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DISCERNEMENT DES ESPRITS


tions. Les prélats dans leur juridiction sont juges ordinaires aussi de la valeur des affirmations ou inspiralions surnaturelles. Les licencias et les docteurs en théologie ont, dans leur grade et dans leur science, un double titre, l’un authentique et l’autre doctrinal, pour se prononcer sur les questions de discernement qui peuvent leur être soumises. Si quelqu’un a la science sans le diplôme, il peut encore s’occuper de ces questions, mais à titre doctrinal seul. En outre, il y a des personnes qui n’ont pas étudié spécialement les divers genres d’esprits, ni les variétés de leurs manifestations, mais qui ont éprouvé leur action et sont arrivées par leur prudence naturelle, leur bon sens, et leur sagesse surnaturelle à pouvoir les reconnaître habituellement. Elles ont acquis ainsi une sorte de doigté qui leur tient lieu de science, et leur permet parfois de résoudre plus heureusement que les docteurs les difficultés du discernement. Enfin, à certaines personnes Dieu accorde le don gratuit ou charisme du discernement des esprits ; celles-là distinguent avec certitude et elles seules ont le privilège de l’infaillibilité dans un domaine où les nécessités de la foi et de sa liberté excluent la possibilité d’un art certain et de régies absolues du discernement. Mais il y a des Ames qui prétendent avoir reçu ce charisme singulier et qui trompent ou se trompent. D’où nécessité de recourir ici encore aux règles générales pour distinguer ceux qui ont reçu le charisme de ceux qui prétendent l’avoir et ne l’ont pas.

Outre les règles données ci-dessus et relatives à l’autorité du concile, du pape, des évêques ou supérieurs ecclésiastiques et des savants diplômés ou non, Gerson établit les suivantes qui concernent le caractère des idées professées, des intermédiaires employés, des auditeurs, ou du but poursuivi. Il importe donc, dit-il, de considérer la nature des idées émises. Le démon fait parfois de la théologie, theologizal aliquando dtrmon, témoin celui qui tentait Notre-Seigneur et invoquait devant lui l’autorité de la sainte Écriture. Scriptum est : Angelis suis mandavit de le. Ps. xc, 11. Il faut donc se rendre compte de sa théologie. Pour cela on rejettera toute théologie contraire à la sainte Écriture ; on se défiera de toute théologie insolite et dont le langage sort de la tradition des docteurs, p. Yd.

Il faut encore, dit Gerson, considérer la condition de celui qui, par sa parole ou par ses écrits, propage des j doctrines nouvelles ou des révélations. Il n’est pas sans intérêt de savoir s’il est instruit ou ignorant ; s’il est un vieillard ou un jeune homme ; s’il est de bonne vie et mœurs ou de mauvais renom ; s’il est doué d’un grand bon sens ordinaire ou habituellement inconsidéré ; enfin, si c’est un homme ou une femme, p. 14. — Il est aussi nécessaire de voir dans quel monde les idées, révélations et autres choses qu’il s’agit de juger, sont propagées et reçues. Car, adoptées par des hommes graves, difficiles et pondérés, elles en reçoivent une autorité qui leur fait défaut si elles ne sont admises que par des personnes inconsidérées ou flatteuses, p. 17, 40. Enfin, il est indispensable de se rendre compte du but poursuivi par les esprits dont on veut faire le discernement. Il est bien évident, en effet, que si leurs entreprises respirent la passion, le désir du lucre ou l’ambition, elles ne peuvent procéder de l’esprit surnaturel. Cette recherche du but doit être attentive, car il ne manque pas de personnes qui savent déguiser leur égoïsme ou leur cupidité sous les apparences du dévouement, p. 41.


VIII. D’après saint Ignace de Loyola.

On ne saurait, dans une étude comme celle-ci, se dispenser de mentionner et même de rapporter les règles du discernement des esprits données par saint Ignace dans son livre des Exercices. La grande fortune des Exercices a rendu ces règles classiques : une foule d’auteurs ascétiques, dans la Compagnie de Jésus et en dehors

d’elle, les ont commentées ou reproduites, en commentant le livre du saint et elles servent souvent aujourd’hui de base aux traités spéciaux sur la matière.

On connaît la distinction entre la voie purgative et la voie illuminative. La première fait l’objet de la première semaine des Exercices et parmi les Eclaircissements ajoutés aux méditations de cette semaine se trouvent quatorze « règles pour discerner les mouvements que les divers esprits excitent dans l’âme afin d’agréer les bons et de repousser les mauvais. » La seconde semaine a plus particulièrement trait à la vie illuminative et est terminée elle aussi par huit « autres règles pour mieux discerner les esprits. »

La première série commence par deux règles qui concernent les deux principales étapes de la vie pursalive. Dans cette vie, en effet, il y a des ùmes lourdes, embourbées, qui tombent souvent dans les fautes graves et ont peine à s’en détacher. A elles saint Ignace adresse la

Première règle. — Ceux qui tombent facilement dans des fautes mortelles et accumulent péchés sur péchés, sont ordinairement troublés par l’attrait des plaisirs sensuels et par diverses illusions. C’est le démon qui agit en eux de cette manière pour qu’ils demeurent dans le péché et s’y enfoncent de plus en plus. Au contraire, le bon esprit réveille en eux la conscience, excite des remords et leur inspire de sérieux motifs de fuir désormais le péché.

Il y a des âmes plus avancées et chez lesquelles les heures de grâce dominent et les ell’orts sont constants et habituellement heureux. Pour elles la

Seconde règle. — S’agit-il de ceux qui mettent tous leurs soins à corriger leurs défauts et à se purifier de leurs péchés, qui se dévouent de tout leur pouvoir au service de Dieu et font de jour en jour de nouveaux progrès, l’esprit malin les trouble par toutes sortes de scrupules, de tristesses, de désagréments, d’ennuis, de raisonnements faux, pour mettre obstacle à leur avancement. C’est au contraire le propre et la conduite ordinaire du bon esprit de fortifier l’âme de ceux qui s’adonnent à la pratique du bien, de les consoler, de leur faire verser des larmes de dévotion, d’éclairer leur àme, de leur donner la tranquillité, d’écarter tous les obstacles pour qu’ils soient plus aptes et plus ardents à s’élever toujours au moyen des bonnes œuvres.

La consolation ou la désolation spirituelle, voilà donc les deux grands signes sur lesquels s’appuiera l’auteur des Exercices. Une âme est-elle en consolation ? Dieu la travaille. Est-elle en désolation ? Le démon l’inspire ou cherche à l’inspirer. Dès lors, toutes les règles suivantes vont s’occuper de consolation et de désolation, , de conserver la première, de supprimer la seconde. Mais auparavant il faut indiquer les signes auxquels on les reconnaîtra, car il y a une fausse consolation et il y a une désolation, comme le repentir, qui est saine.

La troisième règle nous dit donc à quoi l’on reconnaîtra la véritable consolation spirituelle.

Troisième règle. — On reconnaît la véritable consolation spirituelle, celle qui n’est mêlée d’aucune illusion, à ce caractère que l’àme est embrasée d’amour pour son créateur et qu’elle ne peut aimer aucune créature sinon à cause de lui. Quelquefois l’ardeur île rei amour est encore excitée par de douces larmes que fait verser la méditation de la passion de Jésus-Christ, la douleur des péchés commis, ou toute autre cause se rapportant directetinni à la gloire de Dieu el à son culte. Knfin, toul progrès dans la foi, l’espérance et la charité, toute joie spirituelle qui donne à l’âme un saint attrait pour la méditation des choses du ciel, le soin du salut, le repos et la paix dans le Seigneur, peut aussi recevoir le nom de consolation.

Par contre, la quatrième règle nous enseigne quels sont les caractères de la vraie et donc malsaine désolation spirituelle.

Quatrième règle. — Pans la désolation spirituelle au contraire l’Ame est remplie de trouble et plongée dans les ténèbres ; elle ressent de l’inclination pour ce qui est bas et terrestre ; elle est en proie à L’Inquiétude, à l’agitation, aux tentations de défiance et de