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ÉMINENCE (MÉTHODE D’)


mot bon appliqué à Dieu est : ce que nous appelons bonté dans les créatures préexiste en Dieu selon un mode plus élevé. Dieu est, de toute éternité, tel qu’il convient d’être à celui qui est la source de la bonté. Cf. S. Tbomas, Sum. theol., I «, q. xni, a. 2. « Tout nom qui impliquera une perfection sans inclure aucun mode sera applicable indifféremment à Dieu et à la créature… Au contraire, tout nom qui impliquera l’imperfection du mode créé ne sera applicable à Dieu que par métaphore… Et linalement tout nom qui portera dans sa signilication même l’indication du mode transcendant qui convient à Dieu jouera à son égard le rôle de nom propre, telles les expressions : souverain bien, premier être, cause suprême, etc. » Sertillanges, loc. cit., p. 22. Bien que tous les noms divins désignent la même réalité, l’unité divine riche d’une multiplicité virtuelle, et que la sagesse soit en Dieu la même chose que la bonté, ils ne sont point synonymes, puisqu’ils ne signifient Dieu qu’à travers nos pensées et que nos pensées reflètent directement les perfections multiples et diverses émanées de lui. S. Thomas, ibid., q. x, a. 4.

Enfin, ces noms, formés pour désigner les choses créées et employés ensuite par extension analogique pour désigner Dieu, conviennent d’abord à lui, si on les considère objectivement, dans la réalité qu’ils signifient : ils sont en ce qui le concerne d’une parfaite et transcendante justesse au point que l’on pourrait s’exprimer ainsi : Dieu seul est, Dieu seul est bon ; les choses finies ne possédant qu’un être d’emprunt ne méritent pas qu’on leur donne le nom d’être, de bon, qui appartient excellemment à Dieu, source profonde de la bonté et de l’être. S. Thomas, ibiil., q. x, a. 6.

2. Termes négatifs.

Si l’on considère les noms de perfections, même les meilleures, dans leur valeur humaine de définition, ils ne sont point applicables à Dieu ; dès lors, de ce point de vue, tous les termes affirmatifs deviennent inexacts et fautifs : devant tous, on peut mettre le signe de la négation pour signifier qu’il n’y a en Dieu ni essence, ni qualité, ni perfection finie, mais l’océan de l’Etre. Ainsi, on pourra dire : Dieu est non bon, etc. ; non pas pour lui refuser de la perfection, mais pour dire qu’il n’a pas la bonté telle que nous la concevons, ou telle que la possèdent les êtres contingents. Dans ce sens, Avicenne et Maimonide peuvent affirmer la valeur négative des noms divins, sans nier pourtant la plénitude divine, fondement de leur valeur positive. S. Thomas, In IV Sent., 1. I, dist. II, q. 1, a. 3. On ne pousse point d’ordinaire le souci de la correction jusqu’à mettre le signe de la négation devant tous les termes qui désignent Dieu : mais depuis longtemps on parle de lui à l’aide de noms négatifs, tels que incorporel, invisible, simple, éternel, immense, infini, incompréhensible, mettable, etc. Par ces termes on marque mieux ce qui le distingue foncièrement de toute créature, réelle ou possible.

3. Termes suréminents.

En nous appuyant sur les relations de la créature à Dieu, nous pouvons désigner le mode de suréminence divine par des termes, mieux faits que les précédents pour le traduire : ce sont des termes, tels que cause première, souverain bien, tout-puissant, très-haut, etc. ; des superlatifs absolus : altissimus, beatissimus, le seul sage, le seul bon ; des mots spéciaux formés en vue d’exprimer la transcendance divine : vttîso-Jtiqç, suressentiel, airoàya60ç, essentiellement bon, àpyrjY’t’/iDTeoo ; , sur-principal. De ces trois séries de noms, les deux premières nous paraissent encore faire de Dieu le premier d’un genre, d’un ordre, sans le placer en dehors et audessus de toute catégorie, la troisième, employée surtout par le pseudo-Denys, exprime seule proprement

avec précision l’éminence divine. En qualifiant Dieu du nom de supersage, superbon, etc., nous faisons entendre explicitement que nous pouvons parler en quelque manière de la cause première à l’aide du langage créé sans prétendre la définir. « Il (le pseudoDenys) dit : Dieu est transbon ou superbon, ce qui nie et affirme à la fois la bonté telle qu’elle est contenue dans nos termes empruntant à ceux-ci l’indication positive qu’ils fournissent relativement à la perfection pleine qui est en Dieu, et niant la détermination anthropomorphiqiie qu’en se posant dans leur forme propre, ils prétendraient poser. » Sertillanges, loc. cit., p. 58. Cf. S. Thomas, Qtiœst. clisp., De potentia, loc. cit.

Conclusion. — Ce que nous avons dit de l’éminence divine s’entend non seulement de la connaissance naturelle de Dieu, mais encore de la connaissance de foi : ces deux connaissances peuvent différer par le mode d’acquisition et par la certitude qu’elles engendrent, elles sont d’égale valeur représentative en ce sens que les notions révélées comme les concepts de la théodicée dépendent des données de l’expérience sensible. Nous ne connaissons, en effet, les secrets de la vie divine qu’à travers nos catégories et nos con, cepts, nous ne les exprimons que dans nos mots humains. Si nouvelle que soit l’idée révélée, elle s’exprimera nécessairement en fonction des connaissances, des images, des sentiments de la personne qui reçoit la révélation. C’est une nécessité de nature. « Nous ne pouvons connaître le divin que par l’analogie de nos expériences. » Dictionnaire apologétique de d’Alès, t. i, col. 1136. Notre connaissance surnaturelle ne pourra donc s’étendre dans son mode d’expression que jusque-là où le sensible pourra la conduire. L’essence divine restera pour nous mystérieuse en son fond, transcendante aux concepts révélés ; la méthode d’éminence s’imposera donc au théologien dans l’interprétation des dogmes. Cf. S. Thomas, In Boetium, De Trinitate, q. vi, a. 3.

Appliquons cette méthode à la notion de filiation divine. Nous devons affirmer de Jésus qu’il est Fils par rapport au Père, puisque la révélation divine nous dit que le mystère des relations de sa personne avec Dieu, dans la mesure où il peut être traduit en concepts humains, est rendu avec vérité par cette notion ; mais nous ne pouvons oublier que cette notion est tirée du créé, du contingent, du fini, que la transporter en Dieu selon qu’elle est réalisée en l’homme, ce serait tailler Dieu à la mesure de nos conceptions, l’anthropomorphiser ; il faut donc nier de Dieu la filiation telle qu’elle est réalisée dans l’humanité. Il reste que nous posions dans le mystère de l’éminence divine, au-dessus de notre concept, la relation que nous voulions signifier analogiquement parle mot de filiation. Le dogme m’apprend quelque chose, puisque je sais que dans la filiation humaine il y a une pâle image de la relation qui existe dans la réalité divine ; il est pourtant mystérieux, puisque cette réalité m’échappe toujours en elle-même, et ne m’est accessible qu’indirectement en fonction de la perfection, du concept et du mot de filiation : l’un des termes de l’analogie demeure dans le mystère, l’autre seul m’est connu directement : « Une fois en possession humaine du sens dans lequel l’Église définit son dogme, ne croyons pas en avoir l’intelligence définitivement vraie, si nous ne plaçons dans le mystère la réalité divine qui le fonde. » Gardeil, Le donné révélé, p. 144 sq. Ce principe lumineux s’applique à tous les concepts révélés, même à ceux qui paraissent les moins mystérieux : tous sont infiniment au-dessous de la réalité divine. On le voit, le problème de la valeur des notions et des formules dogmatiques est intimement lié à une juste notion de l’éminence divine.

Grâce à cette juste notion, nous concevons facilement