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DÉMOCKATIE


ment y pénétrer, l’n principe de méthode, un devoir professionnel de théologien nous commande cette extension de compétence, afin de juger intelligemment et en équité, au point de vue chrétien, la démocratie. La probité de l’étude et la prudence du conseil l’exigent également d’un spécialiste de la inorale ; en s’occupant. à de telles lins, de faits apparemment profanes et temporels, le théologien ne sort pas plus de sa compétence dans les choses divines et de sa mission d’enseignement religieux, que saint Thomas n’en sort en étudiant à fond la théorie métaphysique de la nature et de la personne pour son traité de l’incarnation. Notre-Seigneur Jésus-Christ se continue moralement et socialement dans l’Église enseignante, étudiante et enseignée ; et -si, pour satisfaire à leurs diverses fonctions, les pouvoirs enseignants, les puhlicistes enseignés abordent le problème moral de la démocratie et de ses rapports avec la vie catholique, ils demeurent aussi bien en communion avec Jésus-Christ dans la pensée de son Église. S’ils quittent en apparence Jésus-Christ, pour s’occuper de démocratie communale ou de lois ouvrières, c’est afin de propager l’esprit de son Évangile dans ce que ces institutions doivent renfermer de juste et de fraternel.

On aurait tort, ici, de reprocher au théologien quelque inutile complication de son caractère : il ne fait que son devoir dans les limites de sa compétence ; car celle-ci doit annexer des renseignements de fait, historiques et sociaux, aux principes de foi révélée et de morale naturelle dont l’Église est dépositaire.

Un lieu théologique de la plus haute valeur, un enseignement pontifical réitéré et approfondi, nous certifie la pensée de l’Église, à propos de cette compétence. Dans sa Lettre au ministre général des frères mineurs, Léon XIII écrivait, le 25 novembre 1898 : « Plus que jamais c’est sur le peuple que repose en grande partie le salut des États. Aussi, étudier de prés la multitude, qui si souvent est en proie, non seulement à la pauvreté et aux durs labeurs, mais encore à toutes sortes de pièges et de dangers ; l’aider avec amour d’enseignements, de conseils et de consolations, tel est le devoir des prêtres séculiers et des réguliers. Nous même, si nous avons adressé aux évêques nos encycliques sur la franc-maçonnerie, sur la condition des ouvriers, sur les principaux devoirs des citoyens chrétiens, et autres du même genre, c’est surtout dans l’intérêt du peuple, afin qu’elles lui apprissent à délimiter ses droits et ses devoirs, à.se diriger lui-même, à travailler comme il convient à son propre salut. » On remarquera, dans ces dernières lignes, que Léon XIII ne voit aucune contradiction, pas même d’impossibilité pratique, dans l’idée d’un peuple qui se dirige lui-même, exactement conscient de ses droits et de ses devoirs. Et c’est la classe ouvrière qu’il vise directement.

III. Saint Thomas d’Aquin : la théorie morale de la démocratie au xiiie siècle. — I. les documents. — 1° Le Commentaire sur la Politique d’Aristote.


De nombreuses leçons concernent la démocratie dans les huit livres de commentaires édités sous le nom de saint Thomas. Mais ce n’est pas là qu’on peut absolument reconnaître sa pensée personnelle. D’abord, il ne poursuivit lui-même la rédaction de cet ouvrage que jusqu’à la fin de la leçon vie du 1. III. Le reste est l’œuvre de Pierre d’Auvergne, un disciple fidèle, en qui, assurément, se retrouvent l’esprit et la méthode du maître, mais dont le texte, néanmoins, ne saurait engager l’opinion personnelle de saint Thomas. De Rulieis, Dissertationes rriticæ in S. Thomam, diss. XXII, c. iii, § 2. De plus, c’est seulement à partir de la leçon vr 5 au l. III, que saint Thomas commente la division classique des trois formes de gouvernement. La plus grande partie de ses commentaires personnels sur le régime démocratique nous manque ainsi ; car

Aristote en parle surtout dans les chapitres ou livres suivants.

Du moins, possédons-nous la leçon vr. et dans le I. II e de précieuses observations sur la démocratie, à propos des constitutions de la Crète, de Carthage et de Lacédéinone. Lect. xiii-xvi. Mais, on ne saurait oublier que l’originalité de saint Thomas, commentateur d’Aristote, consiste précisément à s’eflacer en entier, pour établir une exégèse littérale du Philosophe, aussi objective que possible, sans trace de vues à soi, d’approbations ni d’improbations. Toute sa visée est de réagir contre l’exégèse sollicitante qu’il a blâmée chez Averroès et qu’il combat chez les disciples de Siger de lirabant. Mandonnet, Aristote et le mouvement intellectuel du moyen âge, Fribourg, 1899, p. 40. A raison de cette méthode particulière, deux conditions s’imposent dans l’usage des Commentaires sur la Politique, si l’on veut y retrouver les idées personnelles de saint Thomas : 1° il faut que les doctrines formulées dans le Commentaire se retrouvent explicitement dans quelque ouvrage où saint Thomas parle en son nom personnel ; ou bien : 2° que les doctrines du Commentaire se reconnaissent incluses dans les siennes propres, par voie de causalité ou de conséquence.

2° C’est dans la Somme théologique, que l’enseignement de saint Thomas sur la démocratie se formule surtout, sous forme d’une théorie générale des éléments démocratiques dans une constitution parfaite. Ia-IIæ, q. cv, a. 1. Divers autres passages de la Somme doivent èlre aussi consultés : Ia-IIæ, q. xcv, a. i ; q. xc. a. 3 ; II a II’, q. i xi, a. 2.

3°. On ne doit pas oublier l’important opuscule De regimine principum. C’est un cours de morale à l’usage des rois, dédié à celui de Chypre, Hugues II ou III de Lusignan. Malheureusement, de ses quatre livres saint Thomas ne rédigea lui-même que le I er et le II e jusqu’à la moitié du c. iv, opporlunum est igitur. De Rubeis, Dissertationes, diss. XXII, c. I. S 3. Le reste est de Tbolomée de Lucques, un disciple, dont le travail constitue un document ancien et curieux de la sociologie dans l’école thomiste. Quant aux chapitres écrits par saint Thomas lui-même, la méthode comparative qu’il affectionne lui fournit l’occasion d’intéressants parallèles où figure la démocratie. Pas plus que dans la Somme, d’ailleurs, il ne s’arrête à l’étudier pour elle-même et à fond.

II. SIMPLE DÉTAIL DA.YS UNE ŒUVRE ENCYCLOPÉ-DIQUE. — Elle vient au contraire comme un simple détail, dans une vaste encyclopédie théologique, où de nombreuses questions morales sont abordées. A propos des divers états de la vie chrétienne, l’obligation du travail manuel est démontrée, II’II’, q. eixxxvii, a. 3 ; à propos de vol et de rapine, les fondements du droit de propriété sont établis, II a II’. q. i.xvi. a. 1, et le droit particulier à la propriété individuelle est justifié parallèlement au régime de la communauté, a. 2. Dans le traité de la foi, à propos de l’infidelitas ou incroyance des non-baptisés. les problèmes des relations civiles avec les Juifs ou les infidèles, des mesures coërcitives ou défensives contre eux. des droits de souveraineté ou de patronat qu’ils peuvent avoir sur les chrétiens, de la tolérance de leurs rites en pays catholique, du nonbaptême de leurs enfants malgré eux. sont discutes et résolus. Il » II*, q. x. a. 8-12. Dans le traité de la charité, les problèmes de la guerre étrangère et de la révolte civile sont également examines. Il* II*, q. xl. xlii. Une morale sociale lies achevée, sensiblement au point de l’époque et du milieu, pourrait s’extraire de la Somme, ainsi que du Commentai re sur les IV livres des Sentences, où, à propos du mariage, il est longuement traité de la famille et de l’éducation. Telle est le vaste ensemble doctrinal, où, en son lieu, le problème de la démocratie nous apparaît amené. De sobres déve-