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DIEU (SON EXISTENCE


la période palrislique, Der Gottesbeweis in der patrislischen Zcit, Fribourg-en-Brisgau, 1869. Beaucoup de monographies sur différents Pères ou ( ; crivains ecclésiastiques contribuent à cette enquête ; elles ont été ou seront indiquées aux différents articles de ce dictionnaire. L’attention des érudits juifs et chrétiens s’est en Allemagne beaucoup occupée des arguments donnés par les grands docteurs du moyen âge, spécialement par saint Thomas. On a surtout étudié l’origine de l’argument du premier moteur, tel qu’il se lit au Contra génies, 1. I, c. xiii. On trouvera le matériel des résultats obtenus et des controverses pendantes dansRolfes, Die Gotlesbeweise beim Thomas von Aquin und Aristoteles, Cologne, 1898 ; Bæumker, Witelo, dans Beitrâge zur Geschichle der Philosophie des Mittelallers, t. iii, p. 288-343 ; Weber, Der Gottesbeweis ans der Beivegung bei Thomas von Aquin, Fribourg, 1902 ; Grunwald ; Geschichte der Gollesbeweise im Mitlelalter bis zum Ausgang der Hochscholastik, Munster, 1907, dans les Beitrâge, t. vi.

Ces essais sont encore très imparfaits pour bien des raisons qu’il serait fort long d’exposer. Qu’il suffise en général de mentionner que la critique actuelle des sources de saint Thomas dépend beaucoup trop du préjugé mis ù la mode par Renan, à savoir que saint Thomas fut surtout un adversaire d’Averroès et s’inspira principalement d’Avicenne. Les emprunts à Avicenne surtout par l’intermédiaire de Mairnonide ne sont pas niables ; il est certain, par exemple, que la terminologie du troisième argument de saint Thomas dans la Somme, I a, q. ii, a. 3, est d’Avicenne. Cf. Mairnonide, Guide des égarés, trad. Munk, Paris, 1861, t. ii, p. 19. Mais il n’est pas douteux que chez saint Thomas cet argument a un sens tout différent de celui que lui donnait Avicenne, puisque saint Thomas a constamment rejeté avec Averroès la distinction réelle de l’essence et de l’existence qu’admettait Avicenne. Cf. S. Thomas, In metaph., 1. IV, lect. il, n. 3 ; 1. X, lect. iii, n. 8 ; De ente et essentia, c. iv, voir le commentaire de Cajetan, q. v, x. On n’a pas assez remarqué aussi qu’en théodicée saint Thomas emprunte a Averroès ses arguments décisifs contre l’agnosticisme d’Avicenne et de Mairnonide et qu’en physique il modifie la théorie du mouvement d’Avicenne. Malgré tous ces défauts, les travaux publiés ont remis en lumière un fait que l’on avait perdu de vue depuis Cajetan et depuis Suarez, à savoir que saint Thomas à la suite d’Albert le Grand, Summa tlieol., part. I, tr. III, q. xviii, m. I, édit. Vives, t. xxxi, p. 119, mais avec beaucoup plus de sens critique, s’est grandement inspiré des philosophes arabes et du juif Mairnonide dans l’exposé qu’il nous a laissé des preuves de l’existence de Dieu. Il nous en avertit d’ailleurs luimême, Contra génies, 1. 1, c. xiii, procedamus ad ponendum raliones quibus tam philosophi quam doctores catholici Deum esse probaverimt.

Il faut donc distinguer dans saint Thomas deux sources : la tradition chrétienne qu’il reçoit du Mailre des Sentences, et la tradition péripatéticienne qu’il reçoit des philosophes arabes et juifs. Ce qui provient de ces derniers nous intéresse seul ici, et on peut le ramener à deux points. D’abord, saint Thomas emprunte à la philosophie arabe l’argument du premier moteur tel qu’il le développe dans le Contra génies, loc. cit. L’idée foncière de cet argument est la suivante : le changement est un passage de la puissance à l’acte ; c’est la définition du mouvement métaphysique et celle-ci n’est pas discutée ; mais, pense saint Thomas, aucun passage de la puissance à l’acte ne se fait dans le monde de notre expérience sans qu’un mouvement de translation, motus localis, moins physicus, n’ait précédé. Ce que Mairnonide exprime en ces termes : « Le mouvement de translation est antérieur à tous les mouvements et en est le premier selon la nature ; car même la nais sance et la corruption sont précédées d’une transformation ; et la transformation à son tour est préct

d’un rapprochement entre ce qui transforme et ce qui doit être transformé ; enfin il n’y a ni croissance ni décroissement sans qu’il y ait d’abord naissance et corruption. » Loc. cit., p. 13. Si donc on constate un changement, il y a eu mouvement local : Omne molum movetur ab alio ; mais cela ne peut pas se continuer à l’infini. Donc. Voir le développement du raisonnement dans Mairnonide, loc. cit., p. 29, et remarquer que saint Thomas emprunte au rabbin jusqu'à ses exemples : « cette pierre qui se meut, c’est le bâton qui l’a mise en mouvement ; le bâton a été mû par la main, » ] etc. Le second emprunt de saint Thomas consiste à dire que la non-éternité du monde ne se démontre pas ; proposition qui excila beaucoup de murmures, comme nous l’apprend saint Thomas lui-même dans son opuscule De xlernitate mundi contra murmurantes, et l’on sait que parmi ceux-ci se trouvait saint lionaventure. Voir t. iii, col. 2174. De là saint Thomas concluait que les preuves de l’existence de Dieu doivent être indépendantes de la question de la création proprement dite ou tout au moins du dogme de la création dans le temps. Cette position fut empruntée par lui à Mairnonide. Cf. Worms, Die Lehre von der Anfanglosigkeit der Welt, etc., dans les Beitrâge de Dæumker, t. m ; Raymond Martin, Pugio fidei, part. I, c. vi sq. ; Guttmann, Moses ben Maimon, Leipzig, 1908, t. i. p. 189.

Ces deux emprunts de saint Thomas à la spéculation orientale n’ont pas eu la même fortune dans les écoles. Bien qu’on trouve encore jusqu’au XVIIIe siècle cette question discutée par les auteurs, an eœistenlia Dei possil demonslrari permisso progressu in infinitum, bien que ce problème ait encore une grande utilité pédagogique, il semble que l’accord est fait pour le résoudre dans le sens de saint Thomas. Cf. l’exposé de la question dans Sertillanges, La preuve de Dieu et V éternité du monde, Paris, 1897 ; Les sources de la croyance en Dieu, Paris, 1905, p. 69 sq. ; Hontheim, Institutiones theodicese, Fribourg-en-Brisgau, 1893, n. 198. Ce qui ne veut pas dire qu’on s’interdise le droit de chercher à montrer directement la répugnance du progrès à l’infini, soit qu’on admette les nombres infinis, soit qu’on les rejette. Quant à l’argument du premier moteur tel que saint Thomas l’a compris, il y a longtemps qu’il ne s’enseigne plus, même dans l'École thomiste. L’histoire en serait fort curieuse, mais longue ; voici quelques points de repère sans discussion.

Pour Scot comme pour saint Thomas, les corps ont un lieuet un appétit naturel pour ce lieu. Cf. Sum. theol., I a, q. vii, a. 3. Ils l’atteignent ou y tendent par divers changements qui se font sous l’action des sphères célestes, celles-ci se communiquant de degré en degré le mouvement de la première sphère. Celle-là est mue par le premier moteur. Mais, observe Scot. dans ces conditions l’argument tiré de l’impossibilité du progrès à l’infini du mouvement local ne prouve pas l’existence de Dieu. En effet, 1. le principe quod movetur, ab alio movetur, entendu dans ce sens qu’un mouvement local précède tout changement, n’est pas un principe universel et nécessaire ; car il admet bien des exceptions, spécialement dans les êtres libres et vivants. L’induction ne prouve ce principe que dans les limites suivantes : quod movetur, ab alio etiam movetur, c’est-àdire rien dans notre expérience n’est la cause adéquate de son mouvement, cf. Suarez, Disp. melaphys., disp. XXII, sect. il, n. 23, 17 : si on l'étend davantage, il est faux, quia aliquid potest esse pi actu virtuali et i » potentia formali. In IV Sent., 1. I, dist. III, q. vii, n. 28 sq. Ce qui peut se traduire familièrement : dans le monde, il n’y a pas que des toupies à fouet, mais aus>i des toupies à ressort. — 2. D’ailleurs, si l’on adme ! l’hy-