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DISCERNEMENT DES ESPRITS


les traditions dos anciens, car « celui qui cherchant â s’instruire, commence par discuter, n’arrivera jamais à la vérité. L’ennemi voyant qu’il se fie plus à son propre jugement qu’à celui des Pères le poussera sans peine à trouver superflues et préjudiciables les choses les plus utiles et les plus salutaires ; il flattera son esprit propre de telle manière que, en s’ohstinant dans ses pensées déraisonnables, il ne jugera saint que ce qui lui semblera personnellement juste et droit. » Nunf /uani rationem verilatis inlrabit quisquis a discussione cœperlt erudiri, quia vldens cum inimicus suo potins quant palrum judicio confulentem, facile in id usque propellit, ut cliam Ma quæ maxime utilia atque saluberrima sunt, superflua ci videantur et noxia. Atque ita prassumptioni ejus callidus hostis Hindi t, ut irrationabilibus definUionibus suis pertinaciter inhserendo, hoc solummodo sibi sanctum esse persuadent, quod rectum atque justissimum suse tantum obslinationis errore censuerit. Signalons encore quelques pages de saint Nil, où nous sont données les caractéristiques de l’esprit de Dieu et de l’esprit du démon ; les premières sont la paix et la joie ; les secondes, la paresse et la tristesse, Tr. ad Eulogium monachum, c. vi, vii, P. G., t. lxxix, col. 1061-109’t, 1102-1103, et de saint Jean Climaque qui voit dans l’humilité, le signe de la présence de l’esprit de Dieu et de son action dans une âme. Scala paradisi, grad. xxv, P. G., t. lxxxviii, col. 987 sq. Cette idée de l’humilité signe de l’esprit divin, et de l’orgueil signe de l’esprit du mal, jointe à l’image de l’échelle du paradis suggérée aux auteurs sacrés par la vision de Jacob, a inspiré à Alard Gazet l’idée de construire une double échelle, celle de l’humilité d’après les préceptes de saint Benoît et celle de l’orgueil d’après la doctrine de saint Bernard. Dans l’une comme dans l’autre, il y a douze degrés qui sont autant de moyens de discernement. On en trouvera le dessin et l’explication dans P. L., t. xlix, col. 1329-1332.

Les théories que nous venons de citer prouvent que les Pères du désert possédaient les règles et l’habitude du discernement acquis. De nombreux faits attestent que, bien souvent, les plus saints d’entre eux reçurent de Dieu la faveur du discernement infus.

Le disciple de saint Antoine, « Paul le Simple, avait le privilège de voir ce qui se passait au fond des cœurs. Il lui suffisait de considérer attentivement le visage d’un moine au moment où il entrait à l’église pour savoir si ses pensées étaient bonnes ou mauvaises. » Dorn.T. M. Besse, Les moines d’Orient antérieurs au concile de Chalcédoine, c. xxiii, Paris, 1901, p. 516. Aussi découvrit-il un jour une crise salutaire qui s’était passée pendant un office dans l’âme d’un religieux. Il l’avait vu entrer dans le lieu saint entouré de démons qui le tiraillaient et l’entrainaient par un anneau qu’ils lui avaient passé au nez, tandis que tous les autres frères avaient un ange pour compagnon. Au sortir de l’oflice, il revit ce frère, mais cette fois blanc et joyeux, accompagné de son ange et suivi de loin par les démons penauds et confus. Il apprit que ce religieux avait, pendant l’exercice pieux, été touché de la grâce et s’étant repenti avait demandé à Dieu dans un élan de contrition parfaite le pardon des fautes graves dont sa conscience était souillée. Verba seniorum, CL xvii, P. L., t. lxxiii, col. 795, 796. « Saint Pakhôme pouvait, lui aussi, connaître les pensées les plus intimes. Il s’est maintes fois servi de cette lumière pour convertir de pauvres pécheurs. Son disciple Théodore avait la même perspicacité, quand il s’agissait de deviner les fautes commises dans le secret. Aminon, Epistola ad Theophilum, v, Acta sanctorum, t. m maii, p. 319. Jean de Lycopolis avait, également, le don de lire au fond des cœurs. Pallade en donne quelques exemples frappants. Historia lausiaca, xi.til,

P. G., t. xxxiv, col. 1112 sq. En voici un qui est rapporté par Bufin. Dieu lui faisait connaître la vie des religieux qui habitaient les solitudes du voisinage. Quand il avait reçu quelque lumière de ce genre, il écrivait à leurs supérieurs pour leur donner des avis en conséquence. Parfois les moines en recevaient de sa part qui étaient fort sages. Hisl. mon., xv, P.L., t. xxi, col. 434-435. Saint Hilarion qui avait appris surnaturellement la mort de saint Antoine, devinait le vice auquel un homme était soumis d’après l’odeur qui s’exhalait de ses vêtements ou des objets qu’il avait touchés. S. Jérôme, Vita sancti Hilarionis, xviii, xix, Acta sanctorum, t. xi octobris, p. 52. Au dire de Bufin, Évagre possédait le don du discernement des esprits â un degré tel que personne dans la région ne passait pour l’égaler. Ce privilège était accompagné d’une science peu commune des choses spirituelles. Bufin, Hist. mon., xxvii, P. L., t. xxi, col. 449. » Dom Besse, op. cit., p. 517-518. Nous ne prétendons pas que tous les faits de discernement infus attribués aux Pères du désert sont exacts, mais il faut reconnaître devant la multiplicité de ces faits, qu’un certain nombre au moins sont réels et que le don a certainement existé dans ce milieu privilégié.

On comprend maintenant ce qui est rapporté par Cassien sur une décision donnée par saint Antoine et adoptée unanimement par les Pères d’Egypte. Béunis en conférence, ils cherchaient â quelle vertu il importait d’attribuer la première place. Après qu’ils eurent tous donné leur avis, comme ils avaient émis des opinions fort diverses et parfois contradictoires, saint Antoine se leva et dit que, parmi toutes les vertus, il faut accorder la prééminence à la discrétion, laquelle est la mère, la gardienne et la régulatrice de toutes les autres. Elle conduit en toute sécurité les âmes à Dieu, les fait monter aux sommets les plus élevés de la perfection. Quand elle fait défaut, plusieurs, malgré de constants efforts, n’atteignent pas les sommets. Sans elle, il est impossible à la vertu non seulement d’être parfaite, mais même d’exister…. Declaratur nullam sine discretionis gratia perfecle posse vel perfici vel stare virtutem. Et ita tam beali Anlonii quam universorum sententia definitum est discrelioneni esse quæ fixo gradu intrepidwn monachum perducat ad Deum, prsedictasque virtutes jngiter conservet illsesas, cum qua ad consummationis excelsa fastigia minore posait faligalionc conscendi, et sine qua multi eliam propensius laborantes, perfectionis nequiverint culmen attingere. Omnium namque virtutum generatvix, custos moderatrixque discrelio est. Coll., ii, de discretione, c. iv, P. L., t. xlix, col. 528. Cf. Scaramelli, Le discernement des esprits, trad. Brassevin, Introduction, Paris, 1893, p. 3-4.

IV. Selon saint Thomas d’Aquin. — Nous citerons trois portions des œuvres de saint Thomas d’Aquin où se trouvent les principes directeurs établis par lui pour la solution de la question qui nous occupe. — I" Signalons d’abord les articles de la Somme théologique où il demande si le démon peut être, dans le pécheur, cause de péché. Le saint docteur, tout en sauvegardant les droits et l’indépendance de la liberté humaine que le démon ne peut directement lléchir, ni immédiatement déterminer, reconnaît cependant que, soit par la proposition extérieure des objets mauvais, soit par les suggestions internes, le démon peut nous incliner au mal ou nous solliciter â pécher. Son action est très étendue, ainsi qu’en témoigne saint Augustin quand il nous le montre « s’attachant â toutes les formes sensibles pour pénétrer, â leur faveur, dans tous nos sens, s’incarnant dans les figures, s’accrochant aux couleurs, chevauchant avec les sons, se mêlant aux parfums. » Serpit hoc inalum, scilicet quod est diabolus, per omnes aditus sensibiles, dat se /iguris, accommodât