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DIEU (SA NATURE D’APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE ;

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sujet qui s’anéantit totalement, ne peut avoir conscience de lui-même, fût-ce pour percevoir son propre néant. The Limits of religions thought, p. 81-116. La conscience de nos obligations peut moins encore nous révéler directement l’infini. Elle suppose, en effet, et au premier plan, le sens de notre liberté, et, par conséquent, de notre réalité personnelle, lbid., p. 85.

En troisième lieu, Mansel invoque l’histoire de la philosophie, pour montrer le danger de ce rationalisme qui prétend spéculer sur l’Infini. Il peut sembler, à première vue, souhaitable que la raison s’efforce de justifier la foi et de s’accorder avec les dogmes révélés. Mais les exemples de Hegel, de Vatke, de Strauss, de Feuerbach, nous apprennent quels dommages subissent finalement la théologie et la théodicée, dès qu’on permet à l’intelligence humaine de spéculer sur l’absolu. Elle en vient à s’adorer elle-même, et à ne plus reconnaître d’autre divinité. Ibid., p. 35-41.

Nous devions signaler les progrès de l’idée agnostique de Hamilton à.Mansel. Mais l’agnosticisme de Mansel ne diffère pas essentiellement de celui de son maître. D’autres aspects de sa philosophie révèlent plus d’originalité.

2. La religion chrétienne et la métaphysique humaine soulèvent les mêmes difficultés, parce qu’elles ont le même objet : l’infini, lbid., p. 120. Mansel rapporte à son maître le mérite de cette doctrine, ibid., p. 4552 ; mais il la développe méthodiquement.

Renoncer à spéculer sur l’absolu et l’infini, c’est renoncer à croire en Dieu, dira-t-on. Mansel riposte : la philosophie n’a pu encore expliquer en quoi consiste la notion de cause ; cette insuffisance empèche-t-elle les hommes de fonder leur activité et leur pensée sur le principe de causalité’.' Ainsi nous pouvons croire à l’infini, sans le comprendre, lbid., p. 121-122.

Le rationaliste est scandalisé par le mystère de la sainte Trinité et il demande comment la multiplicité de personnes peut se concilier avec l’unité de nature. Le théiste rend-il mieux compte de la multiplicité des attributs réunis dans l’essence parfaitement simple de la divinité ? En vain l’on rejettera l’enseignement révélé. On se retrouvera en présence de l’énigme qui a toujours confondu la philosophie : le problème de l’un et du multiple, lbid., p. 123-126.

Le rationaliste s’étonne que le chrétien croie à l’union de la nature divine et d’une nature humaine en la personne du Verbe. Mais, quand if veut s’en tenir à la religion naturelle, ne s’aperçoit-il pas qu’il professe un mystère analogue, sinon identique, et qu’en pensant que Dieu a créé le monde, il affirme la coexistence du fini et de l’infini’? Comment rapporter l’un à l’autre ces deux termes" ? lbid., p. 127, 128.

L’action miraculeuse de Dieu n’est ni plus ni moins intelligible que son action en général, et, en particulier, que la création, lbid., p. 129-131.

Les théologiens ont eu tort de prétendre endiguer et diriger dans leurs petits canaux, in llieir petty channels, le cours de la providence et le fleuve de la grâce. Les rationalistes ont pu s’autoriser de leur exemple pour spéculer sur l’Infini et juger l’économie providentielle. Mais, s’ils triomphent des explications théologiques, ils ne résolvent point le mystère philosophique de la liberté humaine et de la prescience divine, lbid., p. 152.

Le rationaliste n’aura le droit de se scandaliser du dogme de l’enfer, que lorsqu’il aura expliqué le problème du mal. Ibid., p. 156.

Nous avons discuté l’idée qui se retrouve en tous ces développements, dans la Bévue apologétique, de Bruxelles, 16 novembre, 16 décembre 1904, et 16 janvier 1906 : Un argument en faveur des mystères révélés. Cette idée pourrait s’appeler : la parité des mystères chrétiens et des mystères philosophiques. Elle inspire toute l’œuvre de Mansel, et spécifie son agnosticisme.

3. Mansel est un pragmatiste. Nous ne sommes pas ici-bas pour connaître la nature de Dieu, mais pour accomplir sa volonté. « L’action, et non la science, est le partage de l’homme et son devoir en cette vie. Les plus hauts principes philosophiques et religieux se rapportent à cette fin. » The Limits of religious thought, p. 105. Les contradictions auxquelles se heurte l’esprit humain, dès qu’il s’aventure dans le domaine de l’absolu et de l’infini, et qu’il veut atteindre une connaissance spéculative de la nature divine, sont des avertissements providentiels, des « bouées » qui signalent l’écueil. lbid., p. 139. Renonçant à un savoir spéculatif que seule l’Intelligence infinie peut posséder, qu’il se contente d’avoir sur la divinité les idées régulatrices, regulative ideas, « qui suffisent à guider sa conduite, non à satisfaire son intelligence ». Ibid., p. 90. Du reste, en morale et dans l’ordinaire de la vie, dans le soin de notre santé et dans l’exercice même de nos sens, nos règles d’action pratique ne peuvent se ramener à des principes satisfaisants pour la raison, lbid., p. 135. Ne rêvons pas d’une vérité absulue, impersonnelle et spéculative, qui dépasse notre condition, lbid., p. 105.

Où trouverons-nous le trésor de ces vérités pratiques que réclame notre conduite religieuse ? Mansel répond avec Taylor : dans la Bible, lbid., p. 108, 109. Cf. Taylor, Logic in Theology. Nous apprendrons là qu’il est nécessaire à la piété bien entendue, et par conséquent pratiquement vrai, qu’il y ait, dans le cours des événements, des lois générales et des interventions particulières de Dieu. The Limits of religious thought, p. 132-136. Vérité pratique, la personnalité’de Dieu unie à son infinité. Le panthéisme de l’Inde détruit le premier terme ; l’anthropomorphisme grec oublie le second. La Bible maintient les deux. « Dieu est sans compromis ni obscurité proclamé l’unique et l’absolu. Mais cette conception sublime ne dégénère jamais en rêverie annihilante pour l’individu. Dieu domine l’univers. La Bible nous rappelle que ses pensées ne sont pas nos pensées. Mais cette infinité de Dieu ne détruit pas et n’affaiblit pas la « vive réalité de ces attributs humains sous lesquels il éveille les humaines sympathies de ses créatures. » Ibid., p. 106, 107.

4. Le pragmatisme comporte une certaine mesure d’anthropomorphisme. Pourquoi ne pas l’avouer ? Quelle doctrine peut se flatter d’échapper aux conditions de la nature humaine ? Mansel n’ignore pas que certains puritains de la métaphysique ont formé ce projet naïf et prétentieux. « Insensés, qui s’imaginent que l’homme peut se dépasser lui-même, et que la raison humaine peut esquisser autre chose qu’une humaine représentation de Dieu. Ils ne font que substituer une humanité défigurée et mutilée à une humanité intégrale et exaltée… La sympathie, l’amour, la tendresse paternelle, la miséricorde qui pardonne, se sont évaporées dans le creuset de leur philosophie ; et quel est le caput mortuum, que reste-t-il, sinon les traits les plus durs d’une humanité que l’on nous représente dans sa repoussante nudité ? » Ibid., p. 12. Vous dites qu’un Dieu attentif à nos prières ne serait qu’un homme changeant. Je réponds qu’un Dieu insensible à nos prières n’est qu’un homme obstiné. Vous prétendez que ses décrets sont immuables. Mais ce sont les hommes qui portent des décrets. Vous parlez, si puristes que vous soyez, de la science divine, de la volonté de Dieu. Mais où trouvez-vous ces notions, sinon dans l’âme humaine ? Anthropomorphisme pour anthropomorphisme, mieux vaut celui qui a conscience de lui-même, qui ne s’arrête pas à mi-chemin, qui s’inspire de la Bible et qui favorise la vie religieuse de l’humanité. Mansel est anthropomorphiste, parce qu’il