Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 4.djvu/271

Cette page n’a pas encore été corrigée

r>19

DEPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERl pétences ne saurait constituer une compétence. Un concile œcuménique, privé de sanction papale, n’a pas plus d’autorité qu’un concile particulier. Si donc on reconnaît qu’un concile particulier n’a pas le pouvoir de déposer le souverain pontife, il faut en conclure qu’un concile universel, privé de son chef, ne peut non plus le déposer. La déposition prononcée par le concile de Bàle contre Eugène IV, pape certainement légitime, était radicalement nulle. Si un pape commet un abus de pouvoir qui, pour un simple évêque, entraînerait la déposition, tout au plus peut-on lui résister en face, comme lit saint Paul vis-à-vis de saint Pierre. Mais ainsi que le remarque Yves de Chartres, s’il lui a résisté, il ne l’a pas déposé : In faciem reslitit, non lamen eum abjecit. Epist., ccxxxiii, ad Henric. abbat., P. L., t. iiclx col. 236. Contre un pape qui s’obstine dans le mal il n’y a d’autre ressource que « d’attendre le temps de la moisson » et de s’en rapporter au jugement de Dieu. Epist., ccvxxvi, ad Joann. episcop. Lugdun., ibid., col. 210.

Le souverain pontife est donc au-dessus de toute juridiction terrestre. Cela est si vrai que, le voulût-il, il ne pourrait se soumettre à un tribunal humain. On allègue, il est vrai, que le pape Damase s’en rapporta au synode romain de 378 : se dédit ipse juciciis sacerdotum, concile de Rome, Epist. ad Gratian. et Valentinian. imperat., n. iO, dans Schœnemann, p. 360 ; que Symmaque fit la même chose en 501, Sijnodus roman. Palmaris, Hardouin, t. ii, col. 967, et que Léon III convoqua un synode à Rome en 860 pour se justifier des crimes qu’on lui imputait. Vita Leonis, dans Hardouin, t. iv, col. 936. Cela serait, du reste, conforme au droit romain qui pose en principe qu’un supérieur a le droit de se soumettre à la juridiction d’un inférieur. Digest., De juridict. omnium judic, II, i, 14. Mais il y a lieu de remarquer que ni Damase, ni Symmaque, ni Léon III n’ont pris, à proprement parler, les conciles romains pour juges ; ils les ont simplement pris à témoin de leur innocence : affeclu pur g ationis suse culmen humilians, ditle synode où comparut Symmaque. Hardouin, t. ii, col. 969. Cf. pour Damase et Léon III, loc. cit. Sans doute, il est de droit commun qu’un particulier peut renoncer à son privilège : Quilibet potest renuntiare jurisuo atque favori privato. Digest., loc. cit., loi 14. Mais c’est seulement quand il s’agit d’une faveur personnelle. Le souverain pontife n’est pas dans ce cas. L’immunité dont il jouit lui a été octroyée dans l’intérêt général. Il n’est pas en son pouvoir de s’en dépouiller. Par conséquent, en tout état de cause, la maxime : prima sedes a nemine judicetur, demeure vraie.

Toutefois à cette règle on admet communément deux exceptions. On se rappelle que le canon attribué à saint Boniface et cité par Gratien, dist. XL, c. 6, d’après lequel « le pape peut juger tout le monde et ne peut être jugé par personne, » contient, cette réserve : nisi deprehendatur a fide devius. L’hérésie constitue donc une faute pour laquelle un pape peut être déposé par le concile général. Le concile romain de 503 fait la même remarque à propos de Symmaque : nisi a recta fide exorbitaverit. Hardouin, t. ii, col. 984. Cette doctrine fut reçue et confirmée par tout le moyen âge. On en trouve l’expression dans la troisième allocution du pape Adrien II au IVe concile de Constantinople. Hardouin, I. v, col. 866. Le pseudo-Isidore l’attribue au pape Eusèbe. Epist., ii, ad episcop. Alexandrin., c. xi ; Ilinschius, op. cit., p. 237. Gratien l’insère dans son Décret, caus. II, q. iiv c. 13. Yves de Chartres la rappelle à Jean, archevêque de Lyon. Enfin le pape Innocent III reconnaît solennellement que, si pour ses autres péchés il a Dieu seul pour juge, « en matière d’hérésie il peut être jugé par l’Eglise, » propter solum peccatum quod in fide commillitur possern ab Ecclesia judicari.

Serin., ii in consecrat. pontif., /'. L., t. o : vn. col. 656. Ce principe est donc hors de doute. Cf. sur ce point, Bellarmin, De concil. et Ecclesia, ii 90 ; Cano, De locis tlteologicis, VI, 8 ; Turrnel, histoire de la théologie positive, du concile de Trente au concile du Vatican, p. 366-368.

La règle qui s’applique aux papes hérétiques s’applique également aux schismatiques, et c’est là la seconde exception que nous voulons signaler. Vers lemilieu du xie siècle, trois papes, Benoit IX, Silvestre III et Grégoire VI, revendiquaient le droit à la tiare. Un concile se réunit à Sutri en 1046 pour examiner la validité de leurs titres. Les deux premiers furent déposés comme « 'lus par simonie ou népotisme, et Grégoire A’I consentit à donner sa démission. Clément II fut élu pape à leur place et sacré à Saint-Pierre de Home. A la mort d’Etienne X, Benoit X se fit élire par la force ; mais vers la fin de 1058 Hildebrand réussit à grouper les voix de la majorité du SacréCollège sur Tévêque de Florence qui prit le nom de Nicolas II. Le concile qui se réunit l’année suivante à Sutri prononça la déchéance de Benoit X, et Xicolas fit sans opposition son entrée solennelle à Borne. La déposition de Jean XXIII et de Benoit XIII au concile de Constance est un acte du même genre. Le concile procéda en vertu de son autorité, parce qu’il s’agissait de papes schismatiques. Pas n'était besoin, pour justifier sa conduite, d’invoquer une prétendue supériorité du concile sur le souverain pontife.

Mais quand nous disons que les papes peuvent être exceptionnellement déposés pour cause d’hérésie ou de schisme, nous entendons le mot « déposition » danun sens large. A proprement parler, ni dans l’un ni dans l’autre cas le pape n’est « déposé » par le concile. Un pape qui tomberait dans l’hérésie et qui s’y obstinerait cesserait du même coup d'être membre de l'Église et par conséquent d'être pape ; il se déposerait lui-même. Ainsi l’entend Innocent III : Potest (ponlifex) ab hominibus judicari tel potius judicatus ostendi, si videlicet evanescat in hæresim, quoniam qui non crédit jam judicatus est. Serm., iv, in consecr. ponlif., P. L., t. ccxvii, col. 670. Cf. Fagnan, Comment, ad c. 4, De elect., I, vi, n. 70. Non potest exui jam nudalus, lit-on encore. Sexti décret., 1. II, tit. v, De reslit. spoliât., c. 1. Cf. Gratien, caus. XXIV, q. i, c. 1. Un jugement que le concile général prononcerait contre un pape schismatique n’est pas davantage une déposition. En fait, les papes schismatiques ont été simplement traités comme usurpateurs et dépossédés d’un siège qu’ils ne possédaient pas légitimement. Cf. le décret contre les simoniaques du concile de Rome de 1059, Hardouin, t. vi, col. 1064 ; Gratien, dist. LXX1X. c. 9 ; Grégoire XV, const. JEterni Palris, de 1621, sect. xix, Bullarium roman., t. m. p. 416. Les conciles qui les ont frappés n’ont fait qu’examiner leurs titres à la tiare. Ce ne sont pas les papes qu’ils ont jugés, mais l'élection et l’acte des électeurs : Eo casu non pontifex maximus, sed faction potius eligentium judicatur, dit fagnan, loc. cit., n. 65. En réalité, personne ne saurait déposer un pape hérétique ou schismatique, puisque le premier a cessé d'être pape et que le second ne l’a jamais été. Par conséquent, les exceptions à la règle que le droit écrit semble indiquer ne sont qu’apparentes. Le principe : prima sedes a nemine judicetur est absolu, il ne souffre pas d’exception : un pape, quels que soient ses crimes, n’a pas.au for extérieur, d’autre juge que Dieu.

Ballerini, De vi ac ratione primatus romanorum pontifl nui, dans M igné, Theologias cursus complétas, t. ni ; Barbosa, Collectanea doctorum in V lib. Decretalium, 3 in-fot., Lyon, 1C56 ; Bellarmin. De Uomano pontifice ; De conciliis et Ecclesia ; Binterim, Denkwiirdigkeiten der christkatliolischenKirche, 7 in-s, Mayence, 1825-1832 ; Bullarium magnum