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DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)


turel de foi, au cas de l’adhésion certaine, que naturellement nous sommes capables de donner rationnellement à l’existence de Dieu. Jansénius, on s’en souvient, avait eu la même conception ; les païens qui ont connu Dieu, d’après lui, ont rc(, u la grâce surnaturelle de l’amour ; dans et par cet acte libre ils ont connu Dieu, dont ils ont pu rationnellement se légitimer ensuite la connaissance par le discours.

A cette conception on oppose le raisonnement suivant, qui n’est pas usé pour avoir servi contre les traditionalistes. Si vous prétendez que l’existence de Dieu ne peut pas être aflirmée avec certitude sans un acte essentiellement libre (produit avec ou sans la prémotion physique, avec tel ou tel secours surnaturel, etc., peu importe), vous devez concéder qu’antérieurement à cet assentiment libre personne n’a et ne peut avoir la connaissance certaine de Dieu — c’est bien de fait ce que les apologistes de l’immanence soutiennent, les mots « action, vie, orientation », etc., désignant un acte libre. D’où la singulière conséquence : dans votre système, avant d’avoir librement voulu tenir pour certaine l’existence de Dieu, c’est-à-dire avant d’avoir produit l’acte libre dans et par lequel, ou bien à la suite duquel, on connaît Dieu, il est impossible à l’homme de se considérer rationnellement comme obligé en conscience de suivre la loi naturelle ; car cette obligation ne va pas sans la connaissance certaine du législateur. Et qu’on ne dise pas : Mais, comme beaucoup de théologiens, nous admettons le fait initial de l’obligation. Car il y a disparité. En effet, les théologiens qui admettent la valeur de la preuve de l’existence de Dieu par le fait de l’obligation, montrent que ce fait entraîne la connaissance certaine de Dieu — en cela vous faites comme eux ; mais ces mêmes théologiens ne donnent à la liberté aucune part dans la genèse du fait de conscience subjectif, qu’on appelle le sentiment de l’obligation. Or, dans votre système, si la liberté n’intervient pas dans la genèse du sentiment de l’obligation, ce sentiment ne peut pas impliquer la connaissance certaine de Dieu, puisque, dans voire doctrine, l’existence certaine de Dieu ne peut être affirmée que par un acte libre. « Sous une forme ou sous une autre, écrit M. Blondel, Lettre sur les exigences, etc., p. GO, est fait nécessairement à l’homme un don surnaturel… et l’homme doit sentir en quelque manière l’obligation d’accepter ce don. » Et si la liberté intervient dans la genèse du sentiment de l’obligation, de la responsabilité — ou du fait psychologique quelconque qui vous sert de base, car la nature spécifique de ce fait est ici indifférente, pourvu qu’il dépende de la liberté — si, dis-je, la liberté intervient dans le fait qui sert de base à votre argumentation pour prouver l’existence de Dieu : que devient chez vous la morale ? Sera obligé, qui le voudra bien. Quant à trouver Dieu, l’Etre non pas seulement subjectivement nécessaire, mais l'Être objectivement nécessaire, en partant d’un tel fait, il n’y faut pas songer : debiliorem scquitur 'parlent conclusio. Tout au plus, déduirez-vous « la catégorie de l’idéal », esthétique, eudémonique, social, etc. Et la nature intrinsèque du concours ou du secours que vous mettez à la clef, ne changera rien à la portée du résultat. Il ne restera toujours qu’une vérité et qu’une certitude subjectives à la fin de tous vos raisonnements. Mais, s’il en est ainsi, que deviennent la connaissance et la certitude rationnelles définies par le concile ? Il faut s’en souvenir ; le mot cerlo fut très attaqué au concile. Un amendement proposa de le supprimer, Acta, col. 224, « comme superflu pour les catholiques, puisque connaître et connaître avec certitude sont équivalents, et comme très utile aux rationalistes, » qui en profitei lient sans doute pour s’en tenir à la religion naturelle de Wegscheider et de Jules Simon. Le concile, pour éviter un abus possible, ne voulut pas sacrifier la vérité ;

il préféra maintenir les droits de la raison et vota le mot cerlo, dont cette discussion montre les conséquences et la portée.

Une autre cause de l’illusion des mêmes apologistes est leur appréciation de la doctrine du concile relativement à l'état de nature pure. Cf. Iiirot, dans les Annales de philosop/iie chrétienne, t. eu, p. : #> ; Fonsegrive, dans le Correspondant, juin 1908, p. 1166. Il est vrai, comme ils le disent, que le concile n’a pas défini la possibilité de l'état de nature pure. Mais il est absolument faux que les théologiens ne peuvent et ne doivent rien déduire du concile relativement à cette » possibilité, il est absolument faux que, relativement au pouvoir spécial de connaître Dieu avec certitude par la raison naturelle, les controverses antérieures au concile soient restées en leur état. Acta, col. 1623 sq. Le lecteur aura remarqué dans nos citations que l’expression « état de nature pure » est revenue souvent dans les discussions du concile. Cependant, le concile n’a rien décidé sur ce sujet directement ; il s’en est tenu à ce qui se trouve dans l'Épitre aux Romains, entendue, non au sens luthérien, calviniste ou janséniste, mais au sens de la tradition catholique.

Nous pourrions nous contenter ici de conclure : comme les théologiens prouvent très bien que l'Écriture ainsi entendue exige la déduction de la possibilité de l'état de nature pure, la question est vidée. Mais, , sans entrer dans ce très vaste sujet, bornons-nous au point spécial qui nous occupe. Le concile a voulu définir qu’il y a, dans « l’homme en général », un pouvoir physique de connaître Dieu par les lumières de la raison naturelle ; ce qui signifie que ce pouvoir est un des constitutifs intrinsèques de l’homme, quelque chose qui est de l’essence de l’homme ou qui en découle nécessairement, de telle sorte que, quoi qu’il en soit des conditions de l’exercice de ce pouvoir, ce pouvoir existe par le fait qu’un individu humain est donné. Les anciens protestants et les jansénistes concédaient que dans l’idée de l’homme se trouve un tel pouvoir ; mais ils ajoutaient que l’homme déchu l’a perdu et quel’homme relevé ne l’a que par la foi. Or, nous avons vu que saint Paul, parlant de l’homme déchu et relevé, c’est-à-dire de l’homme tel qu’il est de fait, de « l’homme historique », affirme qu’il ace pouvoir ; et, . aussi bien dans saint Paul que dans le livre de la Sagesse, le moyen objectif et le moyen subjectif assignés ne sont ni la révélation proprement dite, ni la foi, mais le témoignage des créatures et la raison. La conception protestante et janséniste des suites de la chute et de la rédemption se trouve donc, sur ce point spécial, condamnée.

Cependant, bien que saint Paul parle de « l’homme historique », on peut légitimement et on doit affirmer le même pouvoir de « l’homme en généra] ». Qu’est-ce. en effet, que « l’homme en général » ? Rien autre que les principes constitutifs de l’homme et tout ce qui en découle nécessairement, ce sans quoi on ne peut pas penser l’homme et cette expression connote en même temps qu’on fait abstraction des conditions particule des individus de l’espèce humaine et qu’on doit cette notion à l’observation de l’espèce humaine, telle qu’elle nous est donnée dans l’expérience : en d’autres termes, la base de cette idée abstraite est, non un être de raison, mais l’homme historique. Mais, si l’homme en général n’est pas autre chose que cela, il se trouve que saint Paul, partant et parlant lui aussi de l’homme historique, ne disant rien des conditions particulières des individus, et affirmant d’une manière absolument universelle dans l’homme historique l’existence d’un pouvoir subjectif de connaître Dieu auquel correspond un moyen objectif, les créatures, énonce une proposition sur l’animal raisonnable, qui est l’homme en général, comme font tous les jours les philosophes et aussi beaucoup de ceux.