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DIEU (SA NATURE D’APRÈS LES PÈRES)

— En suivant l’exposé de la doctrine patristique sur Dieu, le lecteur a pu remarquer que les Pères se servent de la négation de deux façons, faciles à confondre, mais pourtant distinctes. La première se rapporte à la théologie négative, c’est-à-dire au procédé logique qui consiste à s’élever dans la connaissance de Dieu en niant de lui ce que les créatures sont ou ce qu’elles possèdent. Nous avons vu le développement de cette méthode en partant de Clément d’Alexandrie, col. 1043, pour aboutir à saint Jean Damascène, col. 1129, avec saint Grégoire de Nysse, col. 1094, saint Augustin, col. 1111, et le pseudo-Denys, col. 1122, comme principaux intermédiaires. Nous n’avons pourtant pas trouvé ce procédé chez tous les Pères, ni même chez le plus grand nombre.

Il en va diversement de l’usage, commun à tous, d’appliquer à Dieu des noms ou des épithétes au sens négatif, soit explicitement, comme incréé, immortel, incorruptible, immuable, infini, soit implicitement, comme un, simple, éternel. Ces noms ne désignent pas Dieu par rapport aux créatures, bien que souvent ils emportent, par contraste, une comparaison entre Dieu et les créatures, surtout quand ils sont accompagnés d’une particule exclusive, comme dans cette locution biblique, si fréquemment reprise ou imitée par les Pères : Qui solus habet immortalitatem. I Tim., vi, 16. Directement, ces noms se disent de Dieu pris en lui-même, et par là ils sont absolus, mais en exprimant ce qu’il n’est pas, et par là ils sont négatifs.

Quelle est la portée de ces noms pour notre connaissance de la divinité ? Dans l’interprétation agnostique ou semi-agnostique, elle est nulle, ou du moins sans valeur absolue, puisqu’en eux-mêmes ces noms ne disent rien de positif et que, par ailleurs, on nie toute valeur absolue à la notion positive qu’ils peuvent supposer. Que cette interprétation soit manifestement contraire à la véritable pensée des Pères, toute l’étude qui précède le démontre. De l’attribution faite à Dieu d’appellations négatives, comme de l’emploi de la méthode négative, les Pères ne concluent jamais que nous ne savons rien de la divinité ; nous la connaissons mieux, disent-ils au contraire, et nous en parlons d’une façon plus digne que ceux qui prétendent savoir et exprimer parfaitement ce qu’elle est. Qu’on se rappelle, par exemple, les déclarations de saint Jean Chrysostome, col. 1097, de saint Jérôme, col. 1102, de saint Augustin, col. 1112. La raison, insinuée dans les textes cités, est facile à concevoir. Toutes ces dénominations négatives écartent en réalité îles imperfections, contingence, commencement d’existence, composition, corruptibilité, mutabilité, finitude ou limitation de toute sorte. Nous ne pouvons affirmer de Dieu le contraire qu’en vertu d’une notion positive ei antérieure, qui contienne déjà, au moins en germe, les perfections qui s’opposent à toutes ces imperfections de détail. En d’autres termes, la négation présuppose ici, et présuppose essentiellement l’affirmation ; elle l’implique même comme son fondement. Nous ne pouvons affirmer de Dieu qu’il est incréé, que sous la condition de savoir préalablement qu’il possède en lui-même la raison de son existence, et de sa nécessaire existence. Et ainsi du reste. Si les Pères affirment que non seulement nous n’avons pas, en fait une notion compréhensive de la nature divine, mais que cette nature est, en droit, incompréhensible, c’est en vertu d’un fondement d’ordre absolu, qui n’est autre que l’éminence ou l’infinité positive de l’Être divin.

Nous avons vu, col. 1111, comment le principe se vérifie dans saint Augustin d’après G. Porsche. Même application est faite à Origène par C. Bigg, The christian Platonists of Alexandria, Oxford, 1886, p. 156 sq. : Notre connaissance de la divinité aboutit de toutes part à l’incompréhensible, mais elle a sa racine dans quelque chose de positif, but it is rooted in the positive. Avant de pouvoir connaître ce que Dieu n’est pas, nous devons connaître ce qu’il est. » C’est pour cela, et c’est dans ce sens, que saint Grégoire de Nysse nous a enseigné, col. 1089, qu’il est toujours possible de ramener un nom négatif à un positif, parce qu’il y a corrélation entre les noms négatifs et les positifs se rapportant à un même objet. Cette considération explique encore, comment l’usage, dans la sainte Écriture, des appellations et des épithètes négatives, devient pour nous un principe fécond de connaissance ; car c’est affirmer implicitement en Dieu les perfections qui s’opposent aux imperfections niées de lui explicitement.

Cela ne veut pas dire qu’en toute connaissance de Dieu, même celle que saint Basile, col. 1090, appelait la notion commune, nous trouverons expressément ces perfections, mais elles sont contenues virtuellement dans l’idée de Dieu que nous donnent les preuves de son existence, sans parler de la connaissance acquise par la révélation. C’est un procédé fréquent chez les Pères, que de s’appuyer précisément sur une notion première et positive de Dieu, pour revendiquer contre les païens des attributs d’ordre négatif. Voici un exemple, emprunté à Tertullien, Adv. Marcion., I, 3, P. L., t. II, col. 249 : Deum autem ut scias unum esse debere, quære quid sit Deus, et non aliter invenies. Quantum humana conditio de Deo definire potest, id definio quod et omnium conscientia agnoscet : Deum, summum esse magnum in æternitate constitutum, innatum, etc. Voir Dieu (son existence), col. 883.

4. Dieu connu dans ses attributs absolus et positifs. — Cette conclusion est de toutes la plus importante, puisqu’elle est diamétralement opposée à la thèse semi-agnostique d’une connaissance qui atteindrait Dieu sous un aspect purement relatif. Voir col. 1023. Nous pouvons d’abord la considérer comme un corollaire des précédentes assertions. Dieu nous est connu dans le fait de son existence, de son existence non contingente, mais nécessaire, essentielle. Comment soutenir, sans une contradiction manifeste, que nous le connaissons sous un aspect purement relatif ? L’existence peut, à la vérité, se dire de Dieu dans un sens relatif de causalité ; ainsi en est-il, par exemple, quand Denys et saint Jean Damascène l’appellent l’être de notre être, col. 1125, 1128. Mais les Pères, sans en excepter les deux qui viennent d’être nommés, dépassent ce sens relatif, guidés qu’ils sont par Sap., xiii, 1 : eum, qui est, et surtout par Exod., iii, 14 : Ego sum qui sum. Trop nombreux ont été, pour qu’il soit nécessaire de les rappeler, les témoignages où les Pères ont affirmé sans ambages que l’être convient à Dieu, ou vraiment, ou proprement, ou même exclusivement : et cela précisément parce qu’étant la cause nécessaire des êtres, il est lui-même, mais essentiellement, purement, totalement. Tout se résume dans cette formule, énoncée par saint Grégoire de Naziance. Orat., vi, n. 12, P. G., t. XXXV, col. 737 : À celui-là revient la plénitude de l’être, de qui toutes choses tiennent l’être, ὅλον ἐν αὐτῷ …τὸ εἶναι, παῥ οὖ καὶ τοῖς ἄλλοις ; ou dans cette autre, qui est d’Origène, In librum Regum, homil. i, n. II. P. G., t. xii, col. 1008 : Tu tolus es, cui quod es, a nullo datum est.

Dieu nous est connu dans ses attributs relatifs et dans les noms d’opération qui correspondent à ces attributs : la création, la conservation, le concours et tous les actes qui se rattachent au gouvernement du monde et à la providence. Or ces attributs et Ves noms, pris non plus dans leur rapport au terme ou exercice extérieur, mais dans leur fondement intrinsèque, sortent du relatif et rentrent dans l’absolu. Aussi les Pères les comprennent-ils souvent dans les énumérations de noms qu’ils donnent comme signifiant la substance