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DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES


que par rapport à lT.ssence de l’Un, du Véritable, de l’Être nécessaire, qui est la première d’entre elles, leur principe et leur cause, qui les fait exister, leur donne la durée, leur communique la permanence et la perpétuité, » p— 100. Elles n’ont pas besoin des corps, mais les corps ont besoin d’elles : « si elles n’existaient point, les corps n’existeraient point, car elles en sont les principes. » De même si par impossible l’un disparaissait, tout cesserait d’être. « Et bien que le monde sensible vienne à la suite du monde divin, semblable à son ombre, tandis que le monde divin peut se passer de lui et lui est étranger, néanmoins on ne peut en supposer la non-existence : car il est une suite du monde divin et sa corruption implique le cbangement mais ne comporte pas la non-existence totale, » p. 101. C’est sur cette négation de l’impossibilité de l’annihilation que s’arrête la partie du roman qui nous intéresse ici.

2. Philosophie.

Ibn Tofaïl nous avertit lui-même que si l’on s’en tient au sens exotérique de la philosophie d’Avicenne, on ne peut pas parvenir à l’intuition de l’Un ; mais qu’il en est autrement, si l’on en prend le sens ésotérique, celui de la Philosophie orientale, p. 10. Cf. les Traites mystiques d’Avicenne édités par Mehren, Leyde, 1889. De fait, à qui connaît la philosophie d’Avicenne les intuitions du Veillant sont assez claires. Pour les comprendre, il suffit de penser aux conclusions suivantes du philosophe. — «) Xous connaissons Dieu par la causalité, et par cette voie nous concluons qu’il est l’être premier et nécessaire : mais quand on dit qu’il est premier, on n’entend pas autre chose qu’une relation de son être à l’existence d’autre chose ; et quand on le dit puissant, on signifie que l’être, qui objectivement est l’être nécessaire, est en relation avec ce qui peut recevoir de lui l’existence (le possible). Nous ne pouvons donc— rien affirmer de la nature intrinsèque de Dieu, en dehors de la parfaite simplicité ou unité. Cf., 1. Bacco, In IV Sent., 1. I, dist. II, q. I, a. 1, et le VIIIe livre de la métaphysique d’Avicenne. — b) D’ailleurs, tout vient de l’Un, non par création libre et temporelle, mais par production nécessaire ; en sorte que tout ce qui est existant est nécessaire, et tout ce qui n’est pas existant est impossible. Cf. S. Thomas. De potentia, q. iii, a. 17, ad 4 « 1°. — c) Tout ce qui est produit, bien que l’Un causant nécessairement ne puisse produire immédiatement que l’un, est nécessairement multiple ou réellement composé. Ici Avicenne combine la doctrine d’Avicebron suivant laquelle tout produit est composé de matière et de forme, d’essence et d’existence, avec celle d’Alfarabi qui, admettant les deux compositions réellesd’Avicebron, explique que la matière est produite par la connaissance que le premier effet prend de lui-même ou de sa potentialité. Cf. Avicenne, Metaph., 1. IX, c. IV j Averroès, Destructio destructionum philosophise Algazelis, disp. III, Venise, 1550, t. ix, fol. 29. L’essence et l’existence du produit sont, dit Avicenne, deux réalités objectives réellement distinctes. Car le nécessaire se définissant : ce qui n’a pas de cause, et le produit se définissant : ce qui a une cause, le produit n’est pas nécessaire ; et donc par définition l’existence lui survient, intentio, dispositio addita, accidens : expressions qui n’empêchent pas l’existence d’être une réalité substantielle, aclus substantialis, quand il s’agit de substances produites. Esse accidit omni enti, prætcrquam in necesse esse. Avicenne, Metaphysica, 1. V. Cf. Helias llebrseus Cretensis, Aculissimæ quæstiones, édité à la suite de Jandun, De anima, Venise, 1560, Qusestio de esse, essentia et unà, col. 637. Nous dirons bientôt comment, d’après Alfarabi et Avicenne, du premier composé d’essence et d’existence résulte la matière. Notons seulement ici que la première essence produite, qui est une intelligence séparée, n’est pas une. Car,

dans le système, l’unité est comme l’existence une réalité objective qui survient à l’essence du produit, substantiellement ou accidentellement, en tant que cette essence est unie par manière de cause formelle à la matière corruptible et étendue. Or tel n’est pas le cas pour la première intelligence séparée, qui meut la première sphère. En soi, elle n’est donc ni une ni multiple. —

d) C’est de ces hypothèses, à l’aide desquelles Avicenne pense donner une preuve absolument générale de l’hylémorphisrne, cf. Munk, Guide, t. ii, p. 20. et concilier son plotinisme avec la doctrine péripatéticienne de l’acte et de la puissance, qu’il déduit l’impossibilité de la trinité des personnes en Dieu. Tous les Arabes qui niaient les attributs avaient contre la Trinité un argument commun, à savoir qu’elle est impensable et nécessairement irréelle, vu l’absolue simplicité de Dieu. Outre cet argument valable a fortiori dans l’agnosticisme d’Avicenne, celui-ci en donnait un autre que nous rapporte saint Thomas, qui se garde bien de concéder la doctrine de l’unité d’Avicenne, mais admet que tout être est un ou multiple. De potentia, q. ii a. 1, adll um. Quando res aliqua aliquid habet lantum ab altero, ei secundum se considérâtes attribuitur oppositum ejus ; sicut aer qui non habet lumen 71isi ab alio secundum se considcralus est lenebrosus. Et per hune moduni, omnes creaturm quæ habent ab alio esse, veritatem et necessilatem, sunt non entes, falsse et impossibiles. Sed nihil taie potest esse in divinis. Ergo non potest ibi esse aliquis, qui tant uni habet esse ab alio. —

e) Avicenne explique dans sa Métaphysique, I. IX. c. iv sq., comment de la première essence produite sort la matière et toutes les aulres essences. Saint Thomas le résume fidèlement. Primuni ens in quantum intelligit seipsum producit unum tantuni causatum, quod est intelligentia prima. Dieu n’est conscient qu’autant qu’il produit en dehors de lui : de Plotin à Hegel, Avicenne est un trait d’union comme le Zohar. Intelligentiam primam necesse erat a prima de/icere : utpote potentialilas incepit admisceri actui, in quantum esse recipiens ab alio non est suum esse, sed quodam modo potentia ad illud. Ce quodam modo restrictif est non d’Avicenne, mais de saint Thomas, cf. q. vu. a. 2, ad 9 am.Et sic in quantum intelligit primum ens, procedil ab ea alla intelligentia, ea inferior ; in quantum vero intelligit potentiam suam, procedil ab ea corpus cœli, quod movet ; in quantum vero intelligit action suum, procedit ab ea anima cseli prinii. Et sic consequenter mulliplicantur per multa média res diverse. De potentia, q. iii, a. 16. Pour compléter cet exposé, ajoutons que d’après Avicenne, contrairement à Aristote, dans le monde de la corruption et de la génération aussi bien que dans le monde céleste. les formes étaient produites par la dernière intelligence séparée, qui préside à la sphère de la lune, en sorte que ces formes n’étaient pas tirées de la matière, eductse e potentia materne, celle-ci étant une pure potentialité. De potentia, q. iii, a. 8 ; q. v, a. 1, ad 5um.

Avec ces données le sens ésotérique du système apparaît nettement, et nous pouvons comprendre comment il prétendait conduire à la connaissance par essence de l’Un, véritable et nécessaire, et aussi à l’union, à la fusion, à l’absorption dans l’Un. Saint Thomas l’explique. In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. ii a. 1. Etant donné que la première intelligence voit Dieu intuitivement en se contemplant elle-même et en prenant connaissance de son essence, que par cette vision elle produit la seconde intelligence, et ainsi de suite jusqu’à nous, il suit que la lumière de notre intelligence n’est que la participation de la connaissance intuitive qu’a de Dieu la dernière intelligence séparée, cause de notre intelligence comme de toutes les formes qui sont dans la matière, sansen avoir été tirées : c’est ce qu’indique l’allégorie des miroirs rélléchissants d’après laquelle