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DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE


trouve l’existence de Dion. Donc, concluent-ils, le concile, tout en définissant que l’homme a le pouvoir physique de connaître Dieu, a admis que ce pouvoir est environné de telles difficultés qu’en fait il ne s’exerce jamais : ce qui est, sinon la définition essentielle, du moins la description caractéristique de l’impossibilité morale. D’où il suit que, si avec les jansénistes on étudie bien le problème, on peut concéder que les individus sont dans l’impuissance morale absolue de connaître Dieu par la raison naturelle et que cette impuissance absolue provient d’une sorte d’impuissance physique. Acta, col. 236.

Rien de plus fallacieux que ce raisonnement, rien de plus contraire à la pensée certaine du concile quécette jonglerie de mots. En effet, même en supposant pour un instant que du fait d’impuissance morale on puisse jamais conclure à une impossibilité absolue ou même à une impuissance physique, eneore faudrait-il, pour que l’inférence fût correcte, que la proposition où est impliquée l’impuissance morale et celle où est affirmé le pouvoir physique de connaître Dieu par la raison naturelle fussent de eodem et sub eodem respectu. Or, nousallons montrer que cette condition essentielle n’est pas vérifiée ; nous dirons ensuite d’une manière plus générale pourquoi le passage de l’impuissance morale à l’impuissance absolue ou physique est illégitime dans la question qui nous occupe.

1. L’objet pour lequel le concile admet un pouvoir physique de connaissance rationnelle est différent de l’objet pour lequel il admet la nécessité morale de la révélation. L’objet de connaissance assigné aux forces naturelles de la raison est Dieu et les principales obligations morales et religieuses. Acia, col. 133. Au contraire, l’objet de connaissance pour lequel on déclare la révélation moralement nécessaire est beaucoup plus étendu, in rébus divinis. La dill'érence des formules n’est due ni au hasard ni à un caprice de style. A un amendement qui proposait de remplacer les mots choses divines par ceux-ci : Dieu et la loi naturelle, Acta, col. 509, 122, emend. 19, on répondit que la formule à sens moins restreint avait été intentionnellement choisie, col. 136, 239, 1652, 1672. Donc, même en négligeant les raisons de ce choix, il est certain que, lorsque le concile enseigne équivalemment que l’homme se trouve dans l’impuissance morale de connaître les choses divines, bien que dans cet objet l’existence de Dieu et les premiers principes de la morale et de la religion naturelle soient sûrement compris, cependant l’impuissance morale implicitement admise ne porte pas directement sur cet objet restreint, mais bien sur un ensemble de vérités plus étendu. On ne peut donc pas légitimement et de bonne foi conclure du texte voté par le concile qu’il admet dans l’homme une impuissance morale à connaître précisément Dieu et ses principaux devoirs. Cf. Granderath, p. 78, n. 1.

Dans le paragraphe où il est traité de la connaissance de Dieu, le concile parle du pouvoir de connaître ; dans la phrase où est impliquée la nécessité morale de la révélation, il s’agit de la connaissance actuelle des choses divines. De plus, l’impuissance morale supposée parle texte conciliaire n’est implicitement affirmée que par rapport à une connaissance universellement répandue, prompte, sans mélange d’incertitude et d’erreurs. Acta, col. 135, 524, n. 11 ; voir Granderath, p. 78, n. 3 ; Fran/.elin, De Scriptura et traditione, 2e édit., p. 617. Si je constate l’impuissance où se trouvent nos paysans de suivre l’exposé des fondements des géométries non euclidiennes, si je reconnais qu’Archimède était dans l’impuissance morale de découvrir la télégraphie sans fil, il ne suit nullement de ces impuissances relatives que le pouvoir physique d’enlendre Lobatchefsky ou de devancer MM. liranly et Marconi ait été refusé à l’humanité, ni même à nos paysans et

aux savants anciens. La raison en est que le pouvoir nu de poser un acte est différent du pouvoir prochain de le poser, ou encore que le pouvoir physique de connaître un objet n’est pas du tout le pouvoir de la connaissance actuelle de cet objet. Il y a loin de la coupe aux lèvres, c’est-à-dire qu’entre la faculté et son exercice s’intercale toute une série de circonstances, de conditions, de causes variables et variées, qui peuvent être favorables à l’activité de la faculté et à la perfection de son acte, qui peuvent aussi leur être nuisibles. Or, en théologie, quand on parle de l’impuissance morale où se trouve un agent par rapport à une action, on veut dire que le pouvoir physique, faculté ou inclination naturelle à l’acte, subsistant intact, les circonstances, conditions et causes, extérieures à ce pouvoir, mais requises à son exercice, sont défavorables ou empêchent l’acte de se produire. Passer de l’impuissance morale, comme les théologiens l’entendent, à l’absence du pouvoir physique serait donc une parfaite ignoratio elenchi. Le sophisme est différent d’espèce, mais reste un sophisme classé, si l’on passe de l’impuissance morale, concédée relativement à la connaissance actuelle, à une impuissance morale affectant le pouvoir même de connaître. Les jansénistes, malgré toule leur subtilité, n’ont pas réussi à persuader le contraire aux théologiens dans la question analogue de la nécessité de la grâce pour l’observation prolongée de toute la loi.

Une troisième différence entre les deux passages que nous comparons est que, c’est de V /tontine en général, de la nature philosophique de l’homme, qu’on affirme le pouvoir physique de connaître rationnellement Dieu ; c’est au contraire des individus qu’on admet l’impuissance morale dont il s’agit. Le texte du concile suffit à lui seul à prouver cette différence : dans le canon le mot homme est absent ; on lit seulement ces mots : naturali rationis /tum a nselumine (supposition absolue) ; la nécessité morale de la révélation est au contraire enseignée ut ab omnibus (supposition relative). La première rédaction du canon portait ces mots : ab homine. Un membre du concile en demanda la suppression « de peur que le concile ne parût définir comme un dogme de foi qu’il ne saurait jamais se rencontrer d’adulte qui ignore Dieu invinciblement, » conséquence qui suivait du texte proposé, si l’on y prenait les mots ab /tontine au sens de la supposition relative. L’observation parut exacte et l’amendement fut accepté. Acta, col. 126, emend. 49, 149. Voir Vacant, n. 273 sq.

Enfin, dans le canon, il s’agit de la nature philosophique de l’homme et non de l’homme dans l'état historique ; la nécessité morale de la révélation est affirmée au contraire, non pour l’homme en général, mais pour l’homme dans l'état où il se trouve de fait. Le rédacteur du projet de canon, M « ' Martin, s'était placé au point de vue historique, et il avait écrit : ab fcontine lapso cognosci posse. Acta, col. 1631, 131, 1672. La commission chargée d'étudier ce projet biffa le mot lapso qui ne se trouve pas dans le texte soumis aux délibérations du concile. Acta, col. 76, 1655. Dans le cours des discussions, plusieurs amendements furent proposés, qui tendaient de diverses manières à reprendre ce point de vue : ab homine in societate adulto, ab homine prouli nuncest. Acta, col. 1652, 120, emend. 3, i.."> : col. 125, emend. 51, 52,."> ; > ; col. 224, emend. 51, 52 ; col. 228. emend. 98. Un de ces amendements demandait qu’on omît le mol naturali, parce que l’homme n’ayant jamais été dans un étal purement naturel, on ne pouvait pas parler d’une connaissance de Dieu naturelle. Ces amendements ollraient une issue au traditionalisme mitigé et extirpaient moins radicalement le traditionalisme rigide. Car l'école de Louvain aurait pu dire que ce pouvoir de l’homme déchu n’aurait jamais été ce