Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 4.djvu/453

Cette page n’a pas encore été corrigée
883
884
DIEU (SON existence ;


nement parfait, infini, éternel, omniprésent, créateur et maître de toutes choses. Au contraire, c’est un lieu commun de l’apologétique patristique d’insister sur la grande supériorité de la notion révélée et chrétienne de Dieu. D’où l’Ecole a conclu que les formules par lesquelles les Pères ont exprimé la connaissance spontanée que nous avons naturellement de Dieu ne doivent pas se prendre au sensahsolu, mais bien au sens relatif. Ce n’est que depuis Descartes qu’on a imaginé des sauvages, remplis de l’idée explicite d’infini. On ne veut pas insinuer par là que la philosophie païenne ne pouvait pas s'élever à la notion d’infini et l’appliquer à Dieu, mais seulement que rien n’est moins conforme à l’observation et à la tradition chrétienne que de prétendre que l’infinité de Dieu est une idée spontanée, qui s’impose clairement à tout homme venant en ce monde dès le début de sa vie morale.

D’un autre côté, les Pères supposent chez les païens plus et mieux que l’idée obscure de Dieu dont nous avons parlé. En effet, pour affirmer que les païens connaissaient Dieu, les Pères s’appuyaient non seulement sur leur expérience personnelle du monde et du cœur païens, mais encore sur l'Écriture. Or on ne peut pas douter que saint Paul, Rom., i, II, et l’auteur de la Sagesse, xiii, xiv, aient parlé d’une connaissance de Dieu qui le distinguât du reste des êtres : invisibilia conspiciuntur, creator horum videri. Jl est vrai que saint Augustin a quelquefois pris pour point de départ dans son argumentation la connaissance obscure de Dieu ; mais un don médiocre d’observation psychologique suffit pour se rendre compte que la masse de l’humanité n’a jamais été, n’est pas et ne sera jamais capable de découvrir spontanément les déductions que saint Augustin a appuyées sur cette base. D’ailleurs, saint Augustin dans ses démonstrations psychologiques, qu’il ne donnait pas non plus comme spontanées ou possibles sans quelque maïeutique, prétendait bien s'élever au-dessus de l’idée obscure de Dieu. La plupart des Pères, sans remonter comme saint Augustin jusqu'à la racine profonde de l’inquiétude religieuse de l’homme, se contentaient de partir du fait de l’idée de la divinité distincte du monde. Qu’on lise par exemple le Discours contre les gentils de saint Athanase, on y remarque vite que le but de l’auteur est moins de prouver l’existence de la divinité que de faire reconnaître et avouer le vrai Dieu. Le grand docteur était donc convaincu que l’idée de Dieu était tellement présente à la pensée des païens qu’il suffisait de la rapprocher des notions qu’ils se faisaient soit du double principe soit des dieux anthropomorphes, etc., pour les amener à reconnaître la contradiction entre leur pensée intime et la religion ou le culte qu’ils professaient. Saint Grégoire de Nysse nous a donné un bon résumé de la méthode apologétique des Pères. Si l’infidèle ne croit pas à l’existence de la divinité, on la lui prouvera par l’ordre du monde ; s’il admet cette existence, mais erre sur la nature divine, on lui fera remarquer que, même dans sa pensée, les dieux sont excellents (superlatif relatif) : o-j yàp av '£-<. Œôtt, to ; tiç cy_o ; ï] ûït^X »)<plv, ou y) toO yîîpovo ; oûx arceem irpoTY)Y P'- a ' Et par ce moyen terme on lui fera avouer que la divinité n’est pas multipliée, qu’elle est intelligente, etc. Oralio catechetica, P. G., t. xlv, col. 12. Mais cette méthode suppose évidemment plus qu’une idée obscure de Dieu au début ; et, si celle-ci seulement est présente, l’emploi de l’argument de l’ordre du monde, en même temps qu’il prouve l’existence de la divinité, amène à la concevoir comme distincte de tous les autres êtres.

Si la connaissance initiale, spontanée et universelle de Dieu n’est ni la connaissance développée et de soi exclusive des erreurs sur Dieu, ni seulement la connaissance obscure, il reste qu’elle est ou une connaissance distincte ou au moins une connaissance confuse. Or

elle n’est pas une connaissance distincte, c’est-à-dire une connaissance qui exprime d’une façon nette et explicite la nature intime de Dieu. Si, en effet, les païens eussent eu la connaissance distincte de Dieu, ils n’eussent pas honoré les idoles ; de plus, toute l’argumentation des Pères eût été inutile, puisqu’elle n’a pas d’autre but que d’amener les païens à cette connaissance distincte. Il reste donc que la connaissance spontanée de Dieu est une connaissance confuse.

Que la connaissance confuse exprimée par les trois groupes de formules précédemment rapportés soit une connaissance par dénominations extrinsèques, la chose est facile à prouver. Car, si Dieu n’avait rien créé, il serait en lui-même exactement ce qu’il est, puisqu’il est absolument immuable, éternel et indépendant. Dans cette hypothèse, il ne serait donc pas relativement le meilleur des êtres existants, la cause de fait de cet univers, la fin à laquelle de fait nous sommes ordonnés. D’où il suit que celui qui conçoit Dieu simplement et rigoureusement comme le meilleur de tous les êtres existants, comme la cause de fait du monde, comme l'être dont la non-existence est pour nous inadmissible et dont l’idée excite en nous certains états affectifs d’ordre moral et religieux très spéciaux, 1. distingue bien Dieu des autres êtres, mais 2. ne conçoit directement et explicitement rien des constitutifs intrinsèques de la nature divine. Cette dernière conséquence est évidente, car la nature divine considérée en soi serait exactement ce qu’elle est dans une hypothèse où de fait rien de ce que cet homme affirme ne serait exact. C’est dans ce sens que Cajetan, parlant de la conclusion directe et explicite des cinq preuves de l’existence de Dieu proposées par saint Thomas, remarque que ces preuves ne prouvent pas Dieu, ut Deus est, mais seulement l’existence d’un être à qui conviennent certains prédicats, qui objectivement ne se trouvent réalisés qu’en Dieu : prsedicata quædam inveniri in rerum natura, quæ secundum veritatem sunt propria Dei. In Sum., I », q. il, a. 3. Cette simple remarque suffit à résoudre les neuf dixièmes des difficultés proposées par et depuis Kant contre la démonstrabilité de l’existence de Dieu. Cf. Tolet, In P iii, Rome, 1869, t. I, p. 69, n. 3 : Jean de Saint-Thomas, lu 1. q. il, disp. III, a. 2, n. 1 ; Gayraud, dans la Revue de philosophie, juillet 1908. Cette doctrine n’est pas d’ailleurs particulière à Cajetan, comme le montre la thèse classique suivante, tirée de saint Anselme, Monologium, c. xiv, P. L., t. CLVIH, col. 162, et de saint Thomas, Sum. theol., I a, q. XIII, a. 2, ~, ad l'"> : .4/tribula contingenter relaliva ad creaturas, fomialiter considerata, nihil rcale in Dco exprimunt ; quanijuam malerialiler et fundamentaliter considerata divinam ipsam substantiam désignant. Cf. Urraburu. Institulionès philos., Valladolid. 1899, t. vii. p. 299 ; d’Aguirre, Theologiasancti Anselmi, tr. III. disp. XX III. sect. ii, Rome, 1688, 1. 1, p. 411. Cf. Tertullien, Advenu » Hermogenem, c. ni, P. L., t. n. col. L 79 ; S. Grégoire de Nazianze, Orat., xxviii, n. 9. P. G., t. XXXVI, col. 55. Or, celui qui conçoit Dieu rigoureusement en fonction, soit de la dépendance des créatures à leur auteur, soit de ses tendances morales et subjectives, n’atteint que les attributs relatifs de Dieu ; il ne porte donc par là, si sa pensée ne va pas plus avant, aucun jugement déterminé sur la nature de Dieu considéré' en soi, puisqu’il le désigne seulement par des dénominations extrinsèques tirées de ses œuvres.

Ici un très grave problème se pose. Nous avons dit que la cgnnaissance confuse se rencontre de deux façons : ou bien la nature intrinsèque de l’objet nous échappe totalement, et alors l’objet est désigné par de pitres dénominations extrinsèques ; ou bien la nature de l’objet, désigné par des dénominations extrinsèques, ne nous échappe pas totalement, mais l’esprit ne dis-