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DÉMISSION - DÉMOCRATIE

d’un bénéfice, et cela de son consentement, d’une pension au profit de son prédécesseur. La raison grave sera, par exemple, l’infirmité du prédécesseur, le bien de la paix troublée jusque-là par des procès, etc. Mais de l’avis commun des canonistes, son pouvoir ne va pas jusqu’à grever le bénéfice lui-même, et l’obligation, personnelle à celui qui l’a consentie, meurt avec lui. Si la cause subsiste à la mort du grevé, l’évêque pourra demander au successeur de se lier à nouveau par une obligation toujours personnelle. Mais le titre : Ut beneficia ecclesiastica sine diminutione conferantur, l. iii, xii, ne peut subir d’exception que par la volonté du pape.

Ce pouvoir si réduit, l’évêque pourra en user en faveur d’un démissionnaire, cela va sans dire, mais le principe qu’on ne doit faire aucun pacte sur le bénéfice domine la matière, c. 8, Décrétales, De pactis, i, xxxv. Le démissionnaire pourra donc seulement, en donnant sa démission pure et simple, prier l’évêque d’user de son droit en sa faveur. Il pourra même lui désigner tel ou tel qu’il sait disposé à accepter le bénéfice en se chargeant personnellement de la pension ; mais à cela se bornera le rôle du démissionnaire.

V. Peut-on reprendre sa démission ?

Qui juri suo renuntiavit, non potest post ea ad illud redire. Ce principe s’applique, dans l’espèce qui nous occupe, avec une rigueur particulière, au moins quand le supérieur a accepté la démission. En effet, ce dernier n’a donné son consentement que pour des motifs graves qui peuvent tous se ramener au bien général de l’Église ou au propre salut du démissionnaire qui a cru de son devoir de ne pas garder une responsabilité trop lourde. Un démissionnaire, qui reprendrait sa démission acceptée, commettrait un acte déraisonnable et pourrait être contraint par toutes les voies de droit à laisser la place à son successeur. Mais si la démission n’avait pas encore eu son plein effet par l’acceptation du supérieur, le démissionnaire pourrait revenir sur sa décision. En tous cas, on peut être promu à nouveau à un poste dont on s’était d’abord démis. Mais les auteurs notent que si la démission avait été acceptée, on prend rang par ancienneté du jour de la nouvelle promotion.

Les commentateurs des Décrétales : Fagnan, Reiffenstuel, etc., traitent cette matière au titre De renuntiatione, qui est le ixe du l. ier. Au Sexte, c’est au même livre le titre viie, dont le ier chapitre, rédigé par Boniface VIII, traite de la démission du souverain pontife. Voir aussi la bulle de saint Pie V, du 1er avril 1568, Quanta Ecclesiæ dans le Bullarium de Lyon, t. ii, p. 252 ; Ferraris, Prompta bibliotheca, etc. En cette matière, la discipline n’a pas changé et les anciens auteurs se trouvent au point. Nous avons signalé dans l’article la jurisprudence de la S. C. du Concile qui assimile en cette matière les offices et fonctions aux bénéfices proprement dits.

P. FOURNERET.

DÉMOCRATIE.
I. Le double sens du terme : le régime politique, le mouvement social.
II. La compétence des théologiens au sujet de la démocratie.
III. Saint Thomas d’Aquin : la théorie morale de la démocratie au xiiie siècle.
IV. Savonarole : le problème pratique de la démocratie à Florence, au xve siècle. V. La légitimité de la démocratie, d’après l’enseignement commun des théologiens.
VI. Le mouvement démocratique aux temps modernes.
VIL De Pie VII à Grégoire XVI : condamnation réitérée des menées révolutionnaires.
VIII. Pie IX : la souveraineté du nombre et de la force matérielle, condamnée par le Syllabus.
IX. Léon XIII : la démocratie politique reconnue parmi les formes de gouvernement que l’Église peut accepter.
X. L’éducation morale de la démocratie ; problèmes connexes.
XI. L’encyclique De conditione opificum et la démocratie comme mouvement social.
XII. L’encyclique Graves de communi et la démocratie chrétienne.
XIII. Pie X : l’encyclique Pascendi et la démocratie dans l’Église.

I. Le double sens du terme : le régime politique, le mouvement social.

Le régime politique.

Dans l’usage courant, le terme démocratie éveille d’abord l’idée d’un peuple qui se gouverne lui-même. C’est le sens voulu par l’étymologie. C’est le sens consacré par l’opposition classique de la démocratie, gouvernement de la multitude, à l’aristocratie, gouvernement de l’élite en petit nombre, et à la monarchie, gouvernement d’un seul. Platon, République, l. i, c. viii, Le politique ; Aristote, Politique, l. ii, c. iv. v ; Polybe, Histoire générale, l. VI, c. iii ; Cicéron. La République, l. I, c. xxix, xlv ; l. II, c. xxix, xxxix ; S. Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. cv, a. 1 ; Machiavel, Discours sur les Décades de Tite Live, l. I, c. ii ; Montesquieu, Esprit des lois, l. I, c. ii ; Rousseau, Contrat social, l. III. c. iii. x ; Fonsegrive, La crise sociale, Paris, 1901, p. 438, 440 ; Gayraud, Les démocrates chrétiens, Paris, 1899, p. 4 ; Ch. Antoine, S. J., Cours d’économie sociale, Paris, 1899, p. 248 ; sir Henry Sumner Maine, Essais sur le gouvernement populaire, Paris, 1887, p. 90.

Mais que signifie exactement le mot peuple dans cette définition nominale de la démocratie ? Dans un sens large et fondamental, c’est une multitude, composée de familles et d’autres groupes, unifiée par de communs intérêts et de communes lois. S. Augustin, d’après Cicéron, De civitate Dei, l. II, c. xxi ; l. XIX, c. xxi, P. L., t. xli, col. 66, 648. Mais, tandis que certaines sociétés se maintiennent dans une sensible égalité des conditions et des fortunes, soit par suite des ressources modiques du lieu, soit par suite de travaux faciles, art pastoral et culture rudimentaire, d’autres sociétés, mieux pourvues de ressources locales ou plus laborieuses, se distinguent en classes : les ouvriers et les patrons, les pauvres et les riches, les gens à l’aise et les opulents, les petits et grands propriétaires. L’égalité et l’uniformité des conditions se maintiennent facilement dans les sociétés simples, vivant de récoltes spontanées, de culture extensive, de petite fabrication ménagère ; mais elles font place à de croissantes inégalités dans tout milieu qui exige un travail intense. E. Demolins, Comment les sociétés compliquées sont issues des sociétés simples, dans La science sociale, 1886, t. i, p. 486, 520 ; Id., Les commencements de la culture, ibid., 1886, t. ii, p. 413, 432. C’est par l’effet de ces causes, que, chez les Grecs, le terme δῆμος, et, chez les Latins, populus, reçurent une acception particulière nouvelle. Les patriciens, grands propriétaires fonciers ou commerçants enrichis, se distinguèrent de la masse ouvrière et pauvre, spécialement nommée le peuple. C’est en ce sens que le protocole disait : Senatus populusque romanus. C’est en ce sens que l’Iliade oppose le δῆμος aux rois et aux chefs. Iliad., II, 188, 198 ; Odys., VIII, 157. Les politiques disaient, à peu près comme à Rome, ἡ βουλὴ καὶ ὁ δῆμος ; comme enfin ce sont les travailleurs manuels qui forment la grande majorité des sociétés, et que les classes riches, les aristocraties, les gouvernants, échappent de par leur condition à la nécessité du travail manuel, peuple se dit plus spécialement encore au sens restreint de la classe ouvrière.

Est-ce du peuple-ouvrier, de la multitude sans fortune, ou bien du peuple en totalité que l’on entend parler en disant que le peuple gouverne dans la démocratie ?

Chez les anciens, ce n’était absolument ni de l’un ni de l’autre ; car les démocraties classiques de la Grèce excluaient de tout droit politique diverses catégories de travailleurs manuels : les esclaves ruraux et domestiques ; les périoèques de la Crète, les métèques de l’Attique, les 'poénestes de Thessalie, les hilotes de Sparte. C’étaient des paysans attachés à la glèbe, des serfs ou des demi-serfs de la terre. Aristote, Politique, l. II, c. vi. § 2. 3. C’est que l’État grec, la cité,