Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 4.djvu/529

Cette page n’a pas encore été corrigée

1043

DIEU (SA NATURE D’APRÈS LES PÉRÈS)

1044

appellations, afin que la pensée, ayant où se prendre, ne s'égare pas ailleurs. Nul de ces termes, pris à part, n’exprime Dieu ; pris en bloc, ils indiquent la puissance de l'Être souverain. On dénomme les choses par leurs qualités ou parleurs rapports mutuels ; ce qui ne peut se faire pour Dieu. Enlin il ne saurait être question de science démonstrative, car cette science s’appuie sur des principes antérieurs, mieux connus et rien n’est antérieur à celui qui est incréé. Que reste-t-il, si ce n’est de connaître l’Inconnu à l’aide de la grâce divine et par l’entremise du Verbe, qui est en Dieu ? »

Toute cette doctrine se réduit à trois points. On y trouve d’abord, appliqué à la connaissance de Dieu, un procédé d’analyse ou d'élimination. C’est ce qu’on appellera plus tard la théologie négative, ainsi dite en ce qu’elle procède par voie de négation et conclut en énonçant ce que Dieu n’est point. On trouve ensuite une aflirmation vigoureuse de la transcendance divine ; en troisième lieu, une aflirmation non moins vigoureuse de l’incomprébensibilité et de l’ineffabilité divines. Ces trois points ont donné lieu à des attaques nombreuses et, parfois, très graves. Clément a été accusé d’aboutir, comme les gnostiques que saint Irénée avait combattus, à un Dieu d’une telle transcendance, qu’il faudrait inscrire sur ses autels l'épitaphe athénienne : Ignolo Deo ! ou, du moins, de substituer à la notion chrétienne d’un Dieu vivant et personnel, celle d’un Dieu abstrait, inerte, impersonnel, à la manière néo-platonicienne. Sans aller aussi loin, Tbomassin juge que Clément réduit à de pures négations notre connaissance de Dieu : Lucidenter ante alias Clemens Alexandrinus solis negationibus affirmât nunc a nobis cognosci Deum posse, op. cit., 1. IV, c. iiv n. 4 ; et, plus loin, c. x, n. 2, il le cite, avec d’autres Pères, sous cette rubrique : Niliil proprie dici de Deo posse.

L’accusation, sous toutes ses formes, est exagérée et injuste. Elle repose d’abord sur un examen superficiel et sur une interprétation inexacte de la doctrine incriminée. A s’en tenir au texte même, on n’a pas le droit de s’arrêter, dans le c. XI, là où s’arrêtent d’ordinaire les citations, telles que nous les avons reproduites (en les reproduisant, nous avions toutefois rectifié certaines traductions, trop libres, qui ont cours dans des études faites sur Clément d’Alexandrie ou sur Origène). Après avoir énoncé que, par la méthode d’analyse ou d'élimination, nous arrivons à savoir ce que Dieu n’est pas, le philosophe alexandrin poursuit un développement qui se termine par le célèbre texte de saint Paul sur la vision de Dieu, I Cor., xiii, 12 : Videmus nunc per spéculum et in senigmate, lune aalem facie ad faciem. A la vision intuitive, qui est le privilège des bienheureux au ciel, il oppose une conception positive de Dieu, possible en cette vie, si l’on s'élève, par voie d'éminence, pavaoac’vtov lit : tî Û7tep-LEÎ(j.sva aû-rùi, jusqu'à l’appréhension purement intellectuelle du bien suprême ; mais comme cette connaissance ne s’acquiert pas par l’application immédiate de notre esprit à la vérité divine considérée en elle-même, nous ne faisons guère en cela que ce que Clément appelle t’o y.aTaij.avTcjîcOai toJ ©eoû, c’est-à-dire deviner ou conjecturer. Loc. cit., col. 112. La doctrine est platonicienne : v.iTa ID.i-nova, lisons-nous à la fin de la phrase ; mais il n’en ressort pas moins nettement que, dans la pensée du docteur alexandrin, il ne faut pas confondre la méthode d’analyse qui mène à la contemplation de Dieu et des choses divines avec cette contemplation elle-même. L’analyse précède ; elle prépare l’intelligence en épurant nos conceptions de tout ce qu’elle renferme de matériel ou de complexe. Son rôle, en cela, est vraiment négatif ; elle écarte de Dieu tout ce qui, de près ou de loin, dit quelque chose d’opposé non seulement à la pure spiritualité, mais à l’absolue simplicité : Dieu n’est pas ceci. Dieu n’est pas cela, liieu d’est pas ainsi, etc. Procédé

qui suppose, comme acquise préalablement, une certaine notion de Dieu, positive et suffisante pour expliquer et légitimer ces éliminations. Vient ensuite la contemplation, où l'âme essaie de concevoir Dieu tel qu’il est. Mais Dieu, dans sa nature intime, échappe à notre esprit, puisqu’ici-bas il n’y a pas de vision intuitive de l’essence divine et que rien de ce que nous connaissons ne peut nous donner une idée propre de l'être même de Dieu ; au bout de nos syllogismes Dieu ne se trouvera jamais directement que sous une notion impliquant une relation de cause à effet, comme la notion d'être nécessaire, de cause première, de souverain maître, etc. Laissée à ses seules forces, l’intelligence humaine ne peut donc pénétrer le mystère divin ; elle arrive seulement à comprendre vraiment un point, à savoir que Dieu reste pour elle incompréhensible. Cf. Strom., V, c. XI, t. ix, col. 292. La révélation chrétienne change cet état de choses, non pas complètement, car notre connaissance de Dieu n’est jamais ici-bas compréhensive, même au sens vulgaire du mot, Strom., V, c. i, col. 17 ; mais elle le change partiellement, dans les limites où le Verbe divin, fait homme, nous a parlé de son Père. C’est la conclusion même du second passage de Clément ; conclusion souvent répétée, par exemple, Strom., I, c. xxviii, t. iivi col. 925 ; VII, c. i, t. IX, col. 40k Nous arrivons donc à un Dieu, non pleinement inconnu, mais incompréhensible ici-bas dans sa nature intime ; inconnu par conséquent d’une connaissance propre et intuitive, et pourtant pressenti dans la contemplation, ou partiellement révélé par Jésus-Christ. Voir Hébert-Duperron, Essai sur la polémique, etc., de saint Clément d’Alexandrie, p. 203 sq.

L’interprétation agnostique ou purement idéaliste des passages de Clément que nous venons de discuter ne repose pas seulement sur un examen superficiel et une interprétation inexacte ; elle fausse encore la doctrine générale de ce Père sur la connaissance de Dieu. Elle la fausse en donnant un sens absolu à des négations qui n’ont, chez lui, qu’une portée relative. Quand il nous dit que la méthode d’analyse ne nous apprend pas ce qu’est Dieu, mais ce qu’il n’est pas, il entend parler de Dieu considéré dans son être intime, ou delà nature de Dieu prise au sens restreint du mot ; transposer cette affirmation, en l’appliquant à Dieu considéré d’une façon quelconque, ou à la nature prise au sens large du mot, et de là conclure que notre connaissance de Dieu est purement négative, c’est mettre l’apologiste alexandrin en contradiction flagrante avec lui-même, car l’ensemble de sa doctrine rend, on l’a déjà iiv un son totalement opposé. D’après lui, le mouvement instinctif de notre intelligence ne nous force pas seulement à croire en Dieu ; il nous porte aussi à l’affirmer comme l'Être suprême, premier et unique principe de toutes choses, incréé, éternel, souverainement sage et puissant, provident. Clément reconnaît cette connaissance de Dieu chez des philosophes païens ; elle rentre dans le rôle providentiel qu’il attribue à la philosophie, de préparer les voies au christianisme. Voir t. m. col. 1691. Une fois même, oubliant sa terminologie habituelle et la distinction fondamentale entre l’citt et le rccïo ; èori, il va même jusqu'à dire de l’un d’eux, Cléanlhe. qu’il lui semble avoir fort bien enseigné et' qu’est Dieu, o iroïô ; èutiv ô 0s<S ; . Protr., c. vi, t. iivi col. 180. Ce qui, dans le contexte, ne signifie sûrement pas que ce philosophe avait eu de l'Être divin une connaissance compréhensive ; mais cela prouve du moins qu’aux yeux de Clément, on peut connaître et affirmer de Dieu autre chose que la simple existence ou des formules négatives. En somme, nous trouvons dans ses écrit> une quadruple connaissance de Dieu : la connaissance vulgaire et comme instinctive ; la connaissance déjà supérieure que donne la philosophie ; la connaissance de la foi chrétienne, parfaite relativement, c’est-à-dire-