Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 4.djvu/615

Cette page n’a pas encore été corrigée
1215
1216
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES)


cause des autres et qui par conséquent est le premier, non Italiens primum ; on ajoute qu’il ne peut y en avoir qu’un seul, et que son essence est d’exister, d’où suit sa parfaite simplicité. Il y a un premier, cause des autres : car s’il y a plusieurs corps chauds, il faut qu’il y ait du feu quelque part. De potentia, q. [If, a. 5. Il n’y a qu’un premier : car s’il y en avait deux, il y aurait entre eux nécessairement ressemblance et différence et par conséquent composition ; mais point de composé sans cause. Donc l’un serait la cause de l’autre. Averroès, Deslruclio, disp. V, fol. 33. Il est simple et son essence est l’existence, car, suivant la remarque d’Alexandre d’Aphrodise, toutes les fois qu’on a un composé, l’hydromel, et que l’un de ses éléments se trouve isolé, l’eau, l’autre élément, le miel, doit aussi se trouver isolément. Cf. Maimonide, op. cit-, t. ii, p. 38 ; Contra gentes, 1. I, c. xiii, Secunda via. Or tous les êtres nécessaires per causant, sont composés d’essence et d’existence ; leurs essences sont disparates et par conséquent isolées ; l’existence doit donc l’être, d’où il suit que l’être nécessaire en lui-même est une existence sans essence.

Devantces définitions arbitraires et les conséquences vertigineuses qu’on en déduisait, Algazel usa jusqu’à satiété de toutes les ressources de la dialectique. De cent façons, il pose et repose le problème des possibles à un adversaire qu’il sait n’avoir pas de réponse à cette question embarrassante. Comment vos nécessaires per aliud sont-ils à la fois nécessaires et possibles’? comment se distinguent-ils des possibilia esse et non esse, puisqu’ils sont eux-mêmes possibilia esse et non esse, c’est-à-dire annihilables ? Et comment les possibles se distinguent-ils des impossibles, negatum absolutuni ? De quel droit m’interdisez-vous de faire sur les impossibles le même raisonnement que vous faites sur les nécessaires per aliud : clrimœra est ipsa, aut ex se aut ex causa ? Celte disjonction que vous employez pour tous les possibles, absolus et nécessaires par autre chose, je puis fort bien l’appliquer au nécessaire absolu : il est nécessaire absolu, ou par lui-même, ou par une cause. Ce discours, prétendent les philosophes, n’a pas de sens, puisque par définition l’être nécessaire n’a pas de cause ; mais il en va de même de l’emploi qu’en fait Avicenne à propos des possibles, étant donné la manière dont il les conçoit. Avicenne ne conclut donc pas légitimement qu’il y a un premier, cause des autres nécessaires. Il ne conclut pas mieux que ce premier soit unique et simple. Car puisqu’il admet la distinction réelle de l’essence et de l’existence, il pose nécessairement une pluralité dans le Premier, et par suite toutes ses attaques contre la pluralité réelle des attributs défendue par les Acharites sont vaines. Cf. Averroès, op. cit., disp. III, fol. 25 ; disp. VI, fol. 36 sq.

Bien que très incomplète, cette analyse de la Destruction d’Algazel suffit à montrer d’où vinrent à l’esprit desscolastiques du xiiie siècle beaucoup des problèmes nouveaux qu’ils agitèrent. Plusieurs des questions soulevées par Algazel ont eu dans les scolastiques une longue répercussion. Un a iiv col. 931, 946, que saint Thomas a fait divers emprunts à Avicenne, mais en modifiant les positions de celui-ci. La critique d’Avicenne par Algazel, que saint Thomas connaissait, sinon directement par le texte même d’Algazel, au moins par celui d’Averroès, indique à quelles préoccupations furent dues ces modifications. Avant d’en préciser davantage les origines prochaines, insérons ici un erratum. A la col. 946, ligne 41, un membre de phrase a été par mégarde omis, qui rend le texte ou inexact ou inintelligible ; entre le mot « absolu » et « saint Thomas », il faut insérer ce membre de phrase : le nécessaire par autre chose est à la fois nécessaire et possibile in esse et non esse.

Averroès.

Saint Thomas fut un adversaire déclaré d’Averroès, spécialement en ce qui concerne l’unité de l’âme humaine, l’éternité du monde, la visibilité de Dieu et la sainte Trinité. En traitant du premier sujet, il a même qualifié Averroès de corrupteur de la philosophie péripatéticienne. On cite souvent cette phrase pour en conclure que le péripatétisme de saint Thomas n’a rien de commun avec celui d’Averroès ; mais on ne remarque pas que dans le même ouvrage, pour réfuter les averroïstes latins qui défendaient la répugnance de la multiplication des intellects, saint Thomas emprunte à Averroès son interprétation d’Aristote ; on oublie aassi de noter que saint Thomas explique lui-même en quel sens d’après luivverro corrompu le péripatétisme : c’est parce qu’il a rapport’de travers l’opinion de Thémistius et de Théophrasle, que saint Thomas considère comme de bons péripatéticiens. Cf. Opusc, XVI, De unitale intellectut, Venise, 1595, t. xvii, p. 181, 185, 187. Sans aller jusqu’à parler avecMiquel Asin y Palacios d’un averroïsme théologique de saint Thomas, El Averroismo teologico de Santo Tomâs de Aquino, dans Homenage a D. Franc. Cordera, Saragosse, 1904, p. 303 sq., nous essaierons de mettre le lecteur à même de se former une opinion. Cf. Genito, La Summa contra gentes i el Pugio fidei, Vergara, 1905, réfutation de M. Asin.

1. Critique d’Algazel el à" Avicenne. — Averroès écrivit sa Deslruclio destructionuni pliilosophise pour réfuter Algazel et défendre la philosophie. Opéra, Venise, 1550, t. ix. D’après lui, Avicenne et Algazel tiennent en commun trois principes faux, a) Ils admettent tous deux que les possibles n’ont de réalité que dans l’esprit ; la vérité est que la détermination des possibles est en Dieu et aussi, la matière supposée, dans la matière d’où les formes sont éduites. Averroès hésite à prononcer si cette détermination est en Dieu substantielle ou accidentelle ; mais il est catégorique sur le recours à Dieu comme. fondement dernier des possibles. Inutile de noter que sur ce point, où il était d’accord avec saint Augustin, les scolastiques suivirent Averroès. Disp. III, fol. 25. — b) Ni l’un ni l’autre n’ont distingué comme il convient le possible, à l’état de possibilité, et le possible réalisé, qui vérifie nos jugements, possibtle verum, qu’il définit, possibile positum, distinctum contra non habens causant. Disp. IV, fol. 32. Cf. S. Thomas, Quodlibeta, IX, q. ii a. 3. L’un et l’autre ont vu justement que l’homme est homme, soit qu’il existe soit qu’il n’existe pas ; mais comme ils tenaient que les possibles n’ont de réalité que dans l’esprit, ils n’ont pas su distinguer le possible en tant qu’essence déterminée et le possible en tant que réalité constatée. in actu, verum ; ils ont par suite refusé de donner le nom d’être, ens, au possible pur, ne concevant pas qu’il est un être en puissance, logique ou objective ; et cette première erreur les a amenés à une seconde : ils ont également refusé de donner le nom d’être au possible hors de ses causes, in actu, parce qu’ils ont imaginé rem cum est in actu diversam a se ipsa quando fuit in potentia. Averroès, Metaphys., I. VIII. coin. 16, fol. 106. Cf. Albert le Grand. Postprsedicamenla, c. IX, cité par Capréolus, In IV Sent., 1. 1. dist. VIII, q. i, a. 1, et par Cajetan, De ente et esseittia, édit. Vives d’Albert, t. i, p. 289 ; S. Thomas. In IV Sent., 1. I. dist. XXXIII, q. I, a. 1. ad D"" ; De ente et essentia, ci ; De potentia, q. v, a. 9, ad 16 unt ; q. vil, a. 2, ad 9um. — c) Ils ont été d’autant plus facilement amenés à refuser le nom d’être, ens, esse, à la réalité produite ou hors de ses causes en tant que vérificative du jugement existentiel par opposition a la même réalité comme vérificative du jugement de possibilité, qu’ils partaient d’un faux principe : Onme habens intellectionent additam déterminât aliquid extra animant in actu, toute notion distincte e