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DIEU (SA NATURE D’APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE 1244

àson adversaire encore que saint Thomas emprunte le moyen terme (|ni lui sert à le convaincre d’erreur. La

créature est potentielle, et son mode de connaître n’est pas et ne peut pas être indépendant de cette condition de son être ; nulle créature ne peut donc voir Dieu par ses seules forces naturelles. Ibid., a. 4. Cf. Suarez, Metaphys., disp. XXX, sect. xi, n. Il sq. ; Th. Raynaud, op. cit., *dist. III, q. il, a. 1, p. 92.

Pour éviter les redites dans ce dictionnaire, nous terminons ici l’élude de la théodicée de l’École. Saint Thomas en a définitivement arrêté les hases. Tout ce qui a été discuté depuis a dépendu et dépend de son œuvre. Le lecteur qui voudrait rapidement se rendre compte de cette dépendance pourrait avoir recours à un petit livre deMartinez deRipalda, Brevis exposilio litteræ Magistri Sententiarum, Venise, 1772. C’est une sorte de manuel de baccalauréat. Dans les concours pour les bénéfices en Espagne l’usage était d’assigner comme sujet de dissertation une phrase de Pierre Lombard. Souvent les candidats ne voyaient pas quelle pouvait être la question exacte qu’il fallait exposer et discuter. Ripalda composa à leur usage le manuel dont nous parlons. On y trouve à propos de chacune des distinctions de Pierre Lombard toutes les discussions scolastiques qui s’y sont rattachées dans la suite des âges, avec noms de leurs auteurs et références précises. En parcourant ces pages arides, on a l’impression de la continuité dans le sens traditionnel et aussi la vue nette qu’à partir du XIIIe siècle tous les problèmes étaient posés. Ne s’en étonnerait que celui qui n’aurait pas saisi que la synthèse de saint Thomas n’est autre chose que la fusion harmonieuse du donné chrétien traditionnel, de la Heur de la pensée antique, et de tout ce qui est acceptable pour un chrétien soucieux de tradition dans la spéculation juive et arabe.

M. Chossat.

VI. DIEU, SA NATURZ D’APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE. —

Nous partagerons cette étude sur l’idée de Dieu dans la philosophie moderne en deux sections :
I. Avant Kant.
II. Depuis Kant.

Cette division ne signifie pas, du reste, qu’il y ait distinction radicale et solution de continuité entre ces deux périodes de la théodicée. Mais, de même que la première phase se caractérise par un rationalisme plus accentué et institue, à côté de la théologie chrétienne, une théodicée laïque ; ainsi l’âge suivant, que nous faisons dater de Kant, bien qu’il s’annonce déjà dans l’œuvre de ses prédécesseurs, est marqué par le développement de la critique, et inaugure, à la place de la théodicée naturelle, œuvre de la raison spéculative, une doctrine pratique, conclusion de postulats moraux. Pendant la période qui date de la Renaissance, la raison s’émancipe de la tutelle de la foi. Pendant la seconde phase, c’est le sentiment qui devient le principe de la vie religieuse et de la connaissance de Dieu, tandis que la raison pure est déclarée incapable de dépasser le monde des apparences et des phénomènes. Étudier le Dieu de la philosophie moderne avant Kant et depuis Kant, c’est, en somme, étudier successivement le Dieu de la raison et le Dieu du sentiment, bien que les deux courants : sentimentalisme et rationalisme, soient toujours en contlit plus ou moins apparent. Les idées des principaux philosophes de cette période sur la nature de Dieu sont assez connues pour qu’on ne les ait pas longuement exposées ici. On a insisté davantage sur d’autres, moins célèbres, que les lecteurs connaissent peut-être moins.

I. Avant Kant.

La Renaissance.

Jean Bodin (1530-1596) a composé un dialogue entre sept interlocuteurs, Colloquium heptaplomcres, qui, de l’avis de M. Hôffding, Histoire de la philosophie moderne, trad. franc., Paris, 1906, t. i, p. 65, constitue « le document le plus remarquable » de l’époque, relativement à l’idée naturelle et philosophique de Dieu. A la table d’un riche catholique de Venise, se trouvent n’unis un luthérien, un calviniste, un juif, un mahométan, plus deux autres personnages qui, chacun à sa manière, exposent une religion universelle qui n’est autre que le théisme.

Grotius (1583-1645), en face du droit naturel, distinct des législations positives d’origine divine, ecclésiastique, ou civile, cherche à délinir, à l’aide des do^mgénéralement admis par les contemporains et d’un caractère traditionnel, la vraie religion ou la religion naturelle. L’n Uieu unique, invisible, créateur et conservateur de toutes choses : voilà des croyances qu’on ne peut nier, sans porter atteinte à l’ordre social et sans encourir les châtiments que méritent les ennemide la société. Hôffding, op. cit., p. 63.

A côté de Grotius, il faut citer Frank Coornhert. l’Académie platonicienne de Florence. Hôffding, ibid., p. 64-65.

Herbert de Cherbury (1583-1648) ramène à cinq vérités toute croyance en Dieu : il existe un Être suprême ; cet Etre mérite adoration ; l’adoration consiste dans la vertu et la piété ; le sacrilège et le crime doivent être expiés par le repentir ; le châtiment ou la récompense attendent les hommes après leur mort. Hôffding, ibid., p. 72-73. Voir t. ii, col. 2359.

La doctrine de Nicolas de Cusa (1401-1464) est, du moins par tendance et dans ses conséquences, agnostique et panthéiste, avant la lettre. La docta ignoranlia, dernier mot de la philosophie, proclame un Dieu inconnaissable, h’ignorantia sacra, effort suprême de la spéculation religieuse, ne parvient à le déterminer dans une certaine mesure que pour en faire le principe immanent du monde. Si la théologie négative de Nicolas de Cusa représente une forme d’agnosticisme, sa théologie positive aboutit à une sorte de panthéisme.

On nous met d’abord en présence d’un Dieu, non pas simplement inconnu, mais nécessairement inconnaissable. Par définition, la pensée humaine implique une multiplicité de termes qui se limitent ; par définition, Dieu est l’Etre sans bornes, l’unité absolue. Il échappe donc aux prises de la connaissance. Il est vrai que notre esprit s’efforce par des réductions successives de ramener le multiple à l’un. Toute connaissance est une synthèse. Mais la plus vaste et la plus cohérente des synthèses suppose la diversité des éléments qu’elle combine. Comment atteindre l’unité absolue, ou, du moins, s’en rapprocher ? A l’aide d’une intuition mystique, où tous les rayons de l’être convergent en un seul centre et s’y fondent, mais qui est moins une vision qu’un éblouissement, moins l’apogée que la limite de la connaissance. Plus exactement encore, nous pressentons l’Infini, mais nous ne pouvons le concevoir. Pour connaître Dieu, nous devrions voir la fusion des contraires, alors que nous savons seulement que les contraires se relient par une série d’intermédiaires. La pensée humaine est à la réalité divine, qui est l’unité parfaite des contraires, ce que le polygone est au cercle. Elle s’oriente et s’élève vers Dieu, comme vers un idéal, une limite, mais elle ne l’atteindra jamais comme un objet.

Que penser, dès lors, des attributs divins : bonté, puissance, sagesse, justice, etc.’.' Aucune appellation ne convient à Dieu, bien que certaines négations soient plus dignes de lui que certaines autres. Ainsi, en niant qu’il soit matière, on se rapproche davantage de la vérité qu’en niant qu’il soit esprit. Il faut surtout éviter l’erreur des péripatéticiens qui, dans la nature, ne considérant que la distinction des termes : possibilité et réalité 1, matière et forme, cause et effet, sans remarquer le lien qui les unit, ne comprennent pas que la réalité- divine réconcilie tous les contraires. La lumière et les ténèbres s’unissent en Dieu, comme le