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DISPENSES


réponse pontificale. Sans énoncer en principe quelle était l’étendue de leur droit, les évéques administraient avec la prudence qu’ils estimaient requise. Ce ne fut que peu à peu, soit en suite des protestations pontificales contre des dispenses indûment concédées, soit afin de se mettre en garde contre leur propre faiblesse ou l’importunité des puissants, que les évéques renvoyèrent plus souvent les suppliants au souverain pontife, Thomassin, op. cit., c. xxvi, n. 9 ; jusqu’au jour où fut créée la théorie complète de la dispense.

On constatera dans un instant quelles demeurent dans la discipline actuelle les conséquences de la dispense administrative des premiers siècles. On lui doit plus d’un usage soit admis par les conciles soit canonisé par la coutume.

III. La discipline actuelle.

Quand la théorie juridique et précise du droit de dispenser fut constituée, on put marquer plus exactement les limites dans lesquelles devait s’exercer ce pouvoir, suivant que le dispensator était pape ou évêque ou inférieur.

Le pape.

De la décrétale d’Innocent III, c. 20, De elect., que nous avons citée, il suit donc que tous admettaient qu’un pape pouvait dispenser tous les membres de l’Église des lois portées par un autre pape, et de celle de Clément V, Ne Romani, De elect., que l’inférieur ne pouvait dispenser des lois portées par un supérieur ; en un mot, que seuls, le législateur, son égal, ou son supérieur peuvent dispenser d’une loi ; que, par voie de conséquence, le pape étant législateur suprême a pouvoir sur toutes les lois ecclésiastiques ; dans l’Église, il a tout pouvoir.

Cependant on eut, dans la détermination pratique, parfois quelques scrupules. Les uns naissaient de textes pontificaux qui fermaient aux dispenses certains domaines de lois ou de constitutions positives, d’autres d’un respect particulier pour les grands et vénérés conciles œcuméniques des premiers siècles sur lesquels paraissait fondée toute la législation de l’Église.

Que le pape lui-même ne pût dispenser quand s’y opposait le bon renom de l’Église, quæ recipi, nisi manifesta decoloralione non possunt, comme l’écrivait Gélase, cela paraissait évident, bien qu’il fût plus malaisé de dire toujours précisément quels étaient ces actes impossibles à tolérer par dispense. On attachait une plus grande importance à d’autres points. La Glose pose ainsi les objections : d’aucuns prétendent, sans faire entre eux aucune distinction, que l’on ne peut dispenser d’une loi portée par les quatre premiers conciles, ni d’une loi imposée par l’Évangile, ni d’un précepte imposé par l’apôtre : Dicunt quidam indistincte, quod contra quatuor concilia non possit dispensari. .. sicut nec contra Evangelium, vel prseceptum apostoli. In c. 5, caus. I, q. vii, v° Ut plerisque. Et l’on s’appuyait sur divers textes, en particulier sur un texte apocryphe, caus. XXV, q. I, c. 6, attribué par Gratien à un pape Urbain qui n’était ni Urbain I er ni Urbain II ; d’où l’on concluait que le pape ne peut accorder dispense contre un statut général de l’Église, ni contre les articles de foi, alors même que tout le monde y consentirait. Mais d’autres textes et des faits historiques bien connus et maintes fois cités prouvaient que les papes avaient accordé dispense de certains préceptes imposés par l’apôtre. Aussi cette même Glose du c. 6, caus. XXV, q. i, avouait que le pape et les conciles dispensaient contre les préceptes de saint Paul et des canons apostoliques, que le pape dispensait même des lois générales de l’Église, puisque le pape Innocent III l’avait fait au IVe concile de Latran (1215), par le c. Non débet, qui restreignait les empêchements de parenté et d’alliance. Dispense-t-il des préceptes de l’Évangile’? Non ; il interprète, il ne dispense pas : dispensât in Evangelio inlerpretando ipsum ; mais il dispense contra apostolurn, saut ce qui est article de

foi : non tamen in liis quæ pertinent ad articulos fidei. Glose, ibid., v° Apostoli.

Par conséquent, la seule loi qui demeure intangible à la dispense pontificale est la loi divine, le droit divin. Il peut l’interpréter, estimer et juger que telle obligation n’urge pas dans l’espèce et le déclarer ; mais si elle urge vraiment, il n’en peut pas dispenser.

Durant de longs siècles, les dispenses accordées par le pape furent concédées par le pape même en personne, qui les notifiait aux intéressés de vive voix, par bulle ou par bref suivant l’occurence, après avoir pris, ou non, selon qu’il l’estimait utile, le conseil des cardinaux. Avec l’accroissement réalisé des réserves pontificales et, en même temps, du nombre des dispenses, il fallut instituer des organismes destinés à décharger le pape de cet énorme surcroit. Cène fut plus, en règle générale, le pape en personne qui intervint, mais des bureaux ou des Congrégations de cardinaux à qui cette mission était confiée : le Saint-Office, l’Index, le Concile, la Pénitencerie, la Daterie, etc. Cependant lorsque l’une de ces Congrégations ou l’un de ces bureaux chacun dans la limite de ses attributions, dispense ce n’est pas le Dataire ou le Pénitencier, par exemple, qui dispense, c’est le souverain pontife par leur intermédiaire ; leurs pouvoirs sont des pouvoirs pontificaux.

2° Les législateurs inférieurs : conciles, évéques prélats réguliers. — 1. Conciles. — On ne fait que mentionner les conciles provinciaux ou nationaux : comme organes de dispense, leur rôle en pratique est tombé, comme celui du consistoire des cardinaux sous la présidence du pape. Autrefois, on leur réservait communément la dispense des lois qu’eux-mêmes ou les conciles antérieurs de même juridiction avaient portées, ou parfois même celle de lois générales de l’Église quand il s’agissait de personnages importants ou d’affaires majeures. Depuis longtemps, leur activité trop intermittente a obligé à demander ailleurs ces exemptions.

2. Évéques.

a) Pouvoir ordinaire. — En vertu des principes énoncés plus haut l’évâque peut dispenser, de plein droit, ses diocésains, c’est-à-dire tous les chrétiens qui ont domicile ou quasi-domicile dans son diocèse, de toutes les lois portées par ses prédécesseurs ou par les synodes diocésains, si elles n’ont pas reçu du pape une approbation en forme dite spécifique. Mais cette théorie ne rend pas compte de tous les faits réels qui se sont passés, et qui ont été acceptés dans la suite des siècles ; elle ne rend pas compte non plus de toutes les dispenses légitimement accordées par les évéques et qui portent au delà des lois ou des statuts provinciaux ou diocésains. Pour en rendre compte, il faut remonter à la discipline ancienne que nous avons exposée ci-dessus. Durant les siècles où l’évâque dispensait, en vertu de ses fonctions d’administrateur suprême de chaque diocèse, de toutes les lois qu’il jugeait impossibles à observer dans un cas déterminé, s’était créée la coutume de recourir à lui pour obtenir dispense dans les espèces communes et d’occurrence quotidienne en même temps que d’importance restreinte. Lorsque la théorie juridique eut été constituée, les circonstances de la vie courante n’avaient pas changé et l’on ne pouvait prudemment, uniquement pour se conformer à cette théorie, briser une pratique ancienne et souvent nécessaire. La dispense que la théorie ne permettait plus d’accorder, il fallait la concéder à un autre titre, afin de ne pas modifier trop brusquement la vie de l’Église. L’un des premiers moyens par lesquels on essaya de résoudre le problème, fut de décider que la réserve stricte au pape des dispenses d’usage commun étant odieuse, elle ne s’appliquait que dans les cas où elle était bien spécifiée : l’évâque étant pratiquement en possession du pouvoir de dispenser n’en pouvait être privé que par une prohibition