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d’une variation de ses doctrines sur Dieu au xni’-siècle, mais elle prétend aujourd’hui imposer cette innovation médiévale, el pour l’imposer ne varietur, elle a recours à c une méthode de compression », dont les premiers fondements sont la négation de tout progrès en théologie depuis le XIIIe siècle et le rejet de tout le passé de l’Église platonisante. Cf. Weber, Histoire de la philosophie européenne, e (’dit. française, Strasbourg, p. 229 ; Picavet, Esijuisse d’une histoire générale el comparée des philosophies médiévales, Paris, 1905 ; le premier de ces ouvrages insiste surtout sur les emprunts faits au péripatétisme, le second sur l’intluence du néoplatonisme. Voir Revue d’histoire et de littérature religieuses, Paris, 1899, l. IV, p. 376. — 2° On entre ensuite dans le détail des doctrines. D’abord, à propos des théories de la connaissance, on met en relief le fait que saint Thomas s’est inspiré plus que ses contemporains de la théorie empiriste de la connaissance intellectuelle d’Aristote, développée par les philosophes arabes dont plusieurs étaient des médecins adonnés aux recherches expérimentales ; puis on oppose cette doctrine à d’autres théories sur l’origine de nos idées et spécialement de la connaissance religieuse, conciliaires, semble-t-il, avec certaines vues modernes ; et l’on conclut au parti pris de médiévalisme aveugle et de péripatétisme outrancier dans l’Eglise catholique. Cf. Eucken, Thomas von Aquino, ein Kampf zweier Welteri, Berlin, 1901. — 3°On prend ensuite le problème par le côté métaphysique ; et l’on dit qu’en introduisant dans la théodicée chrétienne les notions d’acte et de puissance, comme les philosophes musulmans l’avaient fait dans la théodicée du Coran, les scolastiques ont mis en péril ou dans l’ombre le dogme de la Trinité ou de la vie intime de Dieu, qu’ils ont remplacé le Dieu vivant de la Bible par une abstraction, et ont abandonné la notion traditionnelle des rapports de Dieu et du monde ; comme l’acte pur d’Aristote répugne à la création et à la providence, les scolastiques n’ont réussi à sauver en apparence ces dogmes qu’en sacrifiant la divine immanence à une chimérique transcendance. Cf. Delitzsch, Die Gotleslehre des Thomas von Aquino, Leipzig, 1870. — 4° On dit encore, au même point de vue métaphysique, mais en sens contraire : L’hypothèse de la distinction réelle de l’essence et de l’existence daDs le fini est fondamentale dans la doctrine de Plotin, cf. Schindele, Aseitcit Goltes, Essenlia und Existenlia im Neuplalonismus, dans le Philosophisc/ies Jahrbuch, 1909, dans celles d’Avicenne, de Spinoza et des philosophies qui dépendent de leurs spéculations. Cf. Drews, Plotin und der Untergang der antiken 11 ellanschauung, Iéna, 1907 ; Freundenthal, Spinoza und die Scholaslik, Berlin, 1887, p. 95 ; Spinoza, sein Leben und seine Lehre, Stuttgart, 1904, p. 118. Il est vrai qu’une grande partie de l’École, nommément Suarez, a toujours nié et nie cette distinction réelle, et que Spinoza a dirigé ses Cogilata metaplnjsica contre la métaphysique de Suarez, parce qu’il voyait avec raison qu’il ne pouvait établir les principes de son panthéisme agnostique qu’autant qu’il aurait détruit la doctrine du théologien espagnol sur les rapports de l’essence et de l’existence, et sur les êtres et distinctions de raison. Cf. Couchoud, Benoit de Spinoza, Paris, 1902 ; Rivaud, Les notions d’essence et d’existence dans la j^hilosop/iie de Spinoza, Paris, 1906. Mais le reste de l’Ecole a admis cette distinction réelle et s’en est servi pour modifier le sens de la théorie péripatéticienne de l’acte et de la puissance. Donc, la tendance de l’École a toujours été favorable à l’immanence divine au sens moderne du mot, et, malgré son intellectualisme et sa philosophie statique, à la notion de l’Être divin comme l’être indéterminé, en devenir, et par suite indéterminable. — 5° C’est au milieu de ces appréciations contradictoires ou divergentes qu’ont pris position les

modernistes. Schell déduisit du prétendu plotinisme de l’École et des Pères le heus causa sui. Voir, sur les origines de cette idée que l’on trouve déjà chez Raymond de Sébonde, Janet, La métaphysique en Europe, dans la Revue des Deux Mondes, 15 avril 1877. p. 827. D’autres cherchèrent une solution dans l’agnosticisme croyant. De même, disaient-ils, que lee Pères ont pensé Dieu à l’aide des catégories alexandrines, de même les scolastiques ont fait à l’aide des catégories d’Aristote. Ces variations prouvent que les énoncés sur Dieu, même lorsqu’ils se trouvent dans les conciles qui ont nécessairement adopté le l idées

de leur temps, sont sans portée métaphysique et n’ont qu’une valeur de symboles. Cf. Tyrrell, Through Sajlla and Charybdis, Londres, 1907, p. 338.

Ces appréciations montrent bien quels sont les points à élucider dans le sujet qui nous occupe ; les conclusions que l’on en déduit disent aussi quelle est l’importance de la question. Evidemment, le jeu d’opposer ces dires les uns aux autres ne résoudrait pas le problème ; il faut aborder l’étude des faits. Avant d’y venir, il nous paraît utile de présenter quelques observations générales.

/L OBSEliYATIOyS GÉXÉRALES SDR LES APPRÉCIA tions et conclusions PRÉCÉDENTES. — 1° Les adversaires de la scolastique savent qu’en matière de dogmes le concile du Vatican admet un développement, mais seulement eodem sensu eademque sententia. Denzinger, n. 1647. Ils pensent donc nous mettre en contradiction avec nous-mêmes en plaçant en relief les différences que l’on remarque entre la théodicée du XIIe siècle et celle du xiii e, les emprunts faits par le XIIIe siècle à la philosophie d’Aristote et à celle des Arabes, puis en rapprochant ces faits des documents pontificaux qui recommandent aux catholiques l’étude spéciale de saint Thomas.

Laissons de côté pour le moment la question de fait, et notons que, pour arriver à leurs déductions les historiens de la philosophie dont nous parlons donnent aux documents pontificaux auxquels ils se réfèrent un sens qu’ils n’ont pas. — 1. Ces documents, en effet, ne nous présentent pas la scolastique du xine siècle et la doctrine de saint Thomas comme une interprétation nouvelle et absolument inédite du fond des croyances chrétiennes sur Dieu à l’aide d’une philosophie plus relevée ; ils se contentent d’y remarquer une meilleure exposition des données traditionnelles ; et ce pro r qui ne touche en rien à la substance des doctrine » révélées, s’il est dû à l’introduction du péripatétisme, n’a point consisté dans la reproduction servile des idées du Stagyrite. Dans le document le plus précis qu’il ait produit sur ce sujet, Léon XIII parle d’Aristote comme du « païen à qui beaucoup d’erreurs ont échappé » et dont saint Thomas « a rendu chrétienne la doctrine. » Lettre Gravisshne nos, dans les Acta Leonis XIII, Rome, 1893. t. xii, p. 372. Et Pie X. écrivant à l’Académie romaine de saint Thomas, le 23 janvier 1904, pour confirmer les directions de son prédécesseur, expose que Léon XIII a remis en honneur la doctrine de saint Thomas, parce qu’il « avait forgé des armes merveilleusement adaptées à la défense de la vérité et à la réfutation des erreurs, même de notre temps : car ces principes de sagesse que les Pères et les docteurs de l’Église, destinés au bien de tous les temps, nous avaient transmis, personne mieux que saint Thomas, qui les avait puisés dans leurs ouvrages, ne les a disposés selon l’ordre qui leur convient ; personne ne les a mis en plus belle hunier Traduction de la Revue thomiste, juillet 1909. p. 483. La récente encyclique du même pape sur saint Anselme se place au même point de vue de la continuité du développement des doctrines traditionnelles. Le lecteur qui a étudié ce que nous avons rapporté du XIIe siècle