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DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)

y a des preuves rationnelles de l’existence de Dieu, elles ne sont point suffisantes. « Ce sont les preuves de sentiment » qui donnent la vraie persuasion ; « ce sont elles qui font le véritable fidèle, » disait déjà un des traducteurs de la Vraie religion de Grotius, Amsterdam, 1728, p. xv. Et l’on retrouve cette même théorie fort nettement exposée dans Hastings, Encyclopædia of religion and ethics, Édimbourg, 1908, t. I, art. Apologetics, p. 612, 622. L’auteur de l’article, M. Crafer, professeur à Cambridge, ne veut pas être agnostique et il admet les preuves de l’existence de Dieu ; « mais aucune d’elles ne va jusqu’à être une preuve positive. » L’expérience personnelle du chrétien peut seule être la preuve finale. « La preuve rationnelle s’achève dans la région de l’Esprit (Spirit) par la faculté spirituelle de la foi. » Pour la raison, le mot « infini » est purement négatif ; mais, pour la foi, il est entièrement réel et positif. La foi est un moyen ou organe de connaissance « distinct de nos autres moyens de connaissance, en sorte qu’elle doit être ajoutée à nos sens et à notre raison pour compléter notre être cognoscitif. » Car « l’essentiel de la vraie religion est l’exercice de la foi (faith) ; » or Dieu fait appel non à la raison, mais au cœur. M. Crafer voit bien que ce fidéisme choquera ; il répond que « la raison ne doit pas se moquer de la faculté spirituelle de la foi, mais doit l’accepter comme supérieure à elle. » Denzinger, n. 1639, 1643.

On est allé bien plus loin. Jacobi recommanda le salta mortale du fidéisme aveugle. Kant écrivit la Critique de la raison pure pour ruiner les preuves rationnelles de l’existence de Dieu. Le premier en appelait directement à l’expérience religieuse, à celle-là même que l’ensemble des protestants admet dans la justification. Le second déguisa savamment sa pensée, qui pourtant n’échappa pas à ses contemporains, qui parlèrent de son mysticisme et dirent tout haut que le système n’était autre que la doctrine piétiste « de la foi qui opère par la charité. » C’est bien en effet ce que veut dire Kant, lorsqu’il fait reposer la croyance sur des causes subjectives, c’est-à-dire sur des raisons morales. Son habileté fut de profiter du fait que le sentiment de l’obligation morale n’est jamais absent de la conscience et qu’il est lié à l’idée de Dieu. Sænger, Kants Lehre vom Glauben, 1903. Cependant la doctrine de Kant parut trop rationaliste à Schleiermacher ; qui s’appliqua à rendre au sentiment, à l’expérience religieuse proprement dite, son importance. Pas de connaissance religieuse sans l’expérience de la foi : rien de plus conforme au luthéranisme primitif. Ce qui explique l’énorme influence de Schleiermacher dans les milieux protestants, c’est qu’en se réfugiant dans l’expérience intérieure on croyait trouver contre l’athéisme un asile imprenable, une forteresse inattaquable : c’est aussi qu’on se débarrassait par ce moyen du poids mort des dogmes, qu’avaient retenus les premiers protestants, tout en n’ayant pas l’air de tomber dans le pur rationalisme d’un Wegscheider. Cf. T. Parker. Discourse of matters pertaining to religion, 1846 ; Morell, Philosophy of religion, 1849 ; Ferrier, Institutes of metaphysic, Édimbourg, 1854. Le pasteur Coquerel écrivit Le christianisme expérimental, Paris, 1847, « pour les esprits doués d’un juste instinct religieux, » dans le but « de remplacer la foi objective puisée dans les dehors de la vérité par une foi subjective puisée dans l’homme en lui-même, p. xiii. Pour cette foi subjective, disait Coquerel, « se confier en Dieu, c’est se confier en soi-même. Par exemple, se confier en Dieu comme un être aimant et bon, c’est se confier en l’idée que nous nous faisons de son amour et de sa bonté » p. 23 Cf. Newman, encore protestant, Discours sur le développement, 1843 ; trad. Saleilles, La foi et la raison, Paris, 1905, passim et p. 235, n. 28 ; p. 257, n. 41.

4. Nous avons dit que le nominalisme rigoureux, s’il garde la croyance en Dieu, ne peut le désigner que par de pures périphrases, par des dénominations extrinsèques, sans arriver à porter sur Dieu en soi des jugements valables. Nous avons dit aussi que l’objet religieux, dans l’expérience intérieure sans connaissance antécédente de la foi fiduciale, est nécessairement désigné de la même manière. Dès qu’on eut réduit l’objet de la foi à la croyance en Dieu par l’expérience religieuse, il était donc naturel de ramener notre connaissance de Dieu à ce qu’elle est dans l’hypothèse nominaliste, et de nier la portée ontologique de nos jugements sur la nature divine. Kant le fit, on le sait. Schleiermacher, bien que fort peu dogmatique, ne déduisit pas lui-même nettement cette conclusion agnostique, du moins en ce qui regarde Dieu en soi. Mais il se rencontra bientôt des esprits qui tentèrent l’aventure. Cela se fit, soit par réaction contre les prétentions outrées de l’intellectualisme de Cousin et de la philosophie spéculative de Hegel, et tel est le cas de sir Hamilton, Discussions on philosophy and literature, 1852 ; Lectures on metaphysics and logic, édit. Mansel et Veitch, Edimbourg, 1866, et aussi de Mansel, The limits of religions Thought, 1859 ; soit dans un esprit plus rationaliste, et tel est le cas de Parker et de Coquerel qui, dès ces temps lointains, parlent, l’un, de la « vérité mobile » et de « l’unité des religions, sous la diversité des théologies, » Denzinger, 10e édit., n. 2058, 2082, parce que l’expérience religieuse « ne nous renseigne pas plus sur son objet que ne le font nos sens sur la nature intime des choses, » Parker, op. cit., p. 14 sq. ; l’autre, du principe « que la nature de Dieu n’est connue que de lui, que Dieu n’est pas matière à raisonnement. » Coquerel, op. cit., passim. Le moyen terme employé fut simplement l’adjonction de l’hypothèse nominaliste à l’interprétation de l’expérience religieuse sentimentale. On sait que le c. v, Réconciliation, des Premiers principes de Spencer est le résultat de cette manœuvre. L’agnosticisme empiriste a été l’issue de ces spéculations.

En Allemagne, on est arrivé au même résultat de l’agnosticisme, mais idéaliste, avec Albert Ritschl. Celui-ci, pour bien marquer les origines protestantes de son système, l’a exposé dans un livre qui a pour titre, Die christliche Lehre der Rechtfertigung und Versöhnung, édition modifiée de 1888. Il faut analyser cette doctrine, parce que c’est de Ritschl que dépendent Harnack, Sabatier, etc., et par suite ceux des modernistes qui ne sont pas simplement spencériens ou positivistes. La théorie de la connaissance religieuse de Ritschl est fondée sur la théorie kantienne de la connaissance, bornée au seul phénomène, bien que Ritschl accepte la formule de Lotze : « Nous connaissons les choses dans les phénomènes. » Car il semble bien, malgré des flottements, que « les choses » sont pour lui un produit de notre activité mentale, une image, résidu de plusieurs perceptions sensibles ; et sur ce point, le système confine à l’idéalisme phénoméniste. Quoi qu’il en soit, Ritschl distingue expressément une connaissance religieuse et une connaissance théorique, — fonctions distinctes, qui, même appliquées au même objet, ne coïncident sur aucun point, mais divergent entièrement. » L’esprit peut, en effet, se référer de deux façons à ses perceptions : ou, les regardant comme des données objectives, il cherche à les organiser en un système cohérent de la nature, au moyen du lien causal, et porte à leur sujet des jugements théoriques, scientifiques, d’existence ; ou il les considère comme agissant sur le sujet sensible et porte à leur sujet des jugements de valeur (Werturteile), caractérisés par ce fait qu’ils font abstraction de la nature objective et des relations des choses entre elles, et apprécient seulement leur aptitude à satisfaire les besoins (esthétiques,