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EUTYCIIÈS ET EUTYCHIANISME


l'état solide, bien qu’on regarde l'état solide comme I opposé à l'état liquide. Il en est de même pour Dieu : j le même est corps et sans corps, mais en ce qu’il est ' corps, il diflère de ce qu’il est sans corps. » Ibid., p. r2-13.

Cette théorie vraiment curieuse de la condensa-, tion du Verbe a été attribuée à Eutycliès par le pseudo-Zacharie le Rhéteur : « Eutychès, dit-il, en-, seignait que le Verbe s’est fait chair comme l’air se solii difie par le vent et devient pluie ou neige, ou comme l’eau devient glace par l’action de l’air glacial. » K. Ahrens et G. Kriiger, Die sogennannte Kirchentjeschichle des ZachariasRhelor, Leipzig, 1899, p. 269 sq. Michel le Syrien répète la même chose. J.-B. Chabot, Chronique de Michel le Syrien, Paris, 1901, t. ii, p. 23. Si Eutychès n’a pas donné dans cette extravagance, certains eutychianistes l’ont réellement soutenue. Nous le savons par Philoxène de Mabboug, qui dit avoir souvent entendu ces liérétiques avancer que le Verbe n’a rien pris de la Vierge, mais qu’il a été façonné en elle comme il l’a voulu et qu’il est devenu chair : Verbum nihil de Virgine sumpsil, sed ipsum sicut voliiil, in ea formuium est et jacliun est caro. Lebon, op. cit., p. 494. Comme ceux dont parle Nestorius, ils nient la maternité réelle de Marie pour éviter un accroissement de l’hypostase du Fils et par suite ime augmentation dans la Trinité. Sévère d’Antioche connaît également des eutychianistes qui pensent que le Verbe s’est matérialisé, comme l’eau se solidifie en glace. Lebon, p. 496.

4° Théorie de la métamorphose apparente du Verbe en chair. — LTne autre forme de la métamorphose du Verbe est possible. On peut supposer que celui-ci ne s’est pas réellement incarné ou modifié, mais qu’il a usé de sa toute-puissance pour prendre les apparences de la chair. On aura alors le pur docétisme. Cette erreur a été souvent reprochée aux cutychiens et à Eutychès lui-même. De là le nom de phantasiastes qu’on leur a donné ; de là aussi l’accusation de manichéisme lancée fréquemment contre eux par les polémistes orthoiloxes.TimothèeÉlure, au témoignage de Zacharie ! e Rhéteur, op. cit., p. 64, eut à discuter à Constantinople, à son retour d’exil, avec des eutychiens de cette espèce, pour qui l’incarnation n’avait été qu’une modification apparente du Verbe, tout comme l’empreinte du sceau dans la cire et l’argile n’est pas une réalité distincte du corps qui en est marqué. Cf. Lebon, op. cit., p. 496.

Théorie du mékmge.

Nous arrivons au type

classique du monophysisme réel : l’humanité et la divinité se sont mélangées, combinées, pour former une sorte de composé théandrique, qui n’est ni proprement Dieu, ni proprement homme, mais tient des deux à la fois. Il est certain que ce système a eu des partisans. Nous le savons par la controverse entre Sévère d’Antioche et un certain Sergius, surnommé le Grammairien, que M. Lebon a signalée dans son ouvrage, p. 163 sq., 538 sq. Dans une lettre adressée à Antoninus, évêque d’Alep, Sergius manifestait son ètonnement au sujet de certaines corrections qu’une assemblée d'évêques monophysites avait fait subir à une paraphrase du symbole de foi composée par lui. Il avait rejeté la pluralité des natures et des propriétés après l’union. Le synode avait ajouté l’adjectif « séparées » après propriétés. C'était reconnaître tacitement la permanence de la pluralité des propriétés après l’union, tout en repoussant le nestorianismc. Le Grammairien trouvait cette position illogique : Il faut confesser, disait-il, une propriété unique.. de deux » du Verbe incarné, comme on confesse une nature unique de deux » du Verbe incarné. Par miséricorde. Dieu s’est rendu visible, mais il a dépassé la propriété humaine par l’union suprême… Z)é sormais, plus aucune propriété de Dieu n’apparaît dems sa raison propre ; plus aucune propriété de la chair ne reste telle. Tout ce qui touche à l'économie est une seule propriété, celle de Dieu incarné, celle du Christ. Elle appartient exclusivement au Dieu incarné comme le rire à l’homme.

C’est bien là la théorie du tertium quid après l’union, il n’existe dans le Christ qu’une seule essence,

a. oJdt’ct, qu’une seule propriété, jxia irotÔTr, ?. Sévère d’Antioche combat vigoureusement cette conception eutychianiste. Dans trois lettres successives adressées à Sergius, il lui déclare que tout en rejetant le langage dyophysite de Chalcédoine, il ne faut pas enseigner qu’il n’y a dans le Christ qu’une seule essence, oijo-c’a, mais reconnaître qu’il y en a deux, car la divinité et l’humanité ne sont pas la même chose en qmilité naturelle, c’est-à-dire, si on les considère en ellesmêmes, dans leur nature spécifique. De même, les propriétés de chacune sont distinctes en qualité naturelle, c’est-à-dire spécifiquement.

Le pseudo-Denys l’Aréopagite se rapproche étrangement dans son langage de Sergius le Grammairien. Le P. Le Quien, dans une longue et savante dissertation, relève plusieurs passages de ses écrits qui ont un goût prononcé de monophysisme. Dissertatio damasccnica. 11, P. G., t. xciv, col. 287 sq. Le plus compromettant est celui-ci : Tb Àot7rôv, oJ xx-à0£&/ xà bzio. oçiârsixç, O’JSà xà àvÔpo’jTnva y.atà av6p(i)7rov, à"/./.à àvîptoOévTo ; 0cO’j y.aivi, '/ riva Tr, 6£avûpixï*|V âvîpyEiav f.ij.îv -stto), ! ce-j|j.£vo :. Episl., iv, adCaium, P. G., t. iii, col. 592 : « Il n’opérait pas en Dieu les choses divines, ni les choses humaines en homme, mais il nous présentait une nouvelle opération théandrique d’un Dieu devenuhomme. » Sans doute, la Œavopt/.r, èvÉpYsta a reçu des interprétations très orthodoxes de la part des docteurs catholiques qui ont cru à l’authenticité des écrits du pseudo-Denys, mais cela ne prouverait pas nécessairement que cette expression était anodine sur la plume de celui qui l’a forgée. Comme le remarque judicieusement le P. Le Quien : Interdum accidit ut Ecclesise doctores, omissa cale critica, speciosis anterioruni Pcdrum, quæ libris quibusdum hsereiicorum prsefixa fuerant, nominibus decepti, locutiones aliquot, quibus auctorum errores cfjerebantur aut insinuabemtur, ccdholico sensu inlerprctati sinl : unde alii deinccps eas tanquam rectæ fidei consenlaneas sibi vindicai’crint. Le Quien, toc. cit., col. 292. Cependant, comme le pseudo-Denys déclare par ailleurs que l’union s’est faite sans ciiangement ni confusion, . àva), ), otâ)T(o ; xat àauyxÛTw ;, et que Jésus est vraiment homme, xar' o-jiri’av ôXt, v àlrfiw^ àvôpwTîo ; tov, une interprétation bienveillante de sa 0sav6pt/.r| èvipysta paraît s’imposer. Sa place sera dès lors plus justement à côté de Sévère qu'à côté de Sergius le Grammairien.

C’est le lieu de signaler ici la secte des néobites, qui tire son nom du sophiste alexandrin Etienne Niobé (vers 570). Le prêtre Timothée la rattache au groupe sévérien, maïs ce qu’il en dit montre qu’elle versait dans l’eutychianisme. Non contents de rejeter deux natures après l’union, S-jo 9 Jcret ;, les niobites ne souffraient pas qu’on parlât de différence entre l’humanité et la divinité après l’union : o-JSè Tr|V Siaçopàv Tiiiv 9-j(7£(Ov [LÈxa. T-riv É'vu)'7tv crû'saOai àvi/cvrai etTteîv. De reccptione hsereticorum, P. G., t. lxxxvi, col. 65 ;. cf. col. 44. Peut-être cependant que l’eutychianisme de ces sectaires était plus dans leurs formules que dans leur pensée. Ce qui permet de faire cette hypothèse, c’est qu’au témoignage de Timothée, ils se réclamaient de Sévère et de Théodose.

Théorie de la composition en tout naturel.

C’est

la forme la inoins grossière et la plus subtile du monophysisme réel. Sans se mélanger ni se confondre, le Verbe et l’humanité s’unissent comme les parties