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DISPENSES


signifie proprement, à l’origine, peser du métal monnaie, œs pensare, et, par dérivé, faire l’office de celui qui pesait la monnaie, payer ; le dispensator est l’esclave trésorier ou payeur, le dépensier. Daremberg et Saglio, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, art. Dispensator. — Dispensatio est l’équivalent de notre français dépense en son sens primitif : il désigne l’acte par lequel on paie les frais de l’administration domestique, l’acte professionnel de l’économe ; il signifie administration. C’est par ce mot ou par sa forme verbale dispensare que l’on traduit en latin l’o ! xovo[jiia ou l’o ! Lovojj.s’.v, le àiotxsïv des conciles d’Antioche in encecniis, can. 24 et 25 ; cf. Décret. Gratian., caus. X, q. i, c. 5. et deChalcédoine, can. 24 ; Gratien, caus. XVI, q. vii, c. 21 ; en ce sens, que saint Léon le Grand, parlant du soin que les papes doivent apporter à maintenir intacts les privilèges des églises, les institutions des saints Pères et particulièrement du concile de Nicée, dit qu’à lui en appartient la dépense, l’administration, et qu’il ne doit pour rien au monde les laisser violer, quoniam dispc71salio milti crédita est et admeum tendit reatum. Epist., civ, c. ni, P. L., t. liv, col. 995 ; Gratien, caus. XXV, q. ii, c. 2. C’est toujours le même sens que l’on retrouve dans les autres citations du mot dispensatio, dispensare, données par Gratien, de Julianus Pomerius(Pseudo-Prosper), caus. XII, q. i, c. "13, du pape Pelage II, dist. IV, De consecr. , c. 30, des Capitula de Louis le Pieux, Deo dispensante, Gratien, caus. XVI, q. i, c. 59 ; ou bien c’est dans le sens tout voisin de distribuer, donner leur quote-part à ceux qui y ont droit ou qui sont dans le besoin : Episcopus habeat potestatem in rébus ecclesiasticis, ut dispenset neccssitatem habeutibus, caus. X, q. il, c. 7. lta ut potestate ejus [episcopi] indigentibus omnia dispensentur per presbijteros eldiaconos, can. 40 (41) des apôtres, Gratien, caus. XII, q. i, c. 21 ; ut ejus pontificis] dispensatione porliones proceniant consuelæ, caus. XII, q. ii, c. 25. Cf. aussi c. 6, dist. II, De cons. Au commencement du xiie siècle, le mot dispensatio s’emploie encore dans le même sens d’administration, dans le can. 4 du concile de Latran de 1123 : animarum cura et pecuuiarum ecclesiasticarum dispensatio in episcopi judicio et potestate permanecU, caus. XVI, q. vii, cil.

Mais ce sens n’était pas le seul. Dès l’origine, on avait constaté que l’administration rend nécessaire, en certaines circonstances, quelque indulgence et une suspension plus ou moins complète de la loi. Déjà le pape Gélase montre la dépendance mutuelle de l’administration et de l’indulgence et indique ce rapport dans le mot dispensatio : necessaria rerum dispensatione constringimur et apostolicse sedis moderamine convenimur, sic canonum paternorum décréta librare et rétro præsulum decessorumque noslrorum prsecepla metiri, ut, quae præsenlium nécessitas temporum reslaurandis Ecclesiis relaxanda deposcit, adhibita consideratione diligenti, quantum fieri potest, temperemus. Epist., îx, ad episc. Lucaniæ, i, P. L., t. lix, col. 48. Et saint Cyrille d’Alexandrie, écrivant à Maximien, diacre d’Antioche, touchant l’affaire du patriarche d’Antioche, emploie dans ce même sens d’administration et de prudente indulgence, le mot grec âtxovofila. Il faut, dit-il, y aller avec beaucoup de modération et de bienveillance dans le jugement d’actes qui ne furent pas conformes à la règle stricte, et ne pas repousser la communion de Jean et des clercs attachés à Nestorius par les liens du cœur : o’txovo(xia ; t/vLv. |xr, axpcëo/o-fo’ju.îvot… oixovo(ita, yip geitxi to upSyp-a toXMjç. P. G., t. lxxvii, col. 325-327. Il n’y avait pas loin de cette dispensatio ou de cette oîxovo[jua à notre dispense. Saint Thomas marque comment se fait le chemin de l’une à l’autre : Dispensatio proprie importât commensurationem alicujus communis ad

singula. Unde etiam gubcrnalor familiæ dicitur dispensator, in quantum unicuique de familia cum pondère et mensura distribu.it et operationes et necessaria vitse. Sic igitur et in quacumque multitud’tne ex eo dicitur aliquis dispensare, quia ordinal, qualiter aliquod commune præceptum sit a singulis adimplendum. Sum. tlteol., I" 1I’q. xcvii, a. 4. Estimer et déterminer dans quelle mesure chaque membre d’une communauté est tenu de supporter les charges communes, exempter d’une partie ou du tout tel ou tel membre, qu’est-ce autre chose que le dispenser, au sens technique du mot dans le langage canonique ?

Sens technique du mot dispense.

La dispense, au sens proprement canonique, c’est l’acte par lequel le législateur exempte quelqu’un de l’observation d’une loi dans une circonstance particulière, la loi demeurant en vigueur, Gousset, Théologie morale, t. i, n. 189 ; ou bien, selon la Glose, la dispense est l’acte par lequel celui qui a droit d’administrer exempte, en connaissance de cause, quelqu’un de l’observation du droit commun. Dispensatio est juris communis relaxatio facta cum causx cognitione ab eo qui jus habet dispensandi. Glos. in c. Requirilis, caus. I, q. vii, v" l’t plerisque.

La dispense est donc bien distincte soit du privilège, soit de l’absolution avec laquelle plusieurs, surtout parmi les historiens de la discipline ecclésiastique, les de Marca, Bœhmer, l’ont trop volontiers confondue. Elle diilere du privilège, car celui-ci remplace le droit commun par un droit particulier, tandis que la dispense ne supprime aucun droit et se borne à en suspendre momentanément l’effet pour un cas particulier ; elle diilere de l’absolution, en ce que celle-ci ne regarde que le passé et délivre de la peine ou efface la faute encourue, tandis que dans son concept total, et surtout dans son concept moderne, la dispense concerne spécialement l’avenir. Nous verrons plus loin les relations entre la dispense proprement dite et l’interprétation de la loi.

II. Le POl VOIR m : dispenser. — 1° La théorie juridique. — Elle est brièvement indiquée dans la définition. De quelque formule qu’on se serve pour l’exprimer, elle exige que celui qui dispense ait le pouvoir législatif proportionnel à la loi de laquelle il veut suspendre l’obligation, et qu’il dispense pour ses sujets seulement : cette seconde condition est requise plus strictement encore que la première, comme on va le voir.

A ce point de vue la théorie remonte assez haut. Et pour nous arrêter au xiie -xnr siècle, époque classique de la formation du droit, contentons-nous de citer une décrétale particulièrement intéressante d’Innocent III, c. 20, lnnotuit, X, De electionc et elecli potestate. Le pape discute s’il est b : é par une décision d’Alexandre III et du concile de Latran de 1179 qui interdit d’élever à l’épiscopat un homme de naissance illégitime, et s’il en peut dispenser ; il conclut en faveur de l’affirmative et pour la dispense, parce que ses pouvoirs sont égaux à ceux de son prédécesseur, per eum adempta non fuit dispensandi facilitas, quum ea non fuerit prohibenlis intentio, qui successoribus suis nutlitm poluit in hac parte prsejudicium generare, pari post eum, immo eadem potestate functuris, quum non habeat imperium par in parem. N’est-ce pas supposer, ou mieux affirmer équivalemment que celui-là ne peut dispenser qui n’a pas un pouvoir au moins égal au pouvoir du législateur, et que l’inférieur ne peut aucunement dispenser des lois portées par le supérieur ? principe affirmé ailleurs par Clément V au concile de Vienne : lex superioris per inferiorem tolli non potest, Clementin, 2, Ne Romani, De elect., et duquel le pape tirait aussitôt la conclusion, que les décrets de Grégoire X sur le conclave ne pouvaient recevoir