qu’autant qu’il existe réellement, ot parce que nous ne pouvons pas concevoir Dieu comme cause première el nécessaire sans le supposer lui-même existant. Il suffit d'étendre cette observation à d’autres arguments moins célèbres, mais également historiques, et de la joindre aux deux singularités précédentes pour comprendre les explications variées des Pères sur la genèse de la première idée de Dieu.
En effet, tous ne parlent point, et le même Père, par exemple saint Augustin, ne parle pas toujours de la même espèce de connaissance de Dieu : d’où le besoin chez les Pères comme chez les scolastiques, de proposer des arguments très différents. En second lieu, le fait que l’idée de Dieu trouve un écho profond dans notre conscience amena ces écrivains à donner souvent une grande importance au procédé par lequel, d’une manière réflexe, on peut remonter à Dieu en partant de la conscience morale et de la vie religieuse : toutes choses qui, elles aussi, font partie du pcr ea quæ facla sunt. Entrer dans cette voie était d’autant plus naturel que la grande facilité et la grande limpidité de la connaissance rendent peu perceptible le procédé psychologique qui y intervient. Si l’on joint à ces observations, qu’il est, dans le cas singulier dont il s’agit, très facile de s’illusionner sur « la valeur de preuve » des arguments d’allure scientifique, réflexe et consciente que l’on apporte ; et si l’on ajoute, d’une part, que les Pères n’emploient pas de formules exclusives, comme font tant de modernes, d’autre part, que pour eux qui, ainsi que les théologiens, n’admettaient pas facilement l’absence de toute idée de Dieu dans l'âme, les preuves scientifiquement développées étaient beaucoup plus des moyens d'écarter les doutes ou de parvenir à une connaissance plus parfaite, que des recettes pour faire naître la première conviction de l’existence de Dieu ; on se rendra compte de l'état de la littérature patristique, et de la réserve très prudemment scientifique de saint Thomas, du concile du Vatican et des théologiens qui les suivent.
c. Une dernière raison de cette réserve est l'état des données scripturaires. L'Écriture propose, il est vrai, des arguments en faveur de l’existence de Dieu, mais sans dire partout que ces arguments nous en donnent la première idée. Or, si le débat contre les kantistes et les positivistes s'étend aussi à ces arguments, la controverse avec les traditionalistes roulait surtout sur la première idée de Dieu. D’ailleurs, décider de la première idée à l’aide d’un texte révélé, c'était trancher dans leurs racines profondes toutes les difficultés pseudo-théologiques sur les suites de la chute qu’avaient soulevées Luther, Calvin, Illyricus, etc., Jansénius, Pascal, Quesnel, etc., Hautain, etc. ; c'était ruiner toutes les prétentions du pseudo-mysticisme contre la connaissance rationnelle en matière religieuse ; c'était juger les doctrines, diverses en apparence, mais se réduisantau fond au nominalisme, que différents philosophes employaient pour ruiner, soit la possibilité, soit la valeur, et de l’idée rationnelle de Dieu et des arguments classiques en faveur de son existence. Or, deux passages de l'Écriture, Sap., xiii ; Rom., i, 18 sq. ; spécialement ce dernier, permettaient de décider dogmatiquement les controverses pendantes ; la tradition était d’ailleurs ferme sur le sens du texte de saint Paul. Saint Irént’e et Tertullien s’en servent déjà contre l’agnosticisme des gnostiques. Cf. Irénée, Conl. Iiœr., l. IV, c. vi, P. G., t. vii, col. 939, 1061 ; Tertullien, Adv. Herruogen., c. xuvsq., P. L., t. ii, col. 238. Dans l'Épitrc aux Romains, saint Paul veut montrer que les jugements de Dieu sont justes, soit sur les Juifs, qui ont la révélation, soit sur les païens, qui ne l’ont pas. La conduite de Dieu à l'égard des païens est juste : « Car la connaissance de Dieu est à leur portée ; Dieu, en effet, la leur a clairement proposée. Car, depuis la création du
inonde, les attributs invisibles de sa nature, à savoir son éternelle puissance et sa divinité, sont vus clairement dans la connaissance intellectuelle, voovixevcc, qui les perçoit à l’aide des choses qui ont été faites, et de la sorte ils sont inexcusables eux qui, ayant connu l)ieu, n’ont pas voulu l’honorer. » Ce texte est décisif. Acta, col. 520. L’homme déchu — et par conséquent l’homme dont s’occupe la philosophie, qui n’en connaît pas d’autre — a le pouvoir de connaître Dieu avec certitude par la raison naturelle ; avec certitude, parce que s’il y avait impossibilité d’exclure le doute, il n’y aurait pas obligation et responsabilité morale ; par la raison, parce que ce mot désigne le pouvoir de former des concepts objectifs, et parce que si directement ou indirectement la connaissance de Dieu n'était pas rationnelle, les doutes sur sa valeur seraient légitimes, et l’homme athée ne serait pas sans excuse. Tout cela est impliqué et dans le texte de saint Paul et dans la formule du concile qui allègue ce texte. Cependant — et c’est ce que nous voulions faire remarquer — saint Paul n’entre pas dans le dernier détail quant à la nature du procédé psychologique et logique par lequel l’homme connaît Dieu au moyen des créatures. Le concile, qui s’appuie spécialement sur ce texte, a voulu rester dans la même indétermination.
c) Examen des conséquences déduites. — Tels sont les faits et leur raison d'être. Suit-il de là que toute théorie de la connaissance religieuse s’accorde avec l’Ecriture, la tradition et le texte du concile ? Suit-il de là qu’on est en règle avec le concile, si, avec les modernistes, on soutient que la première idée objectivement valable de Dieu nous vient d’une expérience qui n’a rien de rationnel ; si l’on concède aux protestants libéraux que II lie est la transcendance divine que la raison est impuissante à s’en former une idée valable, pourvu qu’on ajoute que l’immanence divine est telle que l’homme prend conscience de l’action de Dieu sur lui ? etc. Suitil de là enfin, comme plusieurs écrivains français le prétendent, qu’on est en règle avec le concile, si l’on se contente du simple bon sens vulgaire pour expliquer la première idée de Dieu ? En répondant à ces questions, nous ferons connaître pourquoi les théologiens jugent qu’il n’en est pas ainsi.
Pour n’avoir plus à y revenir, disons d’abord que les écrivains français qui insistent tant sur le simple bon sens sont en règle avec le concile, pourvu que le bon sens dont ils parlent soit bien un pouvoir de connaître objectivement valable, et pourvu qu’on ne donne pas à l’appel au bon sens un sens exclusif. Ils sont en règle avec le concile sur la première idée certaine de Dieu, parce que les théologiens qui admettent l’universalité de la connaissance de Dieu ne requièrent pas autre chose que le sens commun, le bon sens vulgaire, pour qu’on y arrive. Mais il ne faut pas que ce simple bon sens soit limité à un pouvoir de connaître qui ne peut pas arriver à une affirmation ferme et précise sur la nature intrinsèque de Dieu, par exemple, sur la personnalité' divine ; car le concile a défini le pouvoir de connaître Dieu de façon à commencer la vie morale et religieuse, et cela se trouve dans le texte même de saint Paul. Il ne faut pas non plus que ce bon sens soit opposé en un sens exclusif à la raison discursive, par laquelle nous arrivons ou pouvons arriver, même sans la foi, à une connaissance plus développée de Dieu, à ce que le concile appelle à deux reprises au moins la « science » de Dieu. Denzinger, n. 1616, 1658. Or. malheureusement, les écrivains dont nous parlons ont quelquefois oublié ces conditions d’un langage correct en ces matières. Ajoutons qu’on peut être en règle avec la définition conciliaire entendue rigoureusement, c’est-à-dire ne pas être hérétique, et cependant ne pas satisfaire à toutes les conditions d’orthodoxie ; cela résulte assez de ce que nous avons rapporté de l’enseignement de