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EUNOMIUS


genèse de la doctrine eunomienne snr l’intelligibilité absolue de Dieu ; mais ; cette confusion doivent s’ajouter les vues d’Eunomius sur l’origine divine et la portée des noms en général, de rà-, £vvriToç en particulier. D’une part, il proclame que le vrai nom d’un être est celui qui en exprime parfaitement l’essence, et que Dieu seul peut donner aux êtres de pareils noms. Voir plus haut, col. 1507. D’autre part, iy£vvi, To ; est, à ses yeux, le vrai nom de Dieu, donc celui qui exprime pleinement ce qu’est Dieu. Il en résulte qu'à la connaissance de ce nom correspond pour nous la parfaite connaissance de l’essence divine. Et c’est bien ainsi que saint Grégoire de Nysse a compris et nous présente le raisonnement de ses adversaires, 1. XII, col. 929.

Les auteurs modernes qui se sont occupés de la tliéodicée eunomienne, en ont souvent critiqué un autre point : la distinction posée en Dieu entre l’ojcria, ou la nature que le Père ne peut pas communiquer, et l'èvfpvjia, ou volonté et puissance créatrice qu’il communique au Fils en le produisant. En conséquence, Eunomius identifiait la volonté et l’opération divine, mais il distinguait l’essence et l’opération : Ojy.oCv et TYjV [j.èv po’JÀritriv à7r£'Σt ;  ; v 6 Xôyo ; évépyeca/, oJx o-j(Tiav 6e Tf|V àvipYEiav… Apolog., n. 24, col. 859. Doctrine fausse et, en même temps, contradiction aussi singulière que manifeste dans quelqu’un qui concevait la simplicité divine d’une façon aussi transcendante et aussi abstraite qu’on l’a vu.

4 » Idéologie. — Pour développer ou justifier sa doctrine sur Vàyvrjffijîoi, Eunomius fut amené à exprimer ses vues sur les conceptions de l’esprit humain et sur les dénominations correspondantes, dites icaT' èTîivoiav. Voir Dieu, t. iv, col. 1083. Il commença par leur dénier toute valeur objective ; purement verbales, elles n’ont d’existence réelle que dans les sons proférés. S. Basile, Adversus Eunoin., 1. I, n. 5, P. G., t. XXIX, col. 520 sq. En face des raisonnements que l'évêque de Césarée lui opposa, l’hérésiarque reconnut qu’il peut y avoir autre chose que de simples sons dans les dénominations formées par l’esprit humain ; mais il Ihnita la portée de cette prérogative à la conception d'êtres de pure raison, c’est-à-dire aux créations fantaisistes de l’esprit, capable de se figurer des colosses, des pigmées, des centaures et choses semblables. S. Grégoire de Nysse, Contra Eunom., I. XII, col. 969. De ce point de vue, , on a pu établir un certain parallèle entre l’eunomianisme et le nominalisme ; mais ce qui suit fera voir que, pour rester objectif, le parallèle doit être présenté d’une façon très restreinte.

D’après Eunomius, tout nom d’origine humaine ne pouvait être qu’une appellation impropre et insignifiante, an-jpov -/.a' ; à(7/, [j.avTov, I. XII, col. 1013. A rencontre du pouvoir, attribué par saint Basile à notre raison, de donner aux êtres des noms exprimant leur nature ou leurs propriétés, il formula cette théorie étroitement apparentée avec le tradilionalisme pur : c’est Dieu lui-même qui, en créant chaque être, lui a donné et seul a pu lui donner un vrai nom, un nom qui lui convînt proprement et répondit à sa nature. Sans cette intervention divine et sans la révélation de ces noms, les premiers hommes et leurs descendants auraient été condamnés à vivre muets, sans pouvoir exprimer ni savoir ce que sont les choses les plus élémentaires, comme le feu, l’air et le reste, I. XII, col. 971, 1023, 1044. Aussi l’imposition des noms aux êtres créés est-elle un acte de la sagesse et de la providence divine, inséparable de l’action créatrice, col. 1047 sq.

Eunomius prétendait justifier ce système par les saintes Lettres. D’après le récit de la Genèse, ci. Dieu fit tout sortir du néant par voie de commandement en appelant chaque chose par son nom : Fiai lux,

fiai firnmmentiim, etc. ; l’homme, cependant, n’existait pas encore, 1. XII, col. 970 sq. Les discours adressés par Dieu aux hommes ne peuvent pas se comprendre dans l’hypothèse contraire, sans faire injure à la majesté suprême ; car il ne convient pas que Dieu, pour nous parler, se serve de ce qui serait nôtre, col. 1049. Enfin, David dit expressément de Dieu, Ps. cxLvi, 4 : Qui numéral mutliludincm slellarum, et omnibus eis nomina vocal. Il serait inutile de montrer avec quelle facilité l'évêque de Nysse réfuta une pareille exégèse.

Mais comment Eunomius entendait-il cette imposition des noms, soit de la part de Dieu qui est censé la faire, soit de la part de l’homme qui doit en recevoir la connaissance ? Une réponse précise est difficile, car la façon fragmentaire dont saint Grégoire de Nysse cite le texte de son adversaire et les commentaires qu’il y mêle ne permettent guère de suivre la pensée d’Eunomius dans tout son développement, si tant est qu’il l’ait jamais développée. En rapportant l’argument emprunté au c. 1'= de la Genèse, l'évêque de Nysse interprète la pensée de l’anoméen en ce sens que Dieu aurait proféré les noms des choses, comme nous le faisons, dans un langage articulé : -/ai tov (-leôv ôisEoôiy.io xs/priaùat xaTa^XEudcTSi, y.a’i çiwv/ ; xal çôÔYyo) SiaTUTToûvTa za vo/iiJ.ara, col. 977. Toutefois, la formule à nuance dubitative, dont le saint docteur se sert immédiatement après : Ei toivjv toûto voeî…, nous autorise à ne pas attribuer une valeur absolue à cette interprétation. La réserve est d’autant plus nécessaire que, dans un passage postérieur, col. 984, il est fait allusion à un langage silencieux, indépendant de sons extérieurs ou articulés. Aussi l’assertion d’Eunomius comporte-t-elle cette autre interprétation, proposée par M. Diekamp, op. cit., p. 147 : en créant les choses destinées à servir plus tard à l’homme. Dieu aurait fixé et décrété comment elles se nommeraient : ojtwo- : TE /E).e’Ju)v, xal ÉTÉptoç àitayopE-Jcûv xà ; tv : tùv îtpay}iî(T(ov y.EÏTÔai cpcovà ;, col. 1000. De là un rapport naturel et immuable entre les noms et les choses : à[J.ETà9£ro ; -i] npocr^u-riÇ Ttov rjvojjiâTwv Tzph ; -k 71piy[j.aTa nyàTii, 1. VII, col. 752.

En tous cas, il est absolument nécessaire que l’homme ait reçu de Dieu la connaissance des noms. Sahit Grégoire, parlant dans l’hypothèse eunomienne, nous représente Dieu comme un pédagogue ou un maître d'école qui apprendrait à nos premiers parents les mots et les noms, 1. XII, col. 1043 sq. Pour les descendants d’Adam, rien de précis. Il est seulement question d' « une loi naturelle, en vertu de laquelle les choses font naître en nous les noms, comme les germes et les racines font naître les plantes, » col. 1093. Idée qui se retrouve, ibid., dans cette phrase d’Eunomius : « Celui dont la providence s'étend à tous a jugé bon, conformément à la loi de la création, de semer, èy/.aTa(77tEîpac, dans nos âmes les noms des choses. »

Quel rapport y avait-il, dans la pensée de l’hérésiarque, entre les noms et les idées ? Ces germes infus ou incréés se rapportent-ils immédiatement aux noms eux-mêmes, qui devraient ensuite se développer sous l’influence des objets, en vertu de la connexion naturelle et immuable qu’il suppose exister entre les choses et leurs noms ? Au contraire, se rapportent-ils directement aux idées, qui ne pourraient passer à l'état de connaissance actuelle, sans être, en quelque sorte, excitées et fécondées par les noms ? Ou bien, se rapportent-ils tout à la fois aux idées et aux noms, en ce sens que les idées et les noms marcheraient toujours et nécessairement de pair ? Dans cette dernière hypothèse, assurément vraisemblable, on arriverait à une théorie sur l’origine des idées où, suivant la remarque de M. Diekamp, op. cit., p. 144, 151, le traditioua-