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DISCERNEMENT DES ESPRITS


mon pour cause, puisque leur cause est l’élection voulue par l’homme, mais il trouvera en eux une raison de prononcer d’où venaient les mouvements qui ont précédé et provoqué l’élection.

En fait donc, l’objet propre du discernement, sa matière, ce sont les mouvements antécédents, ces sollicitations, ces inclinations, ces attraits, ces mille appels qui se produisent avant que la volonté se décide et quicherchent à l’accaparer et à la fixer. C’est par là que l’action divine ou l’action diabolique pénétre dans l’âme, prend contactavec elleet s’efforce de s’emparer de son vouloir. Le discernement doit étudier tous ces faits, les analyser et remonter à leur source, pour signaler à la fidélité de l’âme les appels de Dieu, à sa résistance les sollicitations du démon. Cela suffit, du reste, car ayant à cette période préliminaire distingué la part de hieu et la part du démon, le chrétien pourra ensuite légitimement prononcer que les moments suivants relèvent de Dieu ou du démon suivant qu’ils procèdent des mouvements causés par le premier ou par le second.

Le discernement a une double mission à remplir ; premièrement, distinguer les mouvements qui viennent de l’homme de ceux qui viennent du dehors, de Dieu ou du démon, faire, pour parler le langage moderne, la part de l’autonomie et celle de l’hétéronomie ; secondement, quand il a découvert des mouvements de source extérieure, caractériser celle-ci et prononcer si elle est divine ou diabolique. La première fonction est plutôt psychologique, puisque à découvrir qu’un fait est d’ordre humain, on ne décide pas pour cela s’il est bon ou mauvais, et qu’il peut ètrel’un ou l’autre ; la seconde fonction est d’ordre moral, puisque dire que des mouvements sont d’origine divine ou diabolique, c’est affirmer du même coup leur valeur mo.rale et que, du reste, pour arriver à dire cela, il faut surtout se baser sur des observations morales, c’est-à-dire sur les résultats moraux des motions divines ou diaboliques. Cf. Gagliardi, Commentarii seu explanationes in Exercitia spiritualia. De discretione spirituum, prsenotanda, Bruges, 1882, p. 107-109.

XI. L’art du discernement. Sa nécessité. Lks moyens de l’acquérir. — P Le discernement est un art ou un don suivant qu’il est acquis par le travail propre de l’homme s’inspirant des règles ou des conseils de la sainte Écriture ou de la tradition ; ou bien suivant qu’il est in/ws par une grâce spéciale. Xousparleronsplusloin du discernement infus, lequel est infaillible, mais rare. Actuellement nous traitons du discernement acquis, lequel est loin d’être toujours infaillible, et présente de grandes difficultés. Nous dirons d’abord les moyens de l’acquérir ; nous établirons ensuite les règles de son exercice.

2° L’art du discernement, disons-nous, est dif/icile à acquérir : « Si la science de guérir les corps est estimée très difficile, à cause qu’elle dépend des conjectures et des signes extérieurs où l’on voit des ambiguitez, des incertitudes et des équivoques, en sorte que les plus habiles et les plus experts médecins y estant quelquefois trompez, ordonnent des remèdes qui nuisent au lieu de guérir : combien doit-il estre plus difficile de discerner les mouvements intérieurs de nostre âme, qui sont éloignez de nos sens et cache/ dans des ténèbres épaisses ? » Card. Bona, Traité du discernement des esprits, c. I, Paris, 1677, p. 8. La raison de cette difficulté n’est pas seulement dans le caractère spirituel et intérieur des mouvements qu’il s’agit d’observer, mais encore dans l’origine surhumaine de certains de ces mouvements et enfin dans l’astuce du démon qui cherche à illusionner souvent en se transformant en ange de lumière.

La difficulté d’acquérir cet art fait que ses jugements ne sont pas infaillibles, v car, bien que les règles et

les enseignements donnés pour bien juger, tels que ceux qui sont pris des saintes Ecritures et des saintsdocteurs de l’Église, soient infaillibles, il n’est pas certain que lesclits enseignements soient justement appliqués dans les jugements. On peut dire au plus, avec Suarez, qu’ils ont une certitude morale et pratique tant qu’ils sont fondés sur des raisons qui nous en montrent clairement la conformité avec lesdites règles, et que l’on ne pourrait sans témérité juger d’une manière contraire. » Scaramelli, op. cit., c. IV, n. 32, p. 54.

Quoique difficile et ne donnant pas de jugements infaillibles, cet art du discernement est nécessaire à tous et les directeurs d’âmes ont une obligation grave de l’acquérir. Sans lui, en effet, il est impossible de savoir où aboutiront les mouvements de l’âme et s’ils nous mènent au salut ou à la perte ; sans lui le directeur est absolument incapable de remplir sa mission, puisque ne sachant pas discerner la source des mouvements du cœur, il serait dans l’impossibilité de dire quels sont ceux de ces mouvements qu’il faut blâmer et combattre, ceux qu’il faut seconder et diriger.

3° Quant aux moyens d’acquérir cet art difficile et indispensable, ils sont nombreux. Les principaux sont les suivants : 1. Le premier moyen est la prière, soit la prière générale et constante qui demande à Dieu la lumière du discernement, soit la prière particulière et occasionnelle qui sollicite de Dieu la faveur de bien connaître les voies qu’il destine à une personne dont on doit diriger les efforts spirituels. A cette prière Dieu répondra par des grâces, qui ne seront pas le don infus et extraordinaire du discernement, mais ce concours ordinaire surnaturel que la providence nous accorde, chaque fois que nous l’implorons, pour accomplir nos devoirs et produire les actes de vie chrétienne.

2. Le deuxième moyen est évidemment [’étude. Il faut se pénétrer des données de la sainte Ecriture, des traités des Pères et spécialement de la vie des Pères du désert, des livres des auteurs ascétiques ou des théologiens. Depuis l’origine, les divers agents naturels et surnaturels ont cherché à incliner les volontés, à les plier à leurs désirs ou à’leurs fins : la vie des consciences, comme celle de l’Eglise est une mise en œuvre constante du discernement des esprits et à cette école on peut s’instruire solidement.

3. Cependant l’étude, bien que fort utile, ne suffit pas et pourrait laisser s’égarer les hommes les plus instruits, s’ils n’y joignaient quelque expérience personnelle. C’est ce qu’observe fort bien Gerson : « S’il s’agit de discerner les esprits par le travail et l’enseignement, il n’est personne qui puisse y parvenir seulement par l’étude acquise de la sainte Écriture, à moins qu’il n’ait fait personnellement l’expérience des diverses atfections spirituelles, qui sont en lutte, tout comme s’il était monté aux cieux, descendu aux abîmes et s’il avait pénétré profondément les merveilles divines. Car ceux qui naviguent sur cette mer mystérieuse où les diverses affections s’entrechoquent comme des Ilots, peuvent seuls en décrire les merveilles, ceux qui n’en ont pas fait l’expérience, qu’en savent-ils ? » De probatione spirittiurn, dans Opéra, Anvers, 1706, t. I, p. 39.

4. Il suit de ce que nous venons de dire qu’il est indispensable de joindre à l’expérience du discernement, la pratique des vertus. Il faut vivre le bien pour le connaître mieux et si la « bonne volonté » est une excellente condition de foi et de connaissances surnaturelles, pareillement l’usage des vertus, l’horreur du vice aident à en discerner tous les principes et mouvements. Richard de Saint-Victor écrit à ce sujet : « Il faut nous exercer en toutes sortes de vertus et éprouver ce que nous pouvons en chacune, avant que nous puissions en acquérir la pleine science et en juger suffisamment.