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DESCARTES


demander avec le plus de raison, en suite des écrits que j’ai publiés. Car y axant deux choses en l’âme humaine desquelles dépend toute la connaissance que

nous pouvons avoir de sa nature, l’une desquelles est qu’elle pense, l’autre, qu’étant unie au corps elle peut agir et pâtir avec lui, je n’ai quasi rien dit de cette dernière et nie suis seulement étudié à faire bien entendre la première, à cause que mon principal dessein était de prouver la distinction qui est entre l’àme et le corps ; à quoi celle-ci seulement a pu servir, et l’autre y aurait été nuisible. » Il avoue donc que la question a été à peine soulevée par lui, mais, ajoute-til, « pour ce que Votre Altesse voit si clair qu’on ne lui peut dissimuler aucune chose, je tâcherai ici d’expliquer la façon dont je conçois l’union de l’àme avec le corps, et comment elle a la force de le mouvoir. »

Et dans une longue épître fort embarrassée il explique « qu’il y a en nous certaines notions primitives qui sont comme des originaux, sur les patrons desquels nous formons toutes nos autres connaissances ; et il n’y a que fort peu de telles notions : car après les plus générales de l’être, du nombre, de la durée, qui conviennent à tout ce que nous pouvons concevoir, nous n’avons pour le corps en particulier que la notion de l’extension, de laquelle suivent celles de la figure et du mouvement ; et pour l’àme seule nous n’avons que celle de la pensée en laquelle sont comprises les perceptions de l’entendement, et les inclinations de la volonté ; enfin pour l’àme et le corps ensemble, nous n’avons que celle de leur union, de laquelle dépend celle de la force qu’a l’àme de mouvoir le corps et le corps d’agir sur l’âme, en causant ses sentiments et ses passions. » En d’autres termes, l’union de l’âme et du corps consiste en ce que l’âme est unie au corps et conséquemment le meut, et en ce que le corps est uni à l’âme et eonséquemment agit sur elle et l’émeut. Quant à la manière dont s’exerce la force de l’àme sur le corps, il pense que précisément l’idée de la pesanteur « nous a été donnée pour concevoir la façon dont l’âme meut le corps. » Il ne faut pas s’étonner qu’après cela Deseartes termine sa lettre par ces mots : « Je serais trop présomptueux si j’avais pensé’que ma réponse doive entièrement satisfaire Votre Altesse. » Lettres, t. i, lettre xxix, édit. Cousin, t. i’x, p. 125 sq. En effet, Son Altesse se déclare non satisfaite et réclame des éclaircissements. Deseartes répond que « c’est en usant seulement de la vie et des conversations ordinaires, et en s’abstenant de méditer et d’étudier aux choses qui exercent l’imagination, qu’on apprend à concevoir l’union de l’âme et du corps. » Au fond, il considère l’union de l’àme et du corps comme inconcevable, puisqu’il dit ensuite : « Il ne me semble pas que l’esprit humain soit capable de concevoir bien distinctement, et en même temps, la distinction d’entre l’âme et le corps et leur union ; à cause qu’il faut pour cela les concevoir comme une seule chose et ensemble les concevoir comme deux, ce qui se contrarie. » Le procédé qu’il conseille est donc de concevoir successivement l’union et la distinction : « Puisque Votre Altesse remarque qu’il est plus facile d’attribuer de la matière et de l’extension à l’àme, que de lui attribuer la capacité de mouvoir un corps et d’en être mue, sans avoir de matière, je la supplie de vouloir librement attribuer celle matière et cette extension à l’àme, car cela n’est autre que la concevoir unie au corps ; et après avoir bien conçu cela, et l’avoir éprouvé en soi-même, il lui sera aisé de considérer que la matière qu’elle aura attribuée à cette pensée, n’est pas la pensée même, et que l’extension de cette matière est d’autre nature que l’extensionde cette pensée (en d’autres termes, il faut suci vi i unit considérer l’àme comme avant et o’ayanl pas l’attribul de la matière ; c’est toujours l’inconcevable) ; et ainsi Voire Altesse ne laissera pas de revenir aisément

a la distinction de l’âme et du corps, nonobstant qu’elle ait conçu leur union, i Lettres, t. i. lettre xxx. édit. Cousin, t. ix, p. 127. Aprée cela, Descartes se dérobe et s’excuse de devoir se rendre à Utrecht où il est cité par le magistral a l’effet de s’expliquer sur " ce qu’il a écrit d’un de leurs ministres : cela me contraint de linir ici pour aller consulter les moyens de me tirer le plus tôt que je pourrai de ces chicaneries. En somme, il n’a pas résolu le problème, parce que, par sa réduction de l’âme à la pensée et du corps à l’étendue, il l’a rendu impossible, comme il a rendu impossible, ainsi que noule verrons, l’intelligence du dogme eucharistique. Cf. M «’.Mercier, Les origines de la psychologie contemporaine, c. i, Louvain, Paris, Bruxelles, 1897, p. 37 sq. Au reste, le « moi » humain semble, d’après lui, résider dans l’àme seule : .le ne suis pas un composé de corps et d’âme, mais je suis une pensée accidentellement unie à un corps.. Je suis une chose qui pense… mon essence consiste en cela seul que je suis une chose qui pense ou une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser. Et quoique peut-être, ou plutôt certainement, comme je le dirai tantôt, j’aie un corps auquel je suis très étroitement conjoint ; néanmoins, pour ce que d’un côté j’ai une claire et distincte idée de moi-même, en tant que je suis seulement une chose qui pense et non étendue, et que d’un autre, j’ai une idée distincte du corps, en tant qu’il est seulement une chose étendue et qui ne pense point, il est certain que moi, c’est-à-dire mon cime, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement et véritablement distincte de mon corps et qu’elle peut être ou exister sans lui. » Sixième méditation, Œuvres, t. i. p. 163. Le raisonnement amène à la conclusion que mon corps peut exister sans mon âme et qu’il n’y a entre eux qu’une union accidentelle. Cf. Landormy. Descartes, c. IV, Paris, s. d.. p. 101. « Quand Dieu même joindrait si étroitement un corps à une âme qu’il fut impossible de les unir davantage, et ferait un composé de ces deux substances ainsi unies, nous concevons aussi qu’elles demeureraient toutes deux réellement distinctes, nonobstant cette union. » Les principes de la philosophie, I" partie, Œuvres, t. ii p. 60.

Le corps humain n’est qu’une merveilleuse machine dont tous les mouvements se produisent en vertu des seules lois de la mécanique. L’àme ne l’occupe pas tout entier : elle siège seulement dans la glande pinéale, est en communication avec les autres parties du corps par le moyen des esprits animaux et. grâce à eux. peut, non pas produire, mais diriger les mouvements corporels.

4° Il est facile de constater combien tout cela est opposé à l’anthropologie catholi [ue, et en particulier à l’union substantielle de l’àme et du corps qui fait du corps, non pas un automate dont les mouvements restent propres et sont seulement < dirigés i par l’âme, mais une substance animée et donc pénétrée, informée par l’àme ; celle-ci, en retour, est tellement unie au corps qu’elle constitue avec lui un seul principe organique duquel procèdent les perceptions sensibles, les appétits animaux, les passions, les opérations vitales. Elle ne meut pas le corps par des intermédiaires, esprits plus ou moins animaux dont la nature devient inexplicable s’ils ne sont ni esprits ni animaux mais quelque chose d’intermédiaire ni chair ni poisson, et dont le rôle est inutile s’ils sont ou esprits ou animaux, puisqu’on ne conçoit plus comment lame ne pourrait pas aussi directement qu’eux mouvoir le corps. L’àme meut le corps directement et immédiatement, puisqu’elle est unie à lui dans l’unité de nature et de substance. L’àme suliit directement aussi et pour la même raison le— influences <u corps : il y a action propre du corps sur l’àme et de l’âme sur le corps et non ce simple oi sionnalisme qui découle logiquement du système de