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1283 DIEU (SA NATURE D’APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE 1

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lue, identique à la nature même de Dieu. La nier serait nier la divine réalité elle-même. Mais nous ignorons en quoi elle consiste. D’une part, en effet, Dieu ne saurait dépendre d’un législateur ou d’une loi. D’autre part, toute notion humaine de la moralité implique dépendance d’une autorité légitime. Nous ne saurions donc concevoir une moralité absolue : deux termes qui paraissent se contredire, lbid., p. 145. Kant devait étendre aux questions religieuses les principes de sa philosophie, et professer qu’en matière de dogmes révélés, l’objet de la critique était, non pas d’examiner la vraisemblance de la révélation, mais de définir les limites au delà desquelles la raison humaine cessait d’être compétente, lbid., p. 16-19.

C’est surtout avec la doctrine de llamilton que la comparaison est intéressante et doit être précisée ; car c’est de cette doctrine principalement que dérive l’agnosticisme de Mansel. Les deux philosophes, ou plus exactement, les deux apologistes, s’accordent à enseigner que c’est l’étude de l’àme qui mène à Dieu. Conscients des bornes de notre esprit, nous renonçons à comprendre la nature divine et à juger les dispositions providentielles.il n’est point d’objection dirigée contre la théologie chrétienne qui n’atteigne aussi la théologie naturelle. Il n’en faut point conclure que les sceptiques et les athées ont raison. Si notre intelligence ne parvient pas à connaître les mystères de la divinité, nous avons des motifs impérieux de croire à l’existence de Dieu et d’accepter la révélation chrétienne. Voir particulièrement The Limits of religious thought, p. 88, 89, 154 ; The Philosophy of the Conâitioned, p. 17, 18.

Mansel simplifie et précise la pensée de son maître. Il la simplifie, en écartant cette distinction de l’inconditionné en infini et absolu, pour ne retenir que l’idée commune à ces trois termes : idée qu’il déclare inaccessible à tout effort de représentation mentale. The Philosophy of the Condilioned, p. 147, 148. Surtout il la précise et la développe. Il explique ces deux propositions auxquelles se ramène l’agnosticisme de llamilton : nous croyons nécessairement que l’infini existe, et nous ne pouvons aucunement le concevoir. Pourquoi cette croyance ? Pourquoi cette ignorance ? En d’autres termes, comment naît et se formule le problème de l’infini ou de l’inconditionné ; comment se justifie la solution agnostique ?

Le problème est né, ou, du moins, s’est aggravé, sous l’influence de la révélation chrétienne. Ceux mêmes qui la repoussent ou l’ignorent, la subissent à leur insu. L’idée d’un principe premier et universel, qui serait distinct de Dieu, ou la croyance en un Dieu qui serait séparé ou dérivé d’un premier principe : c’est là une pensée qui, depuis l’avènement du christianisme, parait absurde. Il n’en fut pas toujours ainsi. La philosophie païenne s’accommodait d’un dualisme qui, séparant la métaphysique et la religion, proclamait l’existence d’une cause première inconsciente et impersonnelle, en même temps que l’existence d’une ou plusieurs divinités, dépendantes et imparfaites. Dans ces conditions, le conflit ne pouvait s’élever ou devenir aigu. L’absolu appartenait au domaine de la métaphysique ; la personnalité n’était attribuée qu’à une divinité imparfaite et bornée. L’esprit n’était pas pressé de résoudre l’opposition entre l’idée d’infini et celle de personne. Ces deux idées ne se rencontraient pas en un même sujet. Maintenant on ne conçoit plus d’opinion moyenne entre l’athéisme qui rejette toute notion de Dieu, et le théisme qui adore dans le premier principe un être personnel. Dieu est infini, et l’infini est divin. Si nous n’étions qu’intelligence pure, nous pourrions nous contenter d’un Dieu abstrait et d’un principe inconscient. Mais notre sens religieux réclame un Dieu qui perçoive nos prières et l’hommage de notre adoration. The Philosophy of the Condilioned, p. 10-13.

La juxtaposition des deux termes : personne, infini, nous déconcerte, parce que nous n’avons pas la connaissance directe de Dieu, ni la notion véritable de l’infini. Aussi le raccord nous échappe. Comment savons-nous que Dieu existe ? Par intuition, par expérience, semble dire Mansel en telle ou telle page. The Limits of religious thought, p. 134. Mais, quand il parle ainsi d’une connaissance intuitive de la divinité, l’auteur n’exprime pas rigoureusement sa pensée. Cette pensée est trop longuement et trop fréquemment exposée ailleurs, pour rester douteuse. Bien plutôt qu’intuitive, notre connaissance de Dieu est instinctive. Ceux qui insistent exclusivement sur la preuve de l’existence de Dieu par les marques de finalité qui apparaissent dans le monde, ou sur la nécessité d’admettre une cause première oublient ce fait, que l’homme apprend à prier avant d’apprendre à raisonner, qu’il a le sentiment de la divinité et le besoin de l’adorer, avant de pouvoir arguer des effets à la cause et apprécier l’ordre de l’univers. The Limits of religious thought, p. 71. La croyance en Dieu, une fois donnée, sert de noyau et de centre à nos spéculations et à nos expériences ultérieures. Mais elle n’offrira jamais la clarté d’une intuition. Finalement, en effet, quelle est la double origine de notre idée de Dieu ? Nous avons le sentiment de notre dépendance, et la conviction de nos obligations morales. De là, nous concluons à l’existence d’une Cause supérieure et d’un Législateur autorisé. Cette conclusion ne nous révèle pas l’infinité divine. lbid., p. 78. Si nous l’affirmons, ce n’est pas que notre esprit la conçoive ; c’est que nous sommes mus par une impulsion irrésistible à la proclamer. Notre croyance en un Être absolu et infini est le terme complémentaire de notre conscience du fini et du relatif. lbid., p. 47, 86. De là naît le problème de l’inconditionné, problème qui commande toute la spéculation religieuse. Nous croyons que Dieu existe et qu’il est infini. Mais nous ne savons pas comment s’unissent en lui l’infinité et la personnalité. Nous ne concevons ni l’infini, ni l’absolu. Nous croyons en Dieu, nous ne le connaissons pas. lbid., p. 63.

On peut distinguer dans l’œuvre de Mansel trois groupes d’arguments par lesquels il pense démontrer le caractère apparemment irrationnel des notions d’infini ou d’absolu.

D’abord, il reprend et spécifie les preuves exposées par Hamilton, preuves surtout d’ordre logique : opposition entre l’idée d’absolu et celles de cause, de conscience, de représentation intellectuelle ; impossibilité de concevoir l’absolu soit comme unité simple, soit comme multiplicité, soit comme distinct de l’univers, soit comme identique au tout ; antinomies de l’acte créateur et de la production du relatif par l’absolu. The Limits of religious thought, p. 32-38 ; La philosophie de llamilton, trad. franc., p. 106-111.

En second lieu, indiquons les arguments d’ordre psychologique invoqués par Mansel. Il trouve le principe de la croyance en Dieu dans une double expérience : le sentiment de la dépendance et celui de l’obligation. Or, aucune de ces deux expériences ne nous révèle l’absolu ou l’infini. Notre dépendance ne va pas jusqu’à l’annihilation, et, par conséquent, elle n’est pas totale et ne nous atteste pas l’existence d’une réalité supérieure et infinie. Du reste, si, comme le voulait Schleiermacher, notre sentiment de dépendance à l’égard de l’univers allait jusqu’à nous anéantir, nous aurions dans cette expérience une confirmation du panthéisme, et non l’idée d’un Dieu infini. Morell a encore exagéré l’erreur de Schleiermacher. Celui-ci, en effet, déclarait que ce prétendu sentiment d’absolue dépendance résultait d’un ensemble complexe d’expériences. A entendre Morell, nous aurions, en un seul acte, la conscience immédiate de notre néant et l’intuition de l’infini. Un tel acte se contredit lui-même. Un