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DÉMOCRATIE

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qu’on nomme U' droit des majorités, soit dans les assemblées populaires de la démocratie directe, soit dans les assemblées élues de la démocratie représentative. Dans une collectivité délibérante où les avis se partagent, il faut bien en venir à compter les voix ; c’est un moyen pratique, et le seul, de terminer les débats par une solution incontestée de tous. Mais, pratiquement aussi, les décisions de la majorité ne demeurent acceptables, que si elle poursuit elle-même le bien commun, et non pas l’abaissement et le dommage de la minorité. On en revient ainsi à la nécessité de principes moraux dominant la foule et l’assemblée entière : ils disposent la majorité à écouter le plus possible les justes doléances de la minorité. Depuis que l’expérience de la démocratie parlementaire a largement instruitles publicistes, l’opinion de ceux-ci est faite. Herbert Spencer écrivait, Contemporary Rewiew, 1884 : « Le droit de la majorité est sans valeur au delà de certaines limites. C’est comme si, dans le comité de surveillance d’une bibliothèque, la majorité décidait d’employer les fonds à l’achat de cibles et de munitions. » Le professeur Seeley, de Cambridge, Introduction lopolitical science, Londres, 1902, p. 156, 157, écrit : « Le principe majoritaire se justifie par la difficulté d’en trouver un autre ; mais il compromet l’idéal de la volonté collective du peuple ou du gouvernement libre. » C’est une simple « invention pratique ». Bryce, La République américaine, Paris, 1901, t. iii, p. 499, écrit : « La tyrannie de la majorité n’est pas dans la forme de l’acte qui peut être parfaitement légale, mais dans l’esprit ou l’humeur qu’il révèle, et dans le sentiment d’injustice et d’oppression qu’il évoque dans la minorité. » Balfour redoute les abus tyranniques de la majorité contre les droits et libertés privées : « C’est une tyrannie non moins néfaste que celle des despotes. » Discours prononcé à Limerliouse, en Irlande, dans le Times, 12 juin 1903. Enfin, l’rins, De l’esprit du gouvernement démocratique, Bruxelles, 1902, p. 120, 121, écrit : « La minorité doit, au nom de l’ordre légal, s’incliner devant la majorité ; mais celle-ci doit, au nom de la justice, s’incliner devant l’intérêt de tous. » Savants ou hommes d’Etat, les politiques contemporains s’accordent donc à professer que la souveraineté du nombre et de la majorité relève de la suprématie qui appartient toujours au bien commun et au droit. Leur unanime conviction à cet égard donne un splendide commentaire à l’enseignement de Pie IX.

Mais celui-ci eut le mérite de rappeler ces vérités morales dans un temps où le souci de la popularité et l’envie du succès rapide orientait les politiques vers l’adulation du nombre et de la force. Pie IX avait goûté les enthousiasmes populaires aux premiers jours de son règne ; mais il connut bientôt la révolution à Borne et l’exil à Gaëte. Il discerna les poussées mauvaises du nombre et de la force, et il sacrifia courageusement la popularité de ses débuts à une douloureuse, mais nécessaire protestation. C’est la gloire de ce pontife, de n’avoir pas ilatté la démocratie et d’avoir appliqué l’antique morale chrétienne à contrebalancer la souveraineté du nombre. L’autorité et la loi ne peuvent pas être simplement « l’expression de la volonté générale », comme le porte la Déclaration des droits de l’homme ; il faut, de plus, que la volonté générale se subordonne au droit et au bien commun.

L’enseignement de Pie IX demeure encore très opportun, car, de nos jours, on va, redisant de tout vote majoritaire : « C’est la loi ! Il n’y a plus qu'à s’incliner ! » Et si la loi est injuste ? Un coup de majorité peut-il être la règle infaillible de la justice ? Non ! la loi n’est pas « l’expression de la volonté générale », mais de l’ordre raisonnable à établir en vue du bien, soit par la volonté du prince dans une monarchie pure, soit par la volonté du peuple ou de ses représentants,

dans une démocratie. V. Maumus, L'Église et la France moderne, p. 225, 226. IX. Léon Xlll : u démocratie politiqw

mi : PARMI LES FORMES Dl GOI FERMEMENT QBE l'ÉgLISI PEl T ACCEPTER. — 1° La question de principe. — Dans l’encyclique Diuturnum, du 29 juin 1881, sur l’origine du pouvoir civil, la démocratie est formellement l’objet de cette reconnaissance ; mais Léon XIII prend soin d’en purifier le concept de tout alliage avec la thèse de Bousseau sur la souveraineté première, absolue et inaliénable du peuple. D’après Bousseau. en effet, chaque citoyen fait abandon de toute sa personne et de tous ses droits à toute la multitude, qui, désormais souveraine, lui assurp toute protection : tel est l’objet du contrat social : la souveraineté de l’homme isolé sur soi-même se transforme en la souveraineté de tous ensemble sur chacun des associés. Désormais, c’est la volonté de tous, ou, à son début, la volonté- du plus grand nombre qui est la loi suprême ; les divers types de gouvernement, royauté, aristocratie, magistrats populaires, ne sont que les commis et les délégués de la souveraineté universelle. Aussi « quand on propose une loi dans l’assemblée du peuple, ce qu’on demande aux citoyens, ce n’est pas précisément s’ils approuvent la proposition ou s’ils la rejettent, mais si elle est conforme ou non à la volonté générale, qui est la leur : chacun, donnant son suffrage, dit son avis là-dessus, et du calcul des voix se tire la déclaration de la volonté générale. » Bousseau, Le contrat social, 1. IV. c. II. Cette doctrine ressemble fort au matérialisme politique déjà condamné dans la proposition 60e du Syllabt(s et celle-ci n’en paraît elle-même que la transposition dans un style rajeuni. Mais la démocratie, grandissant privée de ses véritables éducateurs, trop souvent exploitée par des sophistes et des politiciens, continuait de se griser, en quelque sorte, par les doctrines et par l’esprit du Contrat social. C’est à quoi pare Léon XIII : « Bon nombre de contemporains, suivant les traces de ceux qui, au siècle dernier, s’intitulèrent les philosophes, prétendent que tout pouvoir vient du peuple : que, par suite, ses dépositaires dans la cité ne le détiennent pas comme leur appartenant, mais ainsi qu’un mandat populaire, et sous cette clause, que la volonté du peuple peut toujours révoquer son mandat. Mais, c’est ce que nient les catholiques : ils rattachent à Dieu le droit de commander, comme à son naturel et nécessaire principe. Toutefois, il importe ici même d’observer que les gouvernants peuvent en certains cas être choisis par la volonté et le jugement de la multitude, sans nulle opposition de l’enseignement catholique. Par ce moyen de l'élection, la personne du prince est désignée, mais les droits du pouvoir ne sont pas conférés : ce n’est pas l’autorité qui est déléguée, mais on décide par qui elle sera exercée. Les diverses formes de gouvernement ne sont pas ici non plus en cause : rien n’empêche l'Église d’approuver le gouvernement d’un seul ou de plusieurs, pourvu qu’il soit juste et qu’il recherche le bien commun. C’est pourquoi, réserve faite de la justice, les peuples ne reçoivent aucune interdiction de se choisir le genre de constitution qui s’adapte le mieux à leur génie propre, aux traditions de leur passé ou à leurs mœurs. «

Cet enseignement de Léon XIII continue bien l’enseignement des scolastiques sur les diverses formes de gouvernement ; toutefois, sous la plume de ce pontife si appliqué à reconnaître les signes des temps, la doctrine traditionnelle passe de l'état purement spéculatif et du milieu scolaire, à une application des plus pratiques dans la situation du monde moderne. Et c’est pourquoi aussi elle s’enrichit d’une antithèse vigoureuse entre la participation légitime du peuple au pouvoir et sa souveraineté, telle que Bousseau la supposait. On retrouve le mémo enseignement dans l’encyclique