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DÉMOCRATIE — DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THEOLOGIE JUIVE

aristocratiques, sont plus naturellement, plus simplement en communication avec leurs prêtres ; d’autant plus, que la grande République d’Outre-Mer ne connaît guère les formes bureaucratiques et protocolaires, lesquelles, ailleurs, se dressent encore, ainsi qu’une survivance d’ancien régime, entre les chefs et les subordonnés.

4° Le contact avec les laïcs se modifie encore profondément pour le clergé tout entier, partout où le mouvement social démocratique a provoqué, obtenu, accepté le concours du prêtre aux associations populaires. Tandis que le clergé allemand, dans la première moitié du XIXe siècle, vivait ou végétait sous la tutelle bureaucratique, étranger aux questions nouvelles de justice que soulevaient les temps nouveaux de l’industrie, depuis Ketteler, le clergé d’Outre-Rhin s’est fait le conseiller, l’initiateur, l’auxiliaire du paysan et de l’ouvrier à la pratique opportune bienfaisante, universelle de l’association économique ou professionnelle sous les formes les plus diverses. Georges Goyau, Kelteler, Paris, 1907. Aristocrate de naissance, Ketteler avait compris les exigences nouvelles des temps. « Mon àme tout entière, écrivait-il, est attachée aux formes nouvelles, que les vieilles vérités chrétiennes créeront dans l’avenir pour les rapports humains. » Kannengieser, Ketteler et l’organisation sociale en Allemagne, Paris, 1893. Voir Allemagne, Les œuvres sociales et charitables des catholiques allemands, t. i, col. 817 sq., Goyau, L’Allemagne religieuse : le catholicisme, 2 vol., Paris, 1905.

5° A mesure, enfin, que la pratique normale de la démocratie s’organise dans un peuple, par le moyen de l’autonomie communale, syndicale et professionnelle, locale et provinciale, les œuvres religieuses y recrutent des hommes mieux préparés à entourer le clergé d’un concours actif, intelligent, pratique et ordonné. Sous ce rapport, les traditions bureaucratiques, centralisatrices à l’excès de l’État français, ont malheureusement desservi l’Église de France depuis longtemps ; car, sous ce régime d’État, les citoyens ne connaissent guère d’autre alternative que celle de la passivité résignée ou de la critique frondeuse. L’antithèse s’établit, violente, entre l’autorité et sujets, car ceux-ci la rendent largement responsable de tout ce qui les mécontente, par sa faute ou non. Dans les milieux où, au contraire, les citoyens savent eux-mêmes s’unir, se discipliner et agir pour des fins communes, le concours des laïcs aux œuvres sociales et religieuses sera de meilleure qualité.

Alors, sans altérer le moins du monde les intangibles principes de la hiérarchie catholique, la formation démocratique de l’homme et du citoyen ne s’achèvera pas sans apporter son contingent de forces morales aux œuvres collectives du chrétien et du catholique. Si, de nos jours, la providence permet l’accession croissante d’une multitudes au pouvoir, avec l’universelle préoccupation de lois et d’institutions qui améliore ni la vie populaire, ce n’est pas sans prédestiner ces deux fins de la démocratie, déjà honnêtes en soi, à promouvoir des fins morales et religieuses plus hautes encore. Comme croyants, nous sommes portés à le croire, comme théologiens, nous le concluons des principes certains de notre foi en la providence. Si du chaos social et politique des invasions barbares, des aristocraties, des bourgeoisies sont issues, avec les ressources d’âme que le Christ a utilisées pour son Église et surélevées pour leur plus grand bien, nous ne devons pas moins espérer du chaos où se dégagent progressivement, parmi nous, les aspirations et les groupements de la démocratie. Cf. H. Delassus, L’encyclique Pascendi et la démocratie, Lille, 1908.

B. Schwalm.

DÉMON, ce nom, qui désigne dans le language ecclésiastique un ange déchu, est la transcription française des termes grecs δαίμων et δαιμώνιον. Δαίμων, dont l’étymologie est incertaine, est, en grec, un terme très complexe, étant données la multiplicité et la variété des acceptions dans lesquelles il a été employé et dont les nuances sont parfois difficiles à saisir. Ainsi Homère a désigné par ce mot la divinité en tant qu’elle exerce une influence bienfaisante ou funeste. Tandis que, pour lui, θεός ; est la personnalité divine elle-même, δαίμων représente une puissance secrète, indéfinissable, à laquelle tous les dieux participent et par laquelle ils font sentir à l’homme leur supériorité. Quand l’influence exercée est favorable, le δαίμων remplit en quelque sorte le rôle de la providence ; mais le plus souvent, cette action est funeste et Homère appelle δαιμόνιος ; un homme frappé par une puissance surnaturelle. En beaucoup de passages, δαίμων est simplement synonyme de θεός. Par conséquent, pour lui, les δαιμόνες sont les puissances divines s’occupant des destinées des mortels. Mais, pour Hésiode, ce sont des êtres intermédiaires entre les dieux et les hommes, chargés de fonctions qu’Homère attribuait aux dieux. Tels étaient les héros de l’âge d’or, devenus les gardiens souterrains des mortels, ou des personnifications soit des vertus et qualités morales, soit des forces cosmiques, mêlées très intimement à la vie des hommes. Δαίμων, a désigné aussi la destinée, τυχή. Le démon a encore joué le rôle de protecteur personnel ou d’esprit malfaisant, attaché à un homme qu’il accompagne pendant la vie, dont il dirige les pensées, les désirs et les inclinations. On connaît assez le démon de Socrate. Lélut, Du démon de Socrate, in-8°, Paris, 1856. Plutarque a reconnu aussi dans les démons des êtres intermédiaires entre les dieux et les hommes et participant à la fois à la nature divine et â la nature humaine. Ils sont les serviteurs des dieux, accomplissent des actions que la sublimité de ceux-ci leur interdisait de faire et répandent sur les hommes les bénédictions et les châtiments des dieux. Il y a de bons démons et de mauvais démons. Ces derniers, véritablement malfaisants, produisent ce qu’on a attribué aux dieux de méchant et d’indigne. De defectu oraculorum, c. XII ; De Isid. et Osir., c. xxvi. Cf. Daremberg et Saglio, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, v° Dæmon, Paris, 1892, t. ii, p. 9-19 ; Chantepie de la Saussaye, Manuel d’histoire des religions, trad. franc., Paris, 1904, p. 509, 514, 536, 656. Les deux mots grecs δαίμων et δαιμώνιον n’ont désigné des anges déchus que dans la version des Septante, dans le Nouveau Testament et dans la langue ecclésiastique. En passant dans le grec hellénistique des Juifs et des chrétiens, ils ont donc pris une acception nouvelle, étrangère à leur signification primitive, quoique présentant avec elle une certaine analogie. C’est dans l’acception juive et chrétienne d’anges déchus qu’il sera parlé ici des démons. Nous étudierons successivement les démons :
1°dans la Bible et la théologie juive ;
2° d’après les Pères ;
3° d’après les scolastiques et les théologiens postérieurs ;
4° d’après les décisions officielles de l’Église.


I. DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE
I. Dans l’Ancien Testament.
II. Dans le monde juif postérieur.
III. Dans le Nouveau Testament.

I. Dans l’Ancien Testament.

Comme on a prétendu que la doctrine juive sur les démons avait subi, après la fin de la captivité de Babylone, l’influence perse, il importa de distinguer ce que les Israélites pensaient des esprits mauvais jusqu’à l’exil et à partir de l’exil.

Avant l’exil.

Dans les plus anciens livres bibliques, il n’est pas explicitement question des anges déchus. Cependant, il y est fait mention de puissances malfaisantes et d’esprits mauvais. Dans le récit de la chute de nos premier parents, intervient un serpent.