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l'État n’ont pensé à rien préparer d’avance pour la démocratie ; elle s’est faite malgré eux ou à leur insu. Les classes les plus puissantes, les plus intelligentes et les plus inorales de la nation n’ont point cherché à s’emparer d’elle alin de la diriger. La démocratie a donc été abandonnée à ses instincts sauvages ; elle a grandi comme ces enfants privés des soins paternels qui s'élèvent d’eux-mêmes dans les rues de nos villes et qui ne connaissent de la société que ses vices et ses misères. On semblait encore ignorer son existence quand elle s’est emparée à l’improviste du pouvoir. Chacun alors s’est soumis avec servilité à ses moindres désirs ; on l’a adorée comme l’image de la force… II en est résulté que la révolution démocratique s’est opérée dans le matériel de la société, sans qu’il se fît, dans les lois, les idées, les habitudes, les mœurs, le changement qui eut été nécessaire pour rendre cette révolution utile. Ainsi nous avons la démocratie, moins ce qui doit atténuer ses vices et faire ressortir ses avantages naturels ; et voyant déjà les maux qu’elle entraîne, nous ignorons encore les biens qu’elle peut donner. » De la démocratie en Amérique, Introduction, p. 9, 10. Cf. sir Th. May, Histoire de la démocratie en Europe, Paris, 1879.

Mais, si elle a manqué d'éducateurs à sa naissance, la démocratie, devenue grande et vigoureuse, ne les réclame-t-elle pas plus que jamais, surtout depuis qu’elle a fait l’expérience de ses erreurs et de ses fautes ? C’est ce que pensent d'équitables et chrétiens esprits, qui s’attachent à démêler quels véritables biens honnêtes les revendications politiques et sociales de la démocratie poursuivent. Sans donc absoudre ni les violences des révolutions ni les projets spoliateurs du collectivisme, des moralistes catholiques estiment que la démocratie poursuit une (in légitime et un réel progrès de la personnalité humaine, en admettant chaque citoyen à une part du gouvernement. Se gouverner soi-même est le propre de l’homme raisonnable : cette maîtrise de l’homme sur ses actes commence par le gouvernement de sa vie et de ses biens dans l’ordre privé ; mais elle demeure incomplète si l’on vit dans l’ordre public à la manière d’un sujet et non d’un citoyen, sous la tutelle du pouvoir, comme un simple mineur. Gayraud, Les démocrates chrétiens, ]). 17 ; Fonsegrive, La crise sociale, p. 443. Non moins légitime est l’accroissement de la sollicitude publique à l'égard de la classe ouvrière ; et les facilités d’association ou autres que de récentes lois lui ont procurées contribuent justement à une réelle amélioration de son mode d’existence. Gayraud, loc, cit., p. 20, 21.

En présence de ces avantages, réalisés ou poursuivis, la foi chrétienne au gouvernement divin des affaires humaines inspire l’idée d’une disposition providentielle. Alexis de Tocqueville exprimait cette vue dans une page saisissante où, résumant les caractères du mouvement démocratique, universel, durable, échappant chaque jour à la puissance humaine, utilisant à ses fins les événements et les hommes, il déclarait l'étudier « sous l’impression d’une sorte de terreur religieuse ». De la démocratie en Amérique, t. i, p. 7, 8. Mais puisque le bien et le mal s’enchevêtrent dans ce mouvement, 'ne devons-nous pas, en toute sérénité, considérer les justes revendications de la démocratie comme directement autorisées et voulues par la providence, et ses erreurs, ses fautes, ses déviations, comme des maux que la bonté providentielle permet encore, non sans le dessein d’en tirer du bien ? En appliquant tout simplement ici la notion catholique de la providence, telle que la résume saint Thomas, Sum. theol., I q. xxii, a. 2, l'âme s'élève, la pensée se rassérène, l'étude devient impartialement chrétienne et sympathique à tout bien, dans le spectacle si troublé et si troublant du mouvement démocratique.

C’est la meilleure préparation morale pour recueillir

à son sujet les enseignements des souverains pontifes.

VII. De Pie VII à Grégoire XVI : condamnation

    1. RÉITÉRÉE DES MENÉES RÉVOLUTIONNAIRES##


RÉITÉRÉE DES MENÉES RÉVOLUTIONNAIRES. — biv. i l

causes bien connues entraînèrent d’abord le mouvement démocratique dans certaines déviations révolutionnaires : une législation, sévèrement prohibitive des grèves, coalitions, associations, ententes quelconques entre ouvriers, poussait elle-même ces derniers à des réunions secrètes ou à des violences contre les personnes et les biens des patrons. Les exemples de ces désordres furent nombreux en France et en Angleterre, à mesure du développement industriel. Ilowell, Le passé et V avenir des Trade-Vnions. « Les bourgeois, l’aristocratie et les princes s’entendaient à l'établissement de lois et de coutumes en faveur du capital et contre le travail : le premier affirmant ses droits sans tenir compte de ses devoirs et de ses responsabilités, tandis que le second, obligé de subir tous les devoirs et toutes les responsabilités, voyait méconnaître ses droits légitimes, sans aucun moyen de les faire respecter. » Ilowell, p. 49. Cf. p. 40. Privés ainsi du bienveillant patronage qui les eût initiés à la revendication pacifique de leurs intérêts, les ouvriers devinrent aisément victimes de meneurs, soit fanatiques, soit exploiteurs, naturellement appelés par leur inexpérience à se conduire dans une situation toute neuve, et par leur exaspération. Le mouvement ouvrier, dépouillé de son autonomie, fut entraîné le plus souvent dans un courant tout révolutionnaire de conspirations secrètes, de violences matérielles pour renverser les bourgeois et les princes.

De rares esprits clairvoyants eurent seuls l’intuition de la cause juste qui se compromettait dans' cet entraînement. Ils virent aussi quelles ressources merveilleuses de doctrine morale et de fraternité l'Église possédait pour servir la cause des humbles. En 1825, le comte de Saint-Simon, dont une école fameuse a gardé le nom. s’adressait au pape dans son Nouveau christianisme. Il lui démontrait que, pour garder ou reconquérir la puissance morale de l'Église sur les peuples, il fallait diriger la grande réforme sociale qui se préparait dans le monde. « Vos devanciers ont suffisamment perfectionné la théorie du christianisme, ils l’ont suffisamment propagée, c’est de l’application de la doctrine qu’il faut vous occuper. Le véritable christianisme doit rendre les hommes heureux, non seulement dans le ciel, mais sur la terre. Votre tâche consiste à organiser l’espèce humaine d’après le principe fondamental de la morale divine. Il ne faut pas vous borner à prêcher aux fidèles que les pauvres sont les enfants chéris de Dieu, il faut que vous usiez, franchement et énergiquement, de tous les pouvoirs et de tous les moyens de l'Église militante, pour améliorer promptement l'état physique et moral de la classe la plus nombreuse. » Le nouveau christianisme, Paris, 1832, p. 138-149 ; Id., Le catéchisme des industriels, Paris, 1824.

A l'énoncé de ce dernier but, on reconnaît une intuition profondément juste du problème démocratique dans son aspect social. Saint-Simon n’aperçoit pas moins bien les ressources morales de l'Église pour la pleine solution de ce problème où la justice et la charité doivent primer l'économie politique. Malheureusement, disciple de l’Kncyclopédie. le réformateur n'était en religion qu’un déiste, incrédule aux dogmes de l'Évangile, bien que très admirateur de sa morale. Il n'était guère en situation de faire agréer ses conseils par le suprême gardien de l’orthodoxie intégrale.

De plus, le saint-siège concentrait alors son attention sur les carbonari et autres sociétés secrètes qui se livraient à des menées anticatholiques et révolutionnaires, parmi les ouvriers comme dans la bourgeoisie.