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DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)


les liions que Dieu nous accorde, soit dans l’ordre naturel, soit dans l’ordre surnaturel, portent l’empreinte de l’infinie perfection de leur auteur ; et cette empreinte est dans le plan divin ordonnée à notre esprit : non sine testimonio scipsum reliquit. Act., xiv, 16. Car, quoi qu’il en soit de la question spéculative de la possibilité d’un monde créé sans créature intelligente, il est sûr que le monde, tel qu’il est, est ordonné à nous signifier la gloire de son créateur : Cæli enarrant gloriam Dei, Ps. xviii, 2 ; et que du signe nous avons le pouvoir physique de passer à l'Être signifié. C’est ce qu’on veut dire quand on parle de notre pouvoir de connaître Dieu « médiatement » par la raison naturelle. Mais ces deux derniers mots demandent quelques explications qui compléteront cette étude de la définition du concile du Vatican.

7° Comme moyen subjectif de la connaissance naturelle de Dieu le concile désigne la raison naturelle. — Notons d’abord que cette partie de la phrase n’a rien d’exclusif : on condamne ceux qui soutiendraient que la raison naturelle n’est pas un moyen de connaître Dieu, mais on n’exclut pas les autres moyens de connaître Dieu, s’il en est, comme la révélation proprement dite, l’expérience mystique, ou même simplement le témoignage humain des parents, etc. Le but du concile n’est pas de donner l'énumération de tous les moyens de parvenir à connaître Dieu, mais d’enseigner qu’un de ces moyens est la raison naturelle. Tous les modernistes qui excluent ce moyen sont donc condamnés aussi bien que les traditionalistes, les kantistes et les positivistes que le concile avait en vue. Par exemple, on ne saurait regarder comme orthodoxes les anonymes italiens qui ont écrit le Programma dei modernisli, Rome, 1908, en réponse à l’encyclique Pascendi. Ils rejettent, en effet, la raison du nombre des moyens subjectifs que nous avons de connaître l’existence objective de Dieu, sous le prétexte que le concile était plein de thomistes infatués d’intellectualisme, et qu’on peut modifier le sens des définitions ecclésiastiques, conformément à la loi de l’universelle évolution. Op. cit., p. 105. Cf. Denzinger, n. 1665.

1. D’une manière générale : a) le mol « raison », dans le concile du Vatican, n’est pas employé au sens vulgaire du terme ; b) il n’est pas davantage employé au sens spécifiquement péripalélicien, platonicien, scolaslique, cartésien, leibnizien, etc. ; c) mais il est employé au sens philosophique, répandu au XIXe siècle chez tous les théologiens et chez tous les philosophes, sans en excepter ceux qui, kanlisles, positivistes ou traditionalistes, niaient alors la valeur de la raison. — a) Sans aller aussi loin que les auteurs du Programma, quelques écrivains français, sous le prétexte que les conciles ne font pas de philosophie, soutiennent que le mot raison dans la définition conciliaire doit être entendu au sens vulgaire. Le principe d’herméneutique invoqué est inexact, cf. Ami du clergé, 5 mars 1908 ; mais nous n’avons pas à le discuter ici. Car le sens du mot raison dans notre texte est une question de fait. Que ce mot ne soit pas employé par le concile au sens vulgaire, comme équivalent d’une capacité quelconque de connaître et de juger, la chose est évidente ; car le concile, distinguant la lumière de la raison de la lumière de la foi, caractérise la raison « par la connaissance de la vérité intrinsèque des choses ; » or, on avouera que cette description dépasse « le sens courant, étranger aux systèmes, qu’un homme du peuple pourra voir » du mot raison. Le mot raison, dans le langage vulgaire, entendu de tout le monde, y compris les enfants qu’on dit avoir atteint l'âge de raison, rend un sens plus large. Acta, col. 171.

b) Le même mot n’est pas employé par le concile dans le sens spécial que lui donnent les diverses écoles

de théologie et les diverses philosophies suivant leurs doctrines variées, touchant la table rase, l’intellect actif, l’origine des principes, les différentes conceptions de la matière et de l’esprit et de leurs relations. On en conviendra facilement à l'égard des systèmes que le concile a eu en vue de proscrire. Il en est de même à l'égard de ceux qu’il n’a pas condamnés. Le mot raison dans le concile n’est employé ni au sens spécifiquement péripatéticien, ni au sens de saint Augustin, ni dans celui qui est spécifiquement de saint Thomas. Ce n’est pas même le mot raison au sens des scolastiques, en tant que ce sens est spécifiquement distinct, par exemple, du cartésianisme et du platonisme. Les modernistes italiens dans leur Programme parlent du sens thomiste du mot raison dans le concile. Il faut dire pourquoi ils se trompent.

a. Où dans le concile se serait trouvée une majorité pour voter le mot raison dans le sens scolastique précis ? D’où serait sortie cette majorité, puisque le cartésianisme, l’ontologisrne, le traditionalisme s’enseignèrent un peu partout, sans excepter Rome, durant les soixante années qui précédèrent le concile ? Sans doute, la scolastique durant cette longue période n'était pas complètement morte ; mais pour cent cartésiens qui ont écrit durant les trois premiers quarts du xixe siècle, on serait bien embarrassé de nommer dix scolastiques, au sens spécifique du mot. Le Programma des modernistes italiens est donc victime d’une projection du présent dans le passé, quand il parle de concile thomiste, à propos du Vatican. Il y avait des thomistes — encore un mot devenu équivoque depuis quelques années — au Vatican, par exemple, des bannéziens — quelques amendements, non acceptés, trahissent leur présence, leurs préoccupations et leur mentalité. Mais la masse des amendements fut dans un sens tout opposé ; et ceux qui furent les ancêtres des divers néo-thornismes actuels ne paraissent avoir eu que fort peu d’influence dans l’assemblée. Les discours des rapporteurs sont aussi peu thomistes que possible ; ils renferment même plus d’une saillie qui dut plaire médiocrement aux thomistes présents, par exemple, l'éloge du fameux argument de saint Anselme, rejeté par saint Thomas, et, durant des siècles, par toute l'école thomiste. Sans doute, Franzelin, qui écrivit les travaux préparatoires de l’assemblée, était scolastique et thomiste. Il était scolastique dans toute la force du terme ; mais la rédaction qu’il avait préparée fut rejetée, parce que trop scolastique. Vacant, t. i, n. 16, p. 32. En un sens très réel, qui est celui qu’avait dans l’esprit le nominaliste Arriaga lorsqu’il pensait diminuer son adversaire Suarez en le qualifiant de thomiste, Franzelin était thomiste, comme Kleutgen, comme je le suis moi-même ; mais les modernistes italiens savent très bien que Franzelin n'était pas thomiste au sens où ils emploient ce mot, et que le « thomisme » qu’ils ont en vue n’a pas Franzelin ou Kleutgen pour patrons.

b. Qu’on parcoure, je ne dis pas les travaux de polémique et de littérature courante, mais les livres qui comptent et qui représentent la pensée du monde théologique, parce qu’ils sont écrits par des hommes qui dominent leur sujet ; on verra combien ils sont réservés pour avancer que tel ou tel auteur est condamné ou atteint par le concile du Vatican. Le P. Gratry excluait tout syllogisme du procédé par lequel nous connaissons Dieu ; il le décrivait comme « une opération de la raison, qui, regardant l'être Qui, monde ou Ame, voit par contraste et par regrès, dans ce fini l’existence nécessaire de l’infini. » Connnissance de Dieu, t. ii, c. VIH. Or je ne connais pas un théologien qui affirme que le P. Gratry soit condamné ; tous disent, il est vrai, que le procédé est imaginaire et par suite faux. Il est pourtant bien évident que si la doc-