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DISCERNEMENT DES ESPRITS


pour nous (’-prouver » (règle vu) ; il faut « appeler l’espérance à notre aide » (règle vin) ; il faut « s’affermir dans cette pensée que l’on peut beaucoup avec la grâce de Dieu et que l’on triomphera aisément… » (règle xi), autant de pensées qui accompagnent la désolation, ou peuvent l’accompagner si nous le voulons, mais ne sont pas déterminées par elle. La désolation

— et il faut en dire autant de la consolation (cf. règle xi) — n’est donc pas la seule source, ni le principe déterminant de nos pensées ; elle inllue sur elles, ou essaie d’influer sur elles, mais il y a en nous une autre source de pensées que nous pouvons lui opposer et par lesquelles nous pouvons la combattre et finalement en triompher.

3 » En réalité, saint Ignace parle moins des pensées que la consolation ou la désolation élaborent, que des pensées que notre intelligence conçoit par ses moyens ordinaires pendant que l’âme est dans l’état de consolation ou de désolation. A cause de l’unité substantielle de l’Ame, toutes nos facultés, toutes nos dispositions et activités sont solidaires et agissent ou réagissent les unes sur les autres ; la sensibilité agit sur la pensée, la santé sur la volonté, mais il ne viendra pour cela à personne l’idée que la sensibilité soit la source de la pensée, ni la santé source de volonté : agir sur une faculté, n’est pas en produire les actes, ce n’est même pas toujours les déterminer, surtout quand la faculté étant indépendante et autonome, comme l’intelligence et la volonté, peut résister.

4° Sans doufe, les dispositions internes de l’âme ont une très grande influence sur la marche des convictions, et il y a longtemps que la philosophie traditionnelle a recommandé la purification du co>ur à ceux qui veulent arriver à connaître Dieu et le devoir, à aimer le Seigneur et la vertu. Mais la purification du cœur est une condition de succès, non l’organe de la recherche du vrai. Cet organe, c’est l’intelligence qui, jouissant de la paix grâce à la purification du cœur et à l’extinction des passions, peut alors contempler au dehors et au dedans l’œuvre de Dieu et s’élever de l’œuvre à l’artisan.

5° La notion des règles pour le discernement des esprits réfute elle-même la théorie de M. G. Tyrrell. Saint Ignace suppose — ce qui est du reste la vérité absolue

— que les esprits, c’est-à-dire Dieu ou le démon, agissent parfois en nous. Une dit pas qu’ils agissent toujours, ni surtout qu’ils suscitent en nous tous les mouvements. Il est certain, en effet, que Dieu peut, sans cause préalable, intervenir en nous et susciter dans chacune de nos puissances tel état ou tel acte qu’il lui plait, mais c’est le mode surnaturel et non pas le mode naturel d’activité de notre esprit et des lors on ne peut y voir notre « seul moyen d’arriver à la connaissance de Dieu. » Déplus, il y a d’antres modes surnaturels d’action des Dieu sur nous et d’illumination de notre foi, ce sont les modes objectifs de la révélation par le Christ et les prophètes et de l’enseignement extérieur de l’Église. Ces autres modes sont principaux et supérieurs, et notre devoir — saint Ignace le rappelle vigoureusement dans ses règles de foi orthodoxe — est de soumettre les modes immanents d’inspiration divine aux modes extérieurs et objectifs.

6° Enfin pourquoi le saint nous donne-t-il des règles pour discerner les esprits, sinon parce qu’il y a en dehors et au-dessus des « sentiments » et des pensées auxquelles ils donnent naissance quelque chose qui domine, qui contrôle et qui juge. Au lieu de poser une méthode d’immanence, saint Ignace dans ses règles pour le discernement des esprits affirme donc au contraire le transcendance de la méthode objective et son autorité de régulatrice sur les faits d’immanence qu’il reconnaît, mais qu’il entend rigoureusement contrôler ; d’ailleurs il suffit de lire les méditations des Exercices,

surtout la méditation fondamentale, pour constater que saint Ignace est loin d’être immanenliste.


IX. Selon les Arabes.

On peut trouver chez les mystiques arabes quelques traces du discernement des mouvements de l’âme. Soit inspiration chrétienne, soit effet naturel de la méditation et du travail de la raison, ils savent que l’homme est parfois victime d’illusions, d’autres fois le bénéficiaire de l’action bienfaisante de Dieu et ils indiquent les moyens de se préserver des illusions ou de reconnaître les divers degrés de l’inspiration divine. Consultons le « mémorial des saints », Tezhereh-i-eulid, traduit sur le ms. ouïgour de la Bibliothèque nationale, par Pavet de Courteille, Paris, 1889 ; il nous apprendra que « Bayézid Bestami était originaire de la ville de Bestam, dans le district de Koumès. Il se consacra à la vie ascétique en Syrie… Bevenu à Bestam, il n’est plus compris par ses compatriotes qui, à cinq reprises, le chassent de leur ville. Son tempérament semble ardent et hautain. Comme saint Antoine, il est tenté d’orgueil ; il croit être le premier docteur de son temps. Ayant scruté quarante ans les replis de son cœur, il s’aperçoit encore au bout de ce temps qu’il a une ceinture de paganisme autour des reins, c’est-à-dire qu’il a des penchants qui vont ailleurs qu’à Dieu. Il prétend avoir été nourri pendant quarante ans d’une nourriture surnaturelle. Il compte une quantité de degrés mystiques ; Dou’n-Noun en distinguait seulement trois : l’étonnement, la proximité de Dieu et l’union intime. Bestami parle de deux principaux degrés qui sont très élevés : la proximité et l’anéantissement ; il faut qu’il parvienne à la station de « l’anéantissement » pour trouver Dieu. > Baron Carra de Vaux, (lazali, c. vii, Paris, 1902, p. 182. Voilà certes un praticien du discernement des mouvements de l’âme, qui sait découvrir en lui-même « la ceinture de paganisme » et distinguer les degrés mystiques qui mènent à Dieu. En rapprochant cet ascétisme des doctrines étudiées plus haut chez les vieux anachorètes chrétiens, on voit que les Arabes usaient un peu des procédés de discernement qui lleurirent si surnaturellement parmi les moines de la Thébaïde et des autres solitudes religieuses.

Plusieurs théories mystiques arabes trahissent également une pratique assez développée du discernement des mouvements et états de l’âme. Signalons la théorie des « stations », celle de la « direction spirituelle » et celle des « retraites. »

L’Épilre de Kocheïri, Er-Itisùlelt el-Gocheïrïeh, ms. arabe 1330 de la Bibliothèque nationale de Paris, se sert d’une façon courante des mots tels que temps ou moments, états, lieux ou stations. « Les temps sont les moments que Dieu choisit pour toucher d’une façon particulièrement sensible une âme qui le cherche. .. Les lieux ou stations sont des états stables de l’àme dans lesquels elle séjourne au cours de son progrès mystique. C’est ce que sainte Thérèse appellera les châteaux de l’âme… Tandis que le lieu est fixe au moins pour quelque temps et est atteint par l’effort du mystique, Y étal proprement dit au contraire est transitoire et changeant et ne dépend que de Dieu : l’état est une disposition qui survient au ca-ur, sans travail conscient et sans acquisition ; la station est le prix du combat spirituel ; l’étal n’est pas une récompense, mais un don de la munificence de Dieu. » B. Carra de Vaux, ibid., p. 186. Il faut bien reconnaître que cette distinction entre temps, états et lieux ne peut procéder que du discernement des mouvemenls de l’âme ; et que pour distinguer entre ce qui est acquis par l’effort de l’homme et ce qui est donné par Dieu, il faut pratiquer le discernement des esprits.

Les épîtres des Erères de la pureté, Dieterici, Die Abhandlungen der Ichwân es-Safd, p. 612 sq., parlent des moines, de l’examen des novices et du choix d’un