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DISCERNEMENT DES ESPRITS


XIII. L’exercice du discernement entre Dieu et le démon. Les fruits de l’action divine ou diabolique. — Il ne suffit pas de discerner si l’homme obéit à ses propres inspirations ou s’il subit des impulsions du dehors ; quand l’existence de celles-ci a été constatée, il faut avancer d’un nouveau pas et se demander leur origine. Viennent-elles de Dieu ou du démon ? D’où une série d’opérations auxquelles doit se livrer celui qui veut pratiquer Y art du discernement. Il y a des signes certains de l’action divine ou diabolique ; il y a des faits douteux qui font naître la suspicion, mais n’engendrent pas la certitude ; il y a enfin des illusions fréquentes, auxquelles l’âme se laisse prendre et qu’il importe de signaler.

1° Signes certains de l’action divine ou diabolique. Avant d’entrer dausleur énumération, il est utile de faire observer que ces signes sont nombreux. Il n’est pas nécessaire qu’ils soient tous présents pour porter un jugement ; mais la présence d’un seul ne suffirait pas pour décider de la nature de l’esprit auquel on a affaire ; il en faut plusieurs en un faisceau assez considérable pour éviter l’illusion toujours ou presque toujours possible. En ellet, l’art du discernement des esprits a une fonction fort délicate, porte sur un objet très variable et mystérieux, et ne peut, par suite, prétendre à l’infaillibilité.

Observez, en outre, qu’il est oiseux d’ordinaire de rechercher si Dieu agit ou inspire directement par lui-même ou indirectement par ses anges. Que les inspirations ou révélations se fassent sous une forme ou sous l’autre, elles ont la même valeur surnaturelle et la même portée de vie spirituelle. Nous ne nous arrêterons donc pas à rechercher les signes de l’intervention divine directe ou de l’intervention divine indirecte par le ministère des anges.

ICnlin, comme il y a deux grandes puissances de l’âme, l’intelligence et la volonté, il y a également deux séries démarques de l’intervention de l’esprit divin ou de l’esprit diabolique : l’action de Dieu ou du démon ne se manifeste pas de la même façon dans l’intelligence ou dans la volonté, elle y porte des fruits différents. Nous parlerons donc d’abord des marques de l’action divine, tirées de l’intelligence et de la volonté ; puis des marques de l’action diabolique tirées également de l’intelligence et de la volonté.

2° Les marques intellectuelles de l’action divine sont : la vérité. Dieu est vérité et ne peut inspirera une âme que des idées vraies et nécessairement d’accord avec l’ensemble des vérités religieuses dont il a confié le dépôt à l’Église. Si donc une personne se prétendant en cela inspirée par Dieu, soutient des propositions manifestement contraires à l’enseignement de l’Église, on doit conclure que Dieu n’est pas avec elle. La gravité. Dieu n’intervient pas pour des vétilles ou des frivolités : quand il presse ou meut une àme, c’est toujours pour des intérêts sérieux et importants. L’humilité. Le contact avec Dieu fait comprendreà l’homme qu’il sait peu de choses, que le Seigneur est principe et foyer de vérités infinies et transcendantes, qu’il veut bien nous en communiquer quelques-unes et encore en les proportionnant, dans leur formule, à notre faiblesse intellectuelle native : d’où une humilité profonde jointe à une réelle docilité intellectuelle. Sachant son ignorance, l’esprit mû par Dieu se laisse facilement instruire et écoule docilement les leçons qu’il peut recueillir. De toutes ces qualités résulte une grande discrétion qui se manifeste par des jugements droits, modérés, prudents et toujours sages.

3° Dans la volonté, l’action divine se trahit par la paix, c’est un des signes les meilleurs de la présence de Dieu : même quand l’imagination est déroutée et quand certaines ténèbres enveloppent l’âme, celle-ci sent en son fond une paix qui la calme. L’humilité.

Cette vertu règne dans la volonté aussi bien qu’en l’intelligence : dans l’intelligence elle est un jugement par lequel l’homme s’estime très bas ; dans la volonté elle est une acceptation de cette bassesse, un amour d’être un néant en face de Dieu, une résolution de se traiter en conséquence. Un moine de Saint-Sabas, Antiochus, le disait déjà, vers 620, dans ses Pandecles de la sainte Ecriture : « C’est une preuve évidente que l’on possède le Saint-Esprit d’abord quand on est doux, paisible, qu’on a de soi des sentiments très modestes, quand on s’abstient de tous les vains désirs des choses de ce monde et qu’on s’estime bien au-dessous de tous les autres hommes, » c.cn, P. G., t. lxxxix, col. 1743. Cf. Gerson, Tr. de distinclione verarum visionum, sign. I, dans Opéra, t. i, p. 45-47. — La confiance en Dieu, c’est la contre-partie de l’humilité, ne pouvant compter sur elle-même l’âme se tourne vers Dieu, sait qu’elle peut tout attendre de lui et se confie à sa bonté. Dans cette défiance de soi doublée de confiance en Dieu, elle trouve sa paix. — La souplesse. De même que l’intelligence conduite par Dieu se distingue par une grande docilité, ainsi la volonlé que Dieu mène, se tient souple sous sa main afin d’obéir vite et totalement à tous les mouvements qu’il lui imprimera. « Cette flexibilité consiste premièrement dans une certaine promptitude de volonté à se prêter aux inspirations et à l’appel de Dieu ; … en second lieu… dans une certaine facilité à suivre les avis des autres, surtout quand ils sont donnés par les supérieurs… De cette flexibilité naissent dans l’âme une sainte inclination à découvrir aux supérieurs spirituels tous les secrets du cœur et une certaine soumission humble qui fait que non seulement on exécute leurs ordres, mais qu’on craint d’entreprendre aucune chose importante sans leur conseil. » Scaramelli, op. cit., n. 104-106, p. 156158. Cette marque de l’esprit de Dieu est rejetée — comme l’humilité, du reste, qui n’est qu’une vertu passive — par le modernisme. Ce système considère « la crise de l’autorité » comme un moment de l’évolution morale de l’humanité. « La notion d’autorité a été transformée dans la famille ; elle l’a été aussi dans l’école, où le M agis ter dixit a fait place à la méthode d’excitation intime île l’individu par la pensée traditionnelle ; elle l’a été dans l’État, où le sujet est devenu citoyen ; elle se transformera aussi dans le domaine religieux et là aussi elle s’intériorisera ; » c’est-à-dire que si aujourd’hui encore « l’immense majorité de l’humanité. .. ne peut pas se faire à l’idée d’une loi qui ne serait pas absolue et ne serait qu’une approximation pénible et graduelle… peuà peu le moment arrive où, pour respecter la loi, elle n’a plus besoin de la croire descendue du Sinai, au moment où la loi oblige, là même où elle ne pourrait pas contraindre, simplement parce qu’elle répond à notre meilleur nous-même. » Paul Sabatier, Notes d’histoire religieuse contemporaine. Les modernistes, ur, Paris, 1909, p. 85, 89. — La pureté d’intention. Ceci est capital. On n’ignore pas l’importance des fins dans les actes moraux : ceux-ci prennent leur valeur de la fin vers laquelle ils tendent et c’est l’intention qui les dirige et détermine la fin. Quand donc on verra une âme avoir des intentions pures et droites, surnaturelles et divines, on pourra dire qu’elle porte en elle la marque de l’esprit divin. — La patience dans les peines, épreuves et souffrances. « La patience, si elle n’est pas une dissimulation des ressentiments du cœur et une pure apparencede vertu, mais une vertu réelle, ayant ses racines dans le fond de l’âme, ne peut provenir de l’esprit mondain qui aime les honneurs et ne peut souffrir les outrages ; ni de l’esprit charnel qui aime le corps et ne peut supporter les peines ; ni de l’esprit diabolique qui nous porte toujours à l’attachement aux biens de la terre et, par conséquent, à la crainte d’en manquer ; ni de