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DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE


moraux, religieux) du sujet. Ainsi est établie la distinction entre la connaissance religieuse, exclusivement relative au sujet, intéressée, s’exprimant par des < jugements de valeur indépendants » — et la connaissance théorique. Par exemple, l’homme religieux n’a pas à se prononcer sur ce jugement : Jésus est-il Dieu ? — mais sur celui-ci : Jésus a-t-il pour moi, pour ma vie religieuse et morale, la valeur d’un Dieu'.' Et le second, pour Ritschl, ni n’implique le premier, ni n’en dépend. La théorie, de la religion est faite pour s’accorder avec celle théorie de la connaissance religieuse. La religion n’a pas pour objet les rapports de Dieu avec l’homme ou l’union de l'âme avec Dieu. Son but est de donner une solution au problème que voici : l’homme, jugeant qu’il est un être spirituel et personnel, voit qu’il est né pour dominer le monde ; d’autre part, il se sent dépendant du monde, opprimé par lui. Il trouve une solution de ce problème pratique dans l’idée d’un pouvoir supérieur au monde, qui le gouverne pour les fins de la vie spirituelle. Cette idée de Dieu n’est ni une intuition, ni une inférence rationnelle, mais un postulat de l’homme qui en a besoin pour exercer sa maîtrise personnelle et spirituelle sur le monde. Ce postulat s’exprime sous une forme symbolique, par exemple, Dieu est amour. Par là, on voit ce que signifie la célèbre phrase de Ritschl : « Dieu n’est qu’un simple nom qu’emploie le chrétien pour résumer ses impressions religieuses. » Mais toute intrusion du jugement théorique en matière religieuse est nulle et sans valeur : exemples, dogmes de la Trinité, des deux natures dans le Christ. Tout ce que nous pouvons dire est que Jésus est Dieu pour nous, a pour nous une valeur divine, parce qu’il nous révèle Dieu, c’est-à-dire parce qu’il nous manifeste une maîtrise complète sur le monde matériel (rédemption, justification, vie éternelle), un dévouement absolu au royaume de Dieu (communauté de personnes agissant d’après les lois de la vertu). Donc notre religion, notre christianisme, conclut Ritschl, sont indépendants de ce que nous pensons comme philosophes, de ce que nous tenons comme historiens.

Sous la phraséologie moderne de Ritschl, on reconnaît la vieille doctrine de la foi fiduciale, où tout en matière religieuse dépend de l’impression du sujet, où l’objet religieux se définit en fonction des besoins, des états, des émotions du sujet, sans qu’aucune donnée intellectuelle intervienne. Le système a été développé et appliqué à la connaissance de Dieu. On croit à l’existence de Dieu « sans raisons intellectuelles » ; ou bien, si l’on garde encore ces raisons, on déclare, comme Molinos, sans valeur la conclusion à laquelle on aboutit par le discours, sauf à déguiser le procédé par un appel à Kant ou à la philosophie positiviste. A la réllexion cependant, on concède, ou bien avec Kant que l’on croit à cause de nos besoins moraux, ou bien avec Rainquc la croyance est un « développement de la volonté à la poursuite de fins immédiates » et qu’elle « dépend de nos tendances actives et émotionnelles. » Mental science, l. IV, c. viii, l re et 3e édit. Toutes explications, d’apparence scientifique, que donnait déjà d’un mot le traducteur ancien de Grotius, quand il affirmait que la preuve qui fait le vrai fidèle est la preuve de sentiment « par les besoins de la conscience ». D’ailleurs, que pour éviter en apparence le pur sentiment, on ait recours à l’intuition immédiate, sans preuves, avecM. Monod, art. Foi, dans Lichtenherger, Encyclopédie des sciences religieuses, Paris, 1878, t. v, p. 1 ; qu’on fasse appel à une vue mystique et suprarationnelle, avec Rradley, Appearance and reality, 2e édit., 1902 ; au subconscient, avec William James ; à l’action de l’Esprit, avec Heard, The triparlite nature of man, 5e édit., Edimbourg, 1882 ; à un fait de conscience « impénétrable à l’analyse », avec Sabatier, Esquisse d’une phi loeophie religieuse, etc., Paris, 1898, p. in : c’est toujours à l’expérience intérieure, à l’exclusion de toute connaissance rationnelle, qu’on a recours. Le thème sur lequel on exécute toutes ces variations, n’est autre que la pseudo-mystique de la foi liduciale des premiei protestants.

Inutile d’ajouter que, ne reconnaissant aucune valeur aux preuves, à la connaissance intellectuelle en matière religieuse, on s’abstient, comme Locke ou connue Kant, de tout jugement sur la nature intrinsèque Dieu. Dieu reste aussi inconnu dans le système d Auguste Sabatier que dans celui de Spencer. Dans les deux cas, on le désigne par une dénomination extrinsèque et par de pures métaphores. Les métaphores binent, mais le procédé est identique. (Jue Spencer décrive le travail de la religion : « Construire sans fin des idées qui exigent l’effort le plus énergique de nos facultés, et découvrir perpétuellement que ces idées ne sont que de futiles imaginations et qu’il faut les abandonner, telle est la lâche, qui, plus que toute autre, nous fait comprendre la grandeur de ce que nous nous efforçons en vain de saisir, a Premiers principes, § 31 ; ou que Sabatier nous apprenne que « la définition de l’objet adoré se tire du culte et du bienfait qu’on en attend », Les religions d’autorité et la gion de l’esprit, Paris, 1904, p. 529, 534 ; c’est philosophiquement tout un. Nous n’avons dans les deux cas qu’une connaissance symbolique, et Dieu n’est désigné que par nos états subjectifs.

On pourrait s’imaginer que cet agnosticisme croyant était totalement étranger aux anciens protestants. Les protestants libéraux ici encore ont raison ; ils ont des ancêtres. La multiplicité des sectes, l’ambiguité voulue des formulaires ecclésiastiques, les variations perpétuelles sur les dogmes particuliers, l’unité extérieure sauvegardée, sans unité de pensée, par le soin de vider les formules de tout sens ferme et précis qui s’imposât, firent naître de bonne heure l’idée de la relativité de nos connaissances sur Dieu. On s’attacha surtout à ce qui répondait à un intérêt moral, à ce qui procédait des besoins de l'âme. De tout le reste, on fit des symboles, qui ne sont que des images subjectives, d’une vérité toute relative ; on considéra ces symboles, créés par les besoins de notre esprit et correspondant aux lois psychologiques de notre être spirituel, comme des produits de la réflexion, sans portée objective et métaphysique. Tel est le sens de l’apologétique d’aveugles adoptée par le D' Harris ; pour défendre la religion naturelle, il s’appuie sur ce que nous sommes dans une ignorance complète de la nature de tout ce qui nous entoure : il en est de même pour Dieu. Quoi de surprenant ? Cf. Rurnet, Défense de la religion tant naturelle que révélée (fondation Boylei, La Haye. 17'ii. t. il, p. 34 sq. Vers la même époque, et donc bien avant Mansel, Limits, etc., et M. Tyrrell, Through Scylla and Charybdis, Londres, 1907. c. Révélation, l’archevêque anglican de Dublin, King, Discoursc of predestinalion, 1709, réimprimé par Whately, dans ses Bantplon lectures, Appendix, p. 480. et l'évêque de Cork. Browne, Procédure, e.rtent and limits of human underslanding, 1728, soutinrent, dans des vues iréniques, à propos de la prédestination, que notre connaissance de Dieu est purement analogique au sens nominaliste, en sorte que nous « n’avons aucune conception directe et propre des attributs divins, pas plus que de quelque autre chose de ce monde. » Cf. S. Thomas. Sum. theol., 1 », q. xiii, a. 3. Voir Berkeley, Alciphron, dial. iv. c. xxi, et, en sens contraire, Spinoza. Ethica, pari. I. prop. xvii, scholion ; pari. II. prop. xi. v-xi. vu ; Copieston, Enquiry into the doctrines of necessity andpredestination, 1821 ; Grinfield, Vindiciiv analogies, 182-2 ; Ruchanan, Analogij considered as a guide la truth, 2e édit., 186."). Le rôi Jacques I er, pour écarter tout