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quotidiennement ; c’est des fonctions complémentaires, exercées par chacun de ces groupes, harmonisées entre elles avec justice pour tous et entre tous, que résulte la paix, que ressort le hien commun. Aussi, la nation appelée à se gouverner par ses représentants, selon le système démocratique, ne sera représentée que par les représentants de ces groupes et intérêts divers. Et où, et par qui seront-ils mieux choisis, avec une meilleure connaissance des personnes et des choses, que par les membres de la profession ? Nos circonscriptions d’arrondissement confondent des électeurs de toute catégorie dans le choix de personnes inconnues d’eux, et sur des énoncés de programmes où 99 citoyens sur 100 sont incompétents, car il ne s’agit de rien moins que d’un programme total de gouvernement pour toute la nation ! Aussi peut-on appliquer au suffrage universel, tel que nous l’avons et qu’il existe en d’autres pays, ce qu’on a dit des élections présidentielles aux États-Unis : « Les organisateurs ne consultent pas l’opinion publique ; ils la créent. Ils la manipulent, la pétrissent, la séduisent, la corrompent, la dominent, la suggestionnent de mille manières. La désignation en est faite, non parce que la foule est là, mais quoiqu’elle soit là, non par sa décision, mais parce que des comités d’une dévorante activité ont décidé pour elle. » Ostrogorski, La démocratie et l’organisation des partis politiques, Paris, 1903 ; Macy, Dur govemment, Boston, 1902, p. 244. Aussi, une démocratie parlementaire, qui repose sur le suffrage universel brut et amorphe, n’est qu’une démocratie de façade, menée etfectivement par des minorités politiciennes. Ch. Benoist, La crise de l'État moderne, Paris, 1897, p. 26, 27 ; Sophismes politiques de ce temps, Paris, 1895 ; Em. Lahovary, Histoire d’une fiction, le gouvernement des partis, Bucarest, 1897 ; sir Henry Summer Maine, Essais sur le gouvernement populaire, trad. franc., p. 145, 157 ; Georges Goyau, Autour du catholicisme social, 2e série, 1901, p. 46, 54. Bégime d’incompétence chez l'électeur et de corruption chez les faiseurs d'élection, tel est le bilan moral, désormais acquis, à la charge du suffrage inorganique. Et comme, d’autre part, tout le monde s’entend à reconnaître l’impossibilité pratique de revenir au suffrage restreint — par exemple, Benoist, De l’organisation du suffrage universel, p. 28, 30 ; de Lamarzelle, Démocratie politique, p. 7, 8, n. 1 — la conclusion est qu’il faut organiser le suffrage universel. Le problème de l'éducation civique et morale nécessaire à la démocratie engage donc ce dernier problème, que M. Charles Benoist a magistralement traité dans son ouvrage sur L’organisation du suffrage universel. Il y examine : 1° les expédients et palliatifs compatibles avec la forme actuelle : éducation des électeurs, vote obligatoire ; 2° les changements de forme accidentels : scrutin de liste ou d’arrondissement ; vote secret ou public ; limitations des dépenses électorales ; 3° les changements minimes en substance : l'âge, le domicile, le minimum de capacité ; 4° les combinaisons : suffrage à plusieurs degrés et vote plural ; 5° la représentation proportionnelle des opinions ; 6° la représentation réelle du pays. Belativement à celle-ci, M. Benoist étudie : 1° les fondements théoriques et philosophiques de la représentation professionnelle ; 2° ses fondements historiques ; 3° ses éléments dans les législations existantes : survivances ou formes anciennes ; formes mixtes ou renouvelées ; formes nouvelles ou progressives. L’ouvrage se termine par un essai d’application à la France. Il est à lire et à méditer par tous les moralistes, qui, sans sortir de leur compétence, voudront sortir néanmoins des généralités et des lieux communs, sur la réforme du suffrage universel et de ses mœurs. De même que, au traité de la justice et des contrats, le théologien doit connaître un bon nombre de lois civiles et de théories juridiques, de même, au traité des Dc rnirs civiques, encore à faire, le théologien devra connaître les institutions qui assureraient le mieux sa compétence et sa probité au suffrage populaire, et, par suite, les ('tndes techniques de science sociale et de science politique nous sont, de par nos devoirs, aussi indispensables que celle de l’anthropologie ou de toute autre science auxiliaire. Nous y gagnerons une précision et une sérénité d’esprit strictement nécessaires à la valeur de nos jugements moraux sur le régime politique nommé démocratie. XL L’encyclique De conditions opificum et la

    1. DÉMOCRATIE COMME MOUVEMENT SOCIAL##


DÉMOCRATIE COMME MOUVEMENT SOCIAL. — On peut appeler ce document la charte pontificale de la démocratie, en prenant ce terme dans le sens dérivé de mouvement social pour l’amélioration de la vie chez les ouvriers. Dans l’exorde, Léon XIII résume vigoureusement les causes du redoutable conflit que le xiv siècle vit naître dans la société : 1° progrès nouveaux de l’industrie et méthodes nouvelles des arts mécaniques ; 2° altération des rapports entre patrons et ouvriers ; 3° concentration des richesses entre les mains du petit nombre et indigence de la multitude ; 4° opinion plus grande que les ouvriers ont conçue d’eux-mêmes et leur union plus compacte ; 5° corruption morale. Cette énumération place fort exactement la révolution technique et industrielle opérée par le machinisme au premier rang des facteurs qui ont produit l’antagonisme actuel des classes ; viennent ensuite les faits déconcentration ouvrière, de concentration patronale et de démoralisation dont les économistes et les politiques ont, comme Léon XIII, reconnu l’enchaînement. Mais le pontifie annonce de suite le haut point de vue de justice qui domine son intervention : « préciser avec justesse les droits et les devoirs qui doivent à la fois commander la richesse et le prolétariat, le capital ri le travail. Le problème n’est pas sans danger, parce que trop souvent des hommes turbulents et astucieux cherchent à en dénaturer le sens et en profitent pour exciter les multitudes et fomenter des troubles. Quoi qu’il en soit, nous sommes persuadé, et tout le monde en convient, qu’il faut, par des mesures promptes et efficaces, venir en aide aux hommes des classes inférieures, attendu qu’ils sont pour la plupart dans une situation d’infortune et de misère imméritées. » Ces dernières paroles sont absolument neuves : si. d’un côté, Léon XIII ne reste pas moins sévère aux violences et aux excitations révolutionnaires que Grégoire XVI ou Léon XII, d’autre part, il bénéficie de soixante années où le conflit social, se prolongeant, fut observé, étudié, apprécié par de nombreux esprits, notamment par ces économistes ou ces hommes d’action catholiques, si justement appelés les précurseurs du mouvement social catholique ou ses premiers initiateurs. Victor de Clercq, Les doctrines sociales catholiques en France, depuis la Révohdion jusqu’il nos fours, Paris. 1905, 2 brochures. Voir Corporations, t. iii, col. 1870, 1871. Depuis les écrivains contre-révolutionnaires, comme Joseph de Maistre et Bonald, en passant par Chateaubriand. Ballanche, Lamennais, Lacordaire, Montalembert, le comte de Coux, Yilleneuve-Bargemont, Louis Veuillot, Ozanam, jusqu'à Gratry, Charles Périn, Bené de la Tour du Pin, le comte de Mun, Ketteler, Vogelsang, Decurtins, etc., l’application des principes évangéliques à l’amélioration physique, sociale et morale de la vie ouvrière devint de plus en plus un sujet d'études et un principe d’action. Par l’organe d’une élite de croyants et de penseurs, l'Église enseignée sollicitait implicitement l’autorité pontificale à se prononcer sur cette cause majeure. Des gens même du dehors, comme Bûchez et son école, d’anciens saint-simoniens, comme le banquier israélite [saac Pereire, sollicitaient expressément une action nouvelle de la papauté. « Jamais œuvre plus digne d’elle. plus conforme à l’enseignement de son divin maître ne