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DIEU (SA NATURE D’APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE ; 1276

conscience. Mais nous savons maintenant que le ilili’inmc : anthropomorphisme ou mécanisme, n’est pas inéluctable, et qu’on peut sans livrer l’univers au jeu de forces aveugles, nier qu’il soit gouverné par une linalité analogue à celle de l’art humain. Il existe une finalité véritable, mais immanente et inconsciente, dans le progrès de l’univers. Hartmann, contrairement à Schopenhauer, admet une loi du progrès. D’autre part, la conscience ne représente pas une perfection absolue. Pour nous hommes, qui poursuivons des fins individuelles et devons séparer notre personne des autres êtres, la conscience est une perfection et une nécessité. Mais lTn-Tout, en dehors duquel rien n’existe, ne connaît pas ces limites et le besoin de celte opposition. N’appliquons pas, sous l’empire de l’habitude, à l’activité que déploie le principe de l’univers dans la poursuite.de fins universelles, la règle qui dirige l’activité réfléchie des consciences particulières. Du reste, dans les sujets individuels eux-mêmes, l’instinct ne remplacet-il pas souvent avec avantage la finalité consciente ? Philosophie de V Inconscient, t. n, p. 218, 227. Dira-ton que, pour produire la conscience en des sujets individuels, l’Un-Tout doit lui-même posséder cet attribut ? Hartmann récuse cette loi de la causalité. La conscience apparaît dans le monde, lorsque le principe a réuni les conditions nécessaires à l’activité consciente. Or, ces conditions se ramènent à la dualité des attributs et à la possibilité d’un conflit entre les fonctions qui résultent de ces attributs. Mais la conscience elle-même n’est pas un antécédent nécessaire de la conscience. Donc, il est inutile de la supposer en Dieu.

Hartmann va plus loin. Dieu ne peut être conscient : a) parce qu’il n’a pas d’organisme, et que la conscience ne peut surgir « sans cerveau, sans ganglions, sans protoplasma, ou autre substratum matériel, » ibid., p. 219 ; b) parce qu’il est l’absolu, et exclut toute distinction de sujet et d’objet, ibid., p. 221 ; c) parce qu’il est immanent : un Dieu conscient serait par là même séparé du monde, ibid., p. 223 ; d) parce que le mouvement philosophique emporte la spéculation religieuse de ce côté. Ibid., p. 231, 232.

L’inconscience divine implique un second attribut. Dieu est impersonnel. Hartmann distingue trois significations du mot : personne, et constatait qu’aucune ne convient au principe premier, il écarte de la notion de Dieu la personnalité. La personnalité juridique correspond au libre exercice des droits civils. La personnalité morale s’entend de la faculté de juger ses propres actions et comporte la responsabilité. Ces deux notions supposent relation entre individus distincts et ne sauraient, par suite, convenir à l’Un-Tout. Au sens logique et grammatical du mot, on pourrait dire également : au sens psychologique, personnalité signifie attribution d’actes multiples à un même sujet, et ne peut dès lors se trouver que dans un être qui possède la conscience, la mémoire et la réllexion. Un Dieu inconscient est nécessairement un Dieu impersonnel. Ibid., p. 23223i. Pas plus que la conscience, la personnalité ne désigne une perfection absolue. Si Dieu est inconscient, s’il est impersonnel, c’est qu’il exclut ou dépasse toute limite. Ibid., p. 235.

Comment expliquer la croyance à un Dieu personnel ? Par une faiblesse du cœur humain, qui considère Dieu comme un homme, afin de chercher auprès de lui sympathie et consolation. Hartmann pense découvrir la manifestation de ce besoin dans l’histoire du christianisme. Quand Dieu est représenté d’après g les conceptions naïvement anthropomorpbiques du vieux judaïsme, » l’homme ne s’adresse pas à un intercesseur. « Plus le théisme chrétien » se développe « au contact de la philosophie grecque » et purifie son concept de Dieu, plus apparaît nécessaire à la sensibilité religieuse,

le rôle « d’une personnalité humaine, intermédiaire entre Dieu et les hommes. Veut-on éliminer le culte • le la Vierge et des saints ? On insistera d’autant plus

sur la personnalité humaine du Christ. » La foi au Christ va-t-elle s’affaiblissant, et, avec elle, la confiance dans un intercesseur compatissant ? Passe-t-on du christianisme au théisme ? Alors, c’est la notion même de la divinité que, par un anthropomorphisme inconscient, l’on rapprochera de la condition humaine. Ibid., p. 235.

.Mais ce besoin d’un Dieu-Homme va lui-même disparaître. Pratiquement, le postulat de la personnalité divine est lié à celle croyance : que la prière est efficace. Mais on tend de plus en plus à considérer la prière comme une auto-suggestion d’une puissance variable suivant les individus, c’est-à-dire à ne lui attribuer qu’une utilité toute subjective. Par la prière, l’homme change peut-être ses propres dispositions, mais non celles de la divinité. « La prière n’est qu’un monologue. » Puisque Dieu ne répond pas, à quoi bon le considérer, en dépit des raisons philosophiques, comme un être personnel ? Ibid., p. 236.

Nous avons déjà nommé un troisième attribut par lequel Hartmann désigne le principe du monde. Cet Etre inconscient et impersonnel est l’Un-Tout. La théodicée de Hartmann pourrait donc s’appeler panthéisme. Cependant à ce mot, susceptible de faire naître des malentendus, il préfère celui de monisme. Mais, en réalité, sa doctrine rejoint celle de Spinoza. « L’UnInconscient est la substance ou le sujet de toutes les consciences individuelles. » Les individus, comme tels, ne sont que des phénomènes résultant de certaines combinaisons et de certains groupements. Ibid., p. 220, 221. Hartmann raisonne comme Spinoza, et déclare contradictoire la notion de substance dérivée ou dépendante. Leibniz et Herbart ont voulu concilier la multiplicité des substances et la notion d’être absolu. En dépit de leurs efforts, ils sont poussés vers une théorie moniste. Ibid., p. 201, 202. Nous avons conscience. dira-t-on, de notre individualité. Radicalement distincts les uns des autres, comment pourrions-nous être identiques à un même èlre substantiel ? Oui, les consciences sont séparées et même opposées, répond Hartmann. Mais la sphère de l’être dépasse celle de la conscience. Dès lors, on peut affirmer que nous ne connaissons pas par une observation interne et immédiate notre identité foncière, mais on ne peut aller plus loin et pictendre que cette identité, étant inconsciente, est irréelle. Ibid., p. 195, 196.

On objectera encore, par une remarque que Hartmann appelle « une raillerie commode contre la théorie monistique, » que l’Un-Tout se manifesle en des attributs contradictoires et qu’il entre en lutte avec lui-même. D’après le panthéisme, deux loups affamés qui combattent entre eux, représentent le même être qui cherche à se dévorer lui-même. Quelle différence voyez-vous, reprend Hartmann, entre la lutte de deux passions dans l’âme d’un homme, et ce combat de deux loups affamés ? Sans doute, le premier conflit se dérobe à l’observation directe d’un tiers, tandis que le second peut être perçu par d’autres individus étrangers à la lutte. Mais le même problème métaphysique se pose dans les deux cas : Pourquoi, au lieu de s’exercer paisiblement, les fonctions multiples d’un même être entrent-elles ainsi en conflit ? Dans les deux cas, même réponse : La conscience suppose précisément distinction et collision, non pas entre substances ou volontés, mais entre les divers actes d’une même volonté. Ibid., p. 196-198.

A l’appui de son monisme, Hartmann invoque l’histoire de la philosophie et de la religion. « Partout où nos regards se portent, les philosophies originales et les systèmes religieux de premier ordre obéissent à une secrète tendance vers le monisme. » Il faut pourtant convenir que d’autres doctrines maintiennent la dis