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EUNUQUES
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Or, voici ce qu’il en dit, et encore n’est-ce point sur (les renseignements directs, mais pour en avoir souvent entendu parler, car il n’a pu ni contrôler la véracité des bruits qui en couraient, ni même parvenir à savoir au juste ce qu'était son chef, ce qu’elle était elle-même, son origine, son rôle, son extension, sa doctrine. Mais il a cru qu’elle n'était autre que celle qui existait à Bacatliis, dans la région voisine de Philadelphie au delà du Jourdain. Par la place qu’il lui assigne dans son catalogue des hérésies, après Noet et avant les novaliens, il donne à penser que les eunuques existaient déjà au iii'e siècle, vers l’an 240 ; c’est la conclusion qui s’impose sans qu’elle ait la valeur d’une précision chronologique absolue. Quant à chercher ailleurs d’autres renseignements plus explicites et plus précis, il n’y faut point songer. Car, d’une part, les Pères, dans l’explication des passages scripturaires dont abusaient ces sectaires, ne font jamais allusion à une secte d’eunuques ou de valésiens ; et, d’autre part, parmi ceux qui ont dressé des catalogues d’hérésie, tous dépendent, sur ce point, de saint Épiphane. (".'est d’abord saint Augustin, qui avoue, lui aussi, son défaut de renseignements et ajoute : alia (/iioquc hærelica docere dicuntur et liirpia ; sed quæ illa sint, nec ipse commemoravit Epiphanius, nec uspiam potui reperire.De /iœr., 37, P.L., t.xLii, col. 32. C’est ensuite l’auteur inconnu du Prædestinalus, qui ne fait que transcrire saint Augustin, sauf à y ajouter ce détail, d’ailleurs invérifiable et sujet à caution, que cette secte fut condamnée dans un synode d’Achaïe. Prædest., 37, P. L., t. LUI, col. 598. Beaucoup plus tard enfin, c’est saint Jean Damascène, qui ne fait qu’abréger saint Épiphane. Hær., lviii, P. G., t. xciv, col. 714.

Doctrine et pratique.

Les sectaires de Bacalhis,

nous dit saint Épiphane, étaient d’anciens chrétiens qui avaient fréquenté l'Église, mais qui en furent exclus dès qu’ils eurent la folie de prétendre que la castration est un moyen nécessaire de salut. En effet, à l’exemple de tant d’autres esprits, fourvoyés sans lumière et sans guide dans l’interprétation de l'Écriture, et préférant leur sens propre à l’explication ecclésiastique, ces sectaires, qui rejetaient la Loi et les Prophètes, se mirent à pratiquer délibérément la castration sur eux-mêmes et à l’imposer à leurs adeptes comme le moyen indispensable d'échapper aux tribulations de la chair, de conserver la continence et de se sauver. En agissant de la sorte, ils entendaient être parfaitement d’accord avec le texte évangélique suivant : " Si ta main ou ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-les et les jette loin de toi ; il vaut mieux pour toi entrer dans la vie mutilé ou boiteux que d'être jeté, ayant deux pieds ou deux mains, dans le feu éternel. Et si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le et le jette loin de toi ; il vaut mieux pour toi entrer dans la vie avec un seul œil que d'être jeté, ayant deux yeux, dans la géhenne du feu. » Matth., XVIII, 8, 9. De ce texte ils rapprochaient cette parole du Sauveur : « Il y a des eunuques de naissance, dès le sein de leur mère ; il y a aussi des eunuques qui le sont devenus par la main des honunes ; et il y en a qui se sont faits eunuques eux-mêmes à cause du royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre comprenne. » Matth., xix, 12. Or, ils estimaient avoir parfaitement compris. Oubliant donc que la lettre tue et que l’esprit vivifie, ils s’en tinrent au sens littéral sans se mettre en peine du sens spirituel, le seul visé parle Christ et le seul admissible d’après l’enseignement de l'Église. Et c’est pourquoi ils regardèrent la castration volontaire comme une opération absolument indispensable. Aussi étaient-ils tous àno/.onai. Ilivr., Lviii, 1, 2, P. G., t. XLi, col. 1012. Et quiconque voulait faire partie de leur secte devait fina lement subir cette mutilation réputée nécessaire ; en attendant, il était soumis à un régime alimentaire sévère, qui ne comportait ni la chair des animaux ni aucune espèce de mets excitants ; mais une fois initié en devenant eunuque, il pouvait manger tout ce qui lui plaisait, sans craindre aucune des conséquences qui pouvaient en résulter, attendu que, dans cet état, il était désormais libéré de toute lutte contre la concupiscence et à l’abri de tout danger d’incontinence, n’ayant plus à craindre la perte de la chasteté. Mais ces sectaires ne se contentaient pas de ce recrutement volontaire ; pour augmenter leur nombre, ils recouraient à la violence et mut liaient de vive force tous ceux qui passaient à leur portée ou s'égaraient dans leurs parages.

3 » Réfutation qu’en fait saint Épipliane. — Il n’y avait pas seulement, chez ces sectaires, une erreur grossière d’exégèse, qui ne parvint pas à cacher les pires désordres qu’elle servait à couvrir ou auxquels elle devait fatalement conduire, il y avait encore quelque erreur dogmatique, ou nettement avouée ou implicitement contenue ; et elle portait vraisemblablement sur la résurrection des corps, tant saint Épiphane insiste à ce sujet. Tous les membres du corps, dit-il, doivent ressusciter sans exception. Or, si l’on nie que quelqu’un de ces membres doive ressusciter, , on nie par là même la résurrection des corps ; ou si, , comme certains de ces impies le prétendent, le corps ne doit pas ressusciter, à quoi bon alors tout ce qu’ils disent ? Hnr., lviii, 2, P. G., t. xli, col. 1012. Dans sa réfutation, saint Éjjiphane relève d’abord, chez ces exégètes intempérants et asservis à la lettre, un défaut de logique, et les accule à l’absurde. S’il faut, dit-il, , retrancher en nous le membre qui nous scandalise, il n’y a plus qu'à supprimer tous nos membres, car tous, un jour ou l’autre, nous scandalisent à quelque degré. Il faudrait même s’arracher le cœur, puisque c’est du cœur que nous viennent les mauvaises pensées. D’autre part, ceux qui pratiquent la castration se mettent en dehors de l’humanité, et l’on ne conçoit pas qu’ils puissent être récompensés au ciel, car ils ne peuvent être rangés dans aucune des catégories d’eunuques dont a parlé le Sauveur, surtout dans la dernière, parmi ceux qui se font eunuques en vue du royaume des cieux. Ceux-ci, en efi’et, ne sont pas ceux qui pratiquent la mutilation matérielle, mais bien les apôtres, les moines et tous ceux qui observent vraiment la continence par une abstention rigoureuse de tout plaisir charnel, par une vigilance et une lutte incessantes contre les assauts de la convoitise, et nullement par une opération chirurgicale ; car se mutiler ou se faire mutiler, ce n’est point mériter la couronne, c’est attenter à l'œuvre du créateur et, au lieu de sujjprimer la cause du péché, c’est s’exposer à des passions plus violentes encore et non moins désordonnées. Quand saint Paul disait : « Je voudrais que tous les hommes fussent comme moi, » I Cor., vii, 7, il n'était pas xtioxotio ; et il pailait à des hommes qui ne l'étaient pas davantage, puisqu’il ajoute : « S’ils ne peuvent se contenir, qu’ils se marient, car il vaut mieux se marier que de brûler. » I Cor., vii, 9. Or, , le mariage ne saurait convenir à des àTtô/.oTroc ; c’est donc que l’apôtre entend parler de la continence et de la chasteté dans un sens tout spirituel. Hær., lviii, 4, P. G., t. XLI, col. 1016.

Dans CCS queL ; les mots, saint Épiphane résume l’enseignement ei la pratique de l'Église, qui condamne la mutilation matérielle et prescrit l’intégrité physique du corps, mais surtout l’intégrité morale, celle de l’esprit et du cœur, toujours recommandée par les Pères et si bien formulée par saint Augustin quand il dit qu’il n’y a que le glaive de l’esprit et de la parole de Dieu qui puisse séparer l’homme animal de l’homme