Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 4.2.djvu/584

Cette page n’a pas encore été corrigée

2135

EMMANUEL

2436

texte et l’incertitude d’une véritable tradition exégétique à son sujet ne permettent pas d’y retrouver, comme dans Michée, un commentaire autorisé d’isaïe. Cf. Condamin, Le texte de Jèrémie, x.wi, 22, est-il messianique ? dans la Revue biblique, 1897, p. 396104. Le verset 15 est, pour ceux qui le suppriment, une glose ajoutée pour donner au passage un sens messianique.

A ces raisons de voir dans Emmanuel le Messie s’ajoutent toutes celles qui font de V’almdh la Viergemére. Cf. Mangenot, art.’Alniàh, dans o Dictionnaire de la Bible, t. i, col. 390-397.

On a beaucoup discuté sur l’étymologic du mot. Saint Jérôme et tous les anciens commentateurs font dériver’almdh de la racine hébraïque’âlani, qui signifie : cacher, soustraire aux regards, d’où le sens de vierge cachée, loin du commerce des hommes dans l’intégrité la plus absolue. Gesenius et à sa suite la plupart des modernes, avec quelques réserves toutefois, adoptent une autre étymologie :’almâli dériverait d’une racine arabe’alimah, signifiant être nubile. Mais c’est surtout à l’emploi du nom dans la Bible qu’il faut demander le véritable sens, car bien souvent le sens étymologique ne conserve plus qu’un rapport très éloigné avec le sens dérivé. D’une étude attentive de six autres pas^i^cs de l’Ancien Testament, où’almâli est employé, il ressort que le mot signifie une jeune femme non mariée, sûrement dans Gen., xxiv, 43, et Exod., Il, 8, liés probablement dans Cant., i, 3 ; vi, 8, et probablement dans Ps. lxvui, 26. Dans Prov., xxx, 19, le sens reste incertain. La conclusion de saint Jérôme est donc encore vraie : « Autant que je puis m’en souvenir, je ne crois jamais avoir trouvé aima dans le sens de femme mariée, mais toujours dans le sens de vierge, cl de vierge encore jeune, dans les années de l’adolescence. » P. L., t. xxiv, col. 108. Le prophète a ainsi choisi une expression qui traduit mieux l’idée de jeune fille vierge que na’ardh, jeune personne mariée, Ruth, ii, 5 ; iv, 12, ou non mariée, III Reg., i, 2 ; I >U>., ii, 3, et que belûlàh, vierge jeune ou vieille. Cf. J. Calés, Le sens d’Almah en hébreu, d’après les données sémitiques et bibliques, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1910, p. 161-168 ; S. Perret, La prophétie d’Emmanuel, dans la Revue pratique d’apologétique, du 15 octobre 1910, p. 84-86.

Les traducteurs d’isaïe, dans la version des Septante, l’ont ainsi compris, et le mot de-apOivoç, employé à cet endroit, exprime, d’après l’usage qu’ils en font, l’idée de vierge au sens strict ; belûllo’de la version syriaque se dit également d’une vierge. Saint Matthieu, après le récit de la conception virginale de Jésus, rappelle le célèbre passage, selon le texte des Septante, et la formule de citation ne favorise pas l’idée d’un sens accommodatice ou figuré, mais bien celle d’un sens propre cl littéral dans la pensée de celui qui fait la citation. Avec le premier Évangile la tradition chrétienne a reconnu la vierge, mère du Messie, dans V’almdh d’isaïe. Cf. la liste des témoignages dressée par le P. Tailhan dans VAnalysis biblica de Kilber, Paris, 1856, t. i, p. 354.

Le prophète aurait-il dû, pour plus de clarté, dire que celle qui enfanterait resterait vierge dans la conception et l’enfantement ? Cf. Corluy. « S’il était question d’une jeune fille répond le P. Condamin, loc.cit., p. 69, vivant alors et connue de tous, le prophète, en la désignant pourrait dire, in sensu diviso : Cette Vierge enfantera, c’est-à-dire cette jeune fille, vierge jusqu’à présent et connue de vous comme telle, deviendra mère comme toutes les mères. Mais il s’agit d’une femme qui n’apparait qu’aux regards du prophète, et dont il n’est question que pour le moment’"i.Ile enfante le Messie. Si elle devait devenir mère □ les lois ordinaires, toute sa grandeur consiste rait à être mère du Messie ; dès lors pourquoi la désigner d’après l’état de virginité qui a précédé, auquel personne ne pense, et qui n’a point d’importance ? »

Le sens messianique ainsi établi, il reste à montrer comment il s’accorde avec le contexte. La difficulté est la suivante : l’envoyé de Dieu annonce la ruine prochaine de Juda (selon la traduction adoptée plus haut) ; l’enfant qui va naître ne saura pas encore rejeter le mal et choisir le bien que déjà ce sera chose faite ; or, cet enfant n’est autre que le Messie, Jésus-Christ, et plus de sept cents ans s’écouleront encore avant qu’il n’apparaisse en ce monde. N’y a-t-il pas là incompatibilité absolue entre l’interprétation messianique et le contexte ?

A cette difficulté, plusieurs solutions ont été proposées. Les uns croient l’écarter, en rapportant la dévastation dont il est question à l’état de la Palestine sous la domination romaine (Knabenbauer). Rien dans le texte ne laisse entendre qu’il s’agisse d’une époque aussi éloignée ; tout au contraire. Cf. Condamin, loc. cit., p. 70.

D’autres retrouvent, dans le sujet duꝟ. 16, le fils qu’Isaïe a emmené avec lui, Sear-lasoub (Un-restereviendra). Le prophète, après avoir parlé d’Emmanuel, dirait en désignant son enfant : « Avant qu’il ne sache… » ꝟ. 16 (Drach). Cette exégèse ne tient pas compte du lien qui existe entre leꝟ. 15 et leꝟ. 16, qui est l’explication du précédent. Il ne s’agit pas davantage dans ceꝟ. 16 de l’enfant en général. G. Sanchez.

La plupart des commentateurs catholiques recourent à l’anticipation prophétique, avec des nuances dans son interprétation. « Souvent Iiicu révélait à la fois aux prophètes divers événements, qui devaient s’accomplir à des époques diverses ; il les leur montrait néanmoins sur un même plan, quelle que dût en être la date : les plus rapprochés et les plus éloignés étaient confondus ensemble, comme la ruine de Jérusalem et la fin du monde dans saint Matthieu, xxiv. » F. Vigouroux. Manuel biblique, t. H, n.899. C’est grâce à ce mode de vision qu’Isaïe associe l’Emmanuel et sa mère à l’histoire actuelle de Juda. C’est comme s’il disait : « Avant qu’il se soit écoulé le temps qu’il faudrait à Emmanuel, s’il naissait de nos jours, pour sortir de l’enfance, Israël et la Syrie seraient désolés. » Fillion, Vigouroux.

Van Hoonacker montre, en outre, pourquoi la personne du Messie est ici mêlée à la menace de l’invasion assyrienne : c’est que le prophète « se représente les puissances ennemies qu’Emmanuel devra combattre, sous le type des armées assyriennes, qui vont envahir le pays. Le triomphe sur les nations doit être inauguré par la victoire finale sur les conquérants assyriens qui vont envahir le pays, et comme le mal de la part de l’Assyrie est sur le point d’être suscité, Isaïe est naturellement amené à présenter l’intervention d’Emmanuel comme se préparant de son côté. » La prophétie relative à la naissance d’Emmanuel, dans la Revue biblique, 1904, p. 226.

Le P. Lagrange ne voit pas dans le cas d’Emmanuel une difficulté spéciale, une fois leꝟ. 16 écarté, chose facile à faire après avoir constaté « son allure louche et son caractère de doublet de iivi 4°. « Ce sont tous les prophètes qui ont envisage le salut comme prochain, parce qu’il termine pour eux l’horizon, et que entre leur temps et le salut, l’histoire à venir n’esl qu’un espace vide dont il ne leur est pas donné de mesurer la durée… Si l’on prend l’ensemble de la prophétie de l’Emmanuel, on reconnaîtra que sa perspective est extrêmement vague. Le prophète écoute ses pressentiments intimes, plutôt qu’il ne révèle le cours de l’histoire. La description des malheurs attendus se prolonge en termes obscurs et presque incompréhensibles, et, en définitive, la naissance de l’enfant divin,