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DIEU (SON EXISTENCE)

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fondements. Car il faut ici marcher entre deux écueils. Depuis que Descartes a misa la mode les idées claires, un très grand nomhre d’auteurs admettent que nous n’avons pas d’idée réelle de Dieu à moins qu’explicitement nous ne saisissions la note d’infini té. Cf. Janet, Principes de métaphysique, Paris, 1897, t. ri, p. 8(i ; Desbuts, Annales de philosophie chrétienne, juin 11)08, p. 258. De là, les préjugés très répandus contre l’universalité de la connaissance de Dieu, contre ladémonstrabilité de cette existence ; dé> là aussi, les essais très nombreux de se passer des preuves rationnelles de l’existence de Dieu : le traditionalisme, l’intuitionisme, le sentimentalisme ont dû une grande partie de leurs succès à cette préoccupation. A l’opposé du cartésianisme, nous rencontrons l’agnosticisme moderne. L’universalité du fait religieux s’est imposée aux esprits, et la critique de la connaissance a ruiné l’intellectualisme outré des idées claires cartésiennes : idea clara, dit la Philosophie de Lyon, ea est quee objectum sunm ila représentât ut quid et quale sit bene intelligatur. Philosophia Lugdunensis, Lyon, 1807, t. I, p. 31. On s’est enfin aperçu que nous pouvons désigner Dieu par des dénominations extrinsèques : ce dont convient toute l’École. Mais, sous l’influence du nominalisme, empiriste ou idéaliste, on a avec Hobbes, Pascal, Locke, Kant et Spencer limité notre pouvoir de connaître Dieu à ce mode de connaissance. Il en est résulté la théorie de « l’unité des religions sous la diversité des théologies, » chère d’abord aux protestants libéraux, T. Parker, Discourse of mallers pertaining lo religion, 1816, p. 14, puis aux positivistes et aux historiens des religions, Spencer, Principes de sociologie, 1876-1882 ; Frazer, Golden Bougli, Londres, 1890 ; Salomon Reinach, Cultes, mythes et religions, Paris, 1906 ; Chantepie de la Saussa je, Manuel d’histoire des religions, trad. Hubert et Lévy, Paris, 1904 ; Morris Jastrow, The study of religion, Londres, 1901 ; enfin aux positivistes orthodoxes, comme F. Harrison, The plûlosopliy of common sensé, Londres, 1907 ; et aux modernistes. Cf. Tyrrell, Through Scylla and Cltarybdis, Londres, 1907, p. 272 sq. VoirMackintosh, Christian theology and comparative religion, dans YExpositor, septembre 1907 ; Toutain, Éludes de mythologie, Paris, 1909 ; G. Foucart, La métlwde comparative dans l’histoire des religions, Paris, 1909. La vérité se trouve entre ces deux extrêmes. On peut avoir l’idée valable du vrai Dieu sans avoir l’idée claire de l’infini, que se donnent les cartésiens ; la connaissance spontanée de Dieu va plus loin qu’une simple désignation de Dieu par de pures dénominations extrinsèques.

Comme, depuis Descartes, beaucoup de termes dont nous avons ici besoin ont changé de sens, il est nécessaire de rappeler la terminologie de l’École. On y oppose l’idée claire à l’idée obscure. On définit l’idée claire, celle qui distingue son objet de tout autre objet, l’idée obscure, celle qui ne le dislingue pas ainsi. L’idée claire est ou bien confuse, ou bien distincte. L’idée claire est dite confuse, si l’objet y est distingué de tout autre par des dénominations extrinsèques, sans que l’esprit porte de jugement déterminé sur la nature intime de l’objet ; cela peut se faire de deux façons, suivant que la nature intime de l’objet échappe totalement à l’esprit (pures dénominations extrinsèques), ou suivant que l’esprit atteint quelques notes ou propriétés caractéristiques intrinsèques de l’objet, mais sans les distinguer expressément (connaissance implicite, interprétative, virtuelle, etc.). Enfin l’idée claire est dite distincte, expresse, explicite, si elle atteint d’une façon nette la nature intrinsèque de l’objet. Plus on atteint, mieux on distingue les notes de l’objet, plus la connaissance est parfaite, bien que, s’il s’agit de Dieu, la connaissance la plus parfaite soit celle qui se rapproche davantage de la divine simplicité. Nous emploierons

cette terminologie classique, parce qu’elle est plus précise et beaucoup plus psychologique que le langage d’origine cartésienne.

Universalité de la connaissance spontanée de Dieu.

— Les Pères ont beaucoup insisté sur la connaissance spontanée, naturelle, commune à tous les hommes, même aux païens. Cf. Tertullien, Adversus Marcionem, c. x, xiii, P. L., t. il, col-. 257, 260 ; De testimonio animas, 1. 1, col. 609 sq. ; Apologeticus, c. xvii, col. : voir Xourry, ibid., col. 804 ; S. Irénée, Cont. hær., l. II, c. «, P. G., t. vii, col. 724 ; S. Cyprien. De idolorum vanilate, n. 9, P. L., t. IV, col. 577 ; Clément d’Alexandrie, Cohortatio ad génies, c. vi-ix. P. G., t. viii, col. 174 ; Strom., Y, c. XIH sq., ibid., t. ix, col. 127 ; S. Augustin, In Joa., P. L., t. xxxv, col. 1910 ; S. Cyrille d’Alexandrie, Contra Julianum, l. ii, P. G., t. lxxvi, col. 580 ; S..lérôme, Comment. inEpist. ad Gal., l. I, c. i, 15. P. L., t. xxvi, col. 326 ; Cornn, , in Epist. ad TH., c. I, 10, ibid., col. 570. On sait que l’auteur du De vocatione gentium met en relief cette connaissance spontanée de Dieu, comme premier moyen de salut donné par la bonté divine à tous les hommes. Saint François-Xavier eut recours à la même pensée lorsque, pour répondre aux Japonais qui lui objectaient qu’un Dieu bon ne les eût pas laissés tant de siècles sans moyen de salut, il leur répondit qu’ils l’avaient toujours connu par la loi morale. Lettres de saint François-Xavier, trad. Pages, Paris, 1855, t. ii, p. 225, lettre de Cochin, 29 janvier 1552. Bossuet n’a donc fait que résumer l’enseignement traditionnel, lorsqu’il a parlé de l’étincelle du feu céleste qui brille dans nos âmes, du secret instinct qui élève nos yeux au ciel vers l’arbitre des choses humaines dans toutes les nécessités de la vie : « c’est une adoration que les païens même rendent, sans y penser, au vrai Dieu ; c’est le christianisme de la nature ou, comme l’appelle Tertullien, le témoignage de l’âme naturellement chrétienne. » Premier sermon pour la Circoncision, édit. Lebarq, Lille, 1890, t. i, p. 251 sq.

L’École, avant et après Bossuet, est restée fidèle à la tradition sur le fait de l’universalité de la connaissance de l’existence de Dieu, mais sans nier, comme les cartésiens, toute possibilité de l’athéisme négatif, et sans prétendre que tous les hommes ont l’idée claire de l’infini. Cf. Hontheim, Inslitutiones theodiceæ, Fribourgen-Brisgau, 1893, n. 615 ; Bœdder, Theologia naturalis, ibid., 1895, n. 147 ; Kleutgen, Philosophie scolastique, n. 225-232, 432 sq., 929 ; Dublin review, 1869, t. n. Explicit and implicit thought, p. 421-442 ; 1871, t. i. Certitude in rcligious assenl, p. 253-275, à propos de la Grammar of assent de Newman.

Connaissance spontanée et obscure de Dieu.

Tous les anciens scolasliques, disent les savants commentateurs desaint Bonaventure. Quaracchi, 1882, t. i. p. 156, tiennent que l’existence de Dieu nous est » er se nota, s’il s’agit d’une connaissance obscure : non sub ratione propria, sed communi. nempe cutis, unius, veri, boni, beatiludinis, etc. Laissons de côté les nombreuses controverses verbales sur l’expression perse nota ; elle signifie que la vérité de la proposition dont il s’agit apparait évidente, dos qu’on en comprend les termes. Par exemple, le tout est plus grand que « a partie, est une proposition per se >wla, parce que, les termes saisis, l’esprit perçoit nécessairement, sans réflexion ultérieure, et sans aucun discours, la vérité de la proposition. Cf. Jean de Saint-Thomas, Cursus théologiens, In /"", dis]). III, q. ii, a. I ; Frassen. Seotut academicus, Home. 1900. p. 108. Voici comment Alexandre de llalés explique la connaissance obscure de Dieu : Cognitio alicujus potest esse duobus modis, in ratione communi et in ratione propria. Potest igitur aliquid cognosci in ratione communi, et tami’ii ignorarisub ratione propria, sicut cum aliquis