinsèque ? On a voulu l’assimiler, par exemple, à l’évidence a pos/er/’o// des effets, evidentia quæ est ex cffcctibus ; et on a essayé de démontrer que le témoignage n’était pas plus extrinsèque à la vérité attestée que la cause à l’effet. Mais les effets, sans être précisément du même ordre que la cause, tiennent cependant à elle ; et comme ils ont en elle leur raison d’être et leur principe, on peut dire qu’elle les contient virtuellement. Cum omnis effcctus sit, non quidem jormatiter, sed virtualiter in sua causa, quælibet creatura potest dici quoad omnia quæ habel, virtualiter Deo intrinseca. Gonet, De virtutibus tlieologicis, c. ii, § 6. L’évidence des effets rejaillit en quelque sorte sur la cause dont ils procèdent ; dans la lumière où nous les contemplons, c’est son image à elle et c’est son reflet que nous retrouvons toujours ;

et ainsi, il n’est pas étonnant que la connaissance des effets nous conduise infailliblement à celle de la cause qui les a produits. Mais le rapport du témoignage à la vérité attestée n’est pas le même que celui de la cause h l’effet ; l’effet procède de la cause, il n’existe que par elle, et il tient d’elle tout ce qu’il a ; la vérité attestée, au contraire, ne tient même pas son existence du témoignage qui nous la communique ; et si nous ne la connaissons, quant à nous, que par ce témoignage, elle aurait cependant pu tout aussi bien nous arriver par le moj’en d’un autre, car elle est en elle-même indépendante de chacun d’eux. Ainsi le témoignage est tout à fait extérieur à la vérité attestée ; il ne pourra donc jamais nous faire entrer en elle ; et voilà pourquoi l’évidence du témoignage doit être considérée comme une véritable évidence extrinsèque.

III. LviDExcE, SAVOIR ET FOI. — L’évideuce extrinsèque nous donne, comme l’évidence intrinsèque, la connaissance de l’objet qu’elle caractérise. Si les mots sont pris dans une acception large, dès qu’un objet est atteint par l’esprit, il est connu, et il n’importe guère qu’on l’atteigne du dedans ou seulement du dehors.

Mais si l’on veut définir d’une façon rigoureuse la connaissance qui procède d’une évidence intrinsèque, et celle qui vient d’une évidence extrinsèque, on voit immédiatement que ces deux sortes de connaissance diffèrent essentiellement l’une de l’autre. Admettre une vérité évidente de soi ou démontrée, c’est savoir. Admettre une vérité qu’un témoin révèle ou qu’une autorité affirme, c’est croire. On connaît ou on sait, à proprement parler, les choses que l’on voit, ou en elles-mêmes, ou par le moyen de quelque autre qui sert à les montrer ; et il y a donc un véritable savoir qui ne repose que sur une évidence médiate ou indirecte sans se confondre pour cela avec la foi proprement dite. Asscntit intellcctus alicui duplieiier. Vno modo, quia ad hoc movctur ab ipso objecta, qnod est vel per seipsum cognitum (sieut patet in principiis primis, quorum est intellcctus), vel per aliud cognitum (sicut pedcl de conclusionibus, quorum est scientia). S. Thomas, Sum. iheol., Il : » 11"^, q. i, a. 4. On croit, au contraire, quand la chose affirmée demeure cachée, et qu’ainsi l’assentiment est déterminé, non pas par l’objet lui-même, mais par une raison extérieure à l’objet : de là, le rôle qui revient à la volonté dans la foi. Intellcctus credentis assenlil rei creditæ, non quia ipsam videat, vel secundum se, vcl per rcsolutionem ad prima principia per se visa, sed quia convincitur per aueloritatem divinam (il ne s’agit ici, comme on le voit, que de la foi d’autorité) assentirc his quæ non videt, et proptcr imperium voluntatis moventis intellectum. Loc. cit., S. "Thomas, q. v, a. 2. Cf. Bainvel, La foi et l’acte de foi, Paris, 1907, p. 154. Voir Croyance.

Il y a deux sortes de foi, qui se distinguent l’une de l’autre suivant la nature de l’évidence qu’elles comportent : l’une, qui est la « foi de sciejice » ou foi scientifique, repose sur l’évidence du témoignage, fides proptcr evidentiam in attestante ; l’autre, qui est la foi d’autorité, repose sur la parole du témoin et n’est accompagnée que de la simple évidence de crédibilité : fides propler cmctoritatem cdtestantis. Cf. Billot, ’op. cit., p. 207 sq. ; Bainvel, op. cit., p. 33 sq. La foi de science est sans doute assez mal nommée ; mais on ne voit pas d’abord par quelle autre appellation, plus commode ou plus exacte, on pourrait la désigner dans notre langue ; et, au surplus, le nom est-il aussi malheureux qu’on l’a généralement voulu dire, et ne marque-t-il pas, au contraire, assez bien le caractère tout à fait particulier de cette foi qui repose sur l’évidence du témoignage ? Telle est en effet, par exemple, la nature de la foi historique, qu’il nous est sans doute im-