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ÉMINENCE (METHODE D" !


formée de la réalité divine ; on ne doit point s’étonner, par exemple, de voir la théologie de la spiritualité divine se développer en fonction de la notion psychologique d’esprit : à une expérience morale plus grande, plus avancée, correspond naturellement une plus haute idée de la justice, de la sainteté de Dieu ; à une notion plus précise de l’esprit, de la liberté, correspond une idée plus nette de la spiritualité et de la liberté divines.

L’éminencc de l’être divin, en fondant la légitimité’de la méthode d’attribution, explique, par le fait même, l’évolution et le progrès de la théologie affirmative.

2. Méthode de négation.

Exclusive, la méthode d’affirmation serait insuffisante, fautive, incohérente : nos concepts, en effet, subjectivement considérés, ne représentent que des objets limités et circonscrits et par suite ils vont mal à la réalité infinie. Dès lors, il faut nier de Dieu toutes les perfections créées, même les plus transcendantes : celle d’être, par exemple, dans le sens où elles sont affirmées de nous. La méthode négative s’étend aussi loin que la méthode affirmative.

Saint Thomas, Quæst. disp., De potentiel, q. VII, a. 5, ad 2° iii, précise la portée de cette méthode. « Quand on déclare qu’on peut nier avec vérité tout ce qu’on a coutume d’affirmer de Dieu, il ne s’ensuit pas que ces affirmations soient fausses, mais seulement qu’elles soient insuffisantes, et comme incohérentes (incompactas). En effet, quant à la chose qu’on veut signifier, elles sont vraies, puisqu’en Dieu, comme il a été dit, les qualités qu’on lui attribue existent d’une certaine manière ; mais la façon dont on signifie cette chose vraie est fautive, car chacun des noms employés signifie une certaine qualité définie, et de cette manière-là, rien ne peut être attribué à Dieu. C’est pourquoi les propositions dont on parle peuvent être absolument niées, parce qu’elles ne conviennent pas telles qu’elles sont affirmées. Elles sont affirmées telles qu’elles sont dans notre intelligence ; elles ne conviennent à Dieu que d’une fæon plus sublime. »

Il ne suffit donc point de nier les bornes des perfections créées, les limites de nos concepts, pour pouvoir ensuite appliquer à Dieu de piano ces perfections idéalisées et ces concepts épurés ; il faut nier de Dieu tous nos concepts dans chacune de leur partie, en ce sens qu’aucun ne peut représenter d’une façon positive et directe le mode de suréminence divine : « La seule façon en notre pouvoir de connoter ce mode est négative comme lorsque nous disons : Dieu est éternel pour dire qu’il n’est pas dans le temps, ou il est infini pour dire qu’il n’est pas limité, ou il est immense pour dire qu’il n’est pas dans l’espace. » Sertillanges, loc. cit., p.’M. Cf. S. Thomas, Cont. génies, 1. I, c. xxx.

La négation ainsi comprise n’est pas agnostique ; elle n’implique point le néant, elle n’indique point une privation, elle exclut de Dieu le fini ; fondée sur la richesse de la cause première, la méthode négative implique un aveu de la transcendance divine et appelle logiquement la méthode d’éminence comme complément.

3. Méthode d’éminence.

Le philosophe, conscient de l’infirmité et de l’impertinence de nos concepts lorsqu’il s’agit de définir l’être divin, après avoir nié de Dieu les perfections créées telles que nous les concevons et telles que les possèdent les créatures, affirme en lui l’existence de quelque chose de positif qui y correspond en infiniment mieux. « Parce que lasagesse n’est pas niée de Dieu dans la pensée de lui refuser quelquechose, à savoir la perfection même qui correspond à ce mot sage, mais seulement parce que la sagesse est en lui selon un mode supérieur à ce que nous pouvons dire ou penser, à cause de cela il faut dire : Dieu est supersage. » S.Thomas, Quæst. disput., De potentia, loc. cit. Refuser à Dieu nos perfections

créées dans la limite de leur essence pour les iui reconnaître dans la plénitude de son être, le placer au-dessus de nos catégories comme au-dessus des essences, c’est employer la méthode d’éminence.

Parce dernier procédé, le philosophe évite l’anthropomorphisme en plaçant Dieu au-dessus de nos concepts les plus épurés, de notre idéal le plus beau, de nos définitions les plus logiques ; il n’est point agnostique, puisqu’il a conscience de connaître dans son expérience personnelle et dans ses concepts humains une image infiniment imparfaite, mais inévitablement représentative de l’être divin ; il est pourtant sans témérité, puisque, tout en prétendant atteindre en quelque façon l’Infini dans le fini, il laisse l’être premier dans l’indéterminé, il ne prétend point le définir. Konenim de Deo capere possumus quid est, sed quid non est, et qualiter alla se habeanl ad ipsum. Si l’on compare les trois procédés qui nous mènent à Dieu à la lumière de la doctrine d’éminence, on verra qu’ils sont d’une valeur inégale. Le premier est moins parfait : en appliquant à Dieu de piano des concepts humains, il semble le tailler à la mesure de notre humanité. Les négations offrent une plus sublime idée que les affirmations, elles font disparaître les bornes, les limites, les définitions que posent les affirmations ; elles distinguent Dieu de toute créature réelle ou possible. La voie d’éminence enfin mène l’homme aussi loin qu’il peut aller ; par elle, il s’établit dans l’infini. Albert le Grand marque bien la place du procédé dans la dialectique qui conduit à Dieu : «.le dis : Dieu est une essence, mais tout de suite et avec plus de force, je le nie en disant : Dieu n’est pas une essence, puisqu’il n’est pas de ces choses qui se définissent pour nous par genre et différence. Et après cela, de cette opposition j’infère : Dieu est une essence au-dessus de toute essence et procédant ainsi mon intelligence* s’établit dans l’infini et s’y noie, stat in infinité et diffunditur in illo. » Sum. theologim, 1. II, q. xiii, m. i, solutio.

Aucun procédé ne met mieux en relief la transcendance de Dieu : par lui, nous avons la plus haute connaissance du divin. Hsec est sunima cognitio quam de ipso in statu via : liabere possumus, ut cognoscamus Deuni esse supra omne id quod cogitamus de eo. S. Thomas, Quæst. disp., De verilate, q. ii, a. 1, ad 9’"". C’est pourquoi saint Thomas fait sienne la phrase du pseudo-Denys : Deo non conjungimur nisi quasi ignoto, dans ce commentaire : Secundum lioc dicimur m fine cognilionis Deum tanquani ignoturn cognoscere, quia lune maxime mens in Dei cognilionc perfectissime invenitur quando cognoscitur ejus essentiam esse supra omne id quod apprehenderc potest in slalu hujus vise et sic quamvis maneat ignolum quid est, scitur tamen quia est. In Boel., De Trinilate, q. I, a. 2, ad l « m.’à » Langage. — De la doctrine et de la méthode d’éminence découlent des conclusions relatives aux noms divins. Les mots sont l’image, les signes de nos pensées ; on peut même dire qu’ils trahissent notre intelligence comme notre intelligence elle-même est audessous de la réalité : c’est dire que l’érninence divine paraîtra plus ou moins grande selon que l’on considérera Dieu par rapport aux choses qui le représentent, aux concepts qui l’expriment, ou aux mots qui le désignent. A la lumière de ce principe, il est facile d’étudier la valeur des termes aflirmatifs, négatifs, suréminents.

1. Termes affirmati fs.

Us peuvent désigner imparfaitement la substance divine. Ce ne sont point seulement des noms de rôle. Dieu est bon ne veut pas seulement dire : il est source de bonté et agit à notre égard à la façon d’un homme qui possède cette vertu. Ils n’ont point seulement un sens négatif : Dieu n’est point mauvais ; ils ont une valeur positive ; le sens du