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ÉMINENCE (METHODE D'

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ni intuition consciencielle, ni intuition intellectuelle, voir Dieu (Connaisscuice naturelle de) ; nous pouvons expérimenter l’attrait, l’affinité que nous avons pour la doctrine et la vie religieuse, la satisfaction que trouvent nos fonctions supérieures dans cette vie, en expérimentant ces sentiments, nous ne faisons que nous expérimenter nous-mêmes, Dieu ne descend point au rang des objets directs de notre connaissance, sa réalité demeure étrangère à notre conscience psychologique. « Ce n’est pas Dieu que nous connaissons, comme nous connaissons John et Richard, mais des vérités sur Dieu, naturelles et révélées. » Baudin, La philosophie de la foi chez Newman, p. 52.

Si l’idée de Dieu n’est point une donnée immédiate de notre conscience, ni une conception abstraite directement de l’expérience sensible comme la notion d’homme, il reste qu’elle soit construite à l’aide de matériaux tirés pourtant de ces expériences et que nous atteignions l’inlini dans le tini, c’est-à-dire le champ de notre conscience, en usant des concepts et des mots qui désignent les perfections créées. Or, la réalité divine déborde infiniment ces concepts. En effet, nos concepts les plus spirituels, même supposés adéquats à l’intime réalité des choses, ne peuvent atteindre Dieu que dans la mesure et selon le mode où les créatures le représentent. Mais nous savons que les êtres créés, loin d'épuiser en eux la virtualité divine et de représenter la cause première d’une façon adéquate, à la façon d’une réalité de même espèce ou de même genre, ne la représentent que d’une façon déficiente comme un effet quelconque représente le principe transcendant d’où il sort. Il s’ensuit que nos concepts et nos catégories humaines appliqués à Dieu restent infiniment au-dessous de la réalité. Ils perdent à l'égard du divin leur valeur de définition, tout en gardant une valeur positive.

Soit, par exemple, le concept de sagesse, tiré de la réalité la plus élevée que nous connaissions directement : l’homme. Appliqué à l’homme, il définit en lui une qualité distincte de son essence, de sa puissance et de son être ; il décrit et enveloppe dans son contour la chose qu’il signifie ; appliqué à Dieu, il perd, au contraire, toute valeur de définition, relinquit rem significatam, ut incompre.hensam et excedentem nominis significationem. Vndepatetquod nonsecandum eamdem ralionem, hoc uomen sapiens de Deo et de homine dicitur. S. Thomas, Sum. theol., I a, q. xiii, a.l, adô u " En effet, la notion de sagesse n’est point applicable à l’homme et à Dieu avec une seule différence de degré, de telle sorte qu’elle désignerait une première ébauche, un de^ré moindre lorsqu’il s’agit de l’homme, et qu’il suffirait de mettre le coefficient maximum devant les différents éléments de cette notion pour enserrer ensuite dans le concept ainsi obtenu l'être et la perfection divine.

Puisque Dieu est transcendant à toute espèce et à tout genre, que la définition se fait par genre et différence, la définition de la sagesse humaine ne s’appliquera point à Dieu. Cont. gent., . I, c. xxv ; Opusc, I, Compendium theologise, c. xxxv. Entre la sagesse humaine et la sagesse divine, il y a un hiatus infini ; de l’une à l’autre il faut faire un saut dans le transcendant, l’inlini, l’indéfinissable pour s’orienter vers le terme que voudrait atteindre notre esprit.

Ce terme, perfection incréée, aspect de 1 Etre divin correspondant à la sagesse créée, peut rester obscur, « enveloppé des brumes de l’infini, » sans pour cela être absolument inconnaissable. Le concept de sagesse garde une valeur positive même lorsqu’il s’agit de Dieu, car, en raison même de l'éminence de l'être divin, il y a, en lui, un aspect qui correspond en infiniment mieux à la sagesse créée et qui par le fait même peut être exprimé par le même concept. Dans les deux cas, le concept garde son objectivité, mais l’objectivité n’est

point la même : appliqué à l’homme, mon concept se termine à une perfection directement connue en moi ; dans le second cas, grâce à cette perfection connue en moi, je sais la direction de >oisée suivant laquelle je dois m’attacher à concevoir la perfection divine correspondante, sans pourtant prétendre voir le terme où elle aboutit. Cf. Dictionnaire apologétique de d’Alès, ait. Dogme, t. i, col. 1135 : « J’en conclus que toute perfection connue en moi m’indique non le terme de la perfection divine correspondante, mais la direction dépensée suivant laquelle je dois m’attacher à la concevoir : Dieu est cela en infiniment mieux. » On peut appeler éminence logique cette propriété de l'Être divin qui le place, à raison de son caractère de cause première, au-dessus de tout genre, de toute catégorie, le rend, par le fait même, directement inaccessible à notre intelligence, tout en le laissant connaissable cependant par le moyen des êtres créés qui gardent avec lui une certaine proportion.

De cette doctrine de l'éminence, on peutdéduire une dialectique complète pour s'élever à Dieu.

Méthode.

La plénitude de l'Être divin, son caractère de source éminente par rapport à toutes les perfections créées légitime la triple méthode d’affirmation, de négation, d'éminence.

1. Méthode d’affirmation ou d’attribution.

Il est légitime d’user des concepts des perfections créées pour qualifier l’Infini, puisqu’on Dieu se retrouvent éminemment ces perfections. On peut dire, parexemple : Dieu est un rocher-, Dieu est vivant. Il est évident que certaines perfections sont plus propres que d’autres à représenter Dieu : celles dont leconceptrenfermeforrnellement une imperfection, telle que la notion de pierre, ne peuvent être attribuées à Dieu que métaphoriquement ; celles, au contraire, dont le concept n’implique aucune imperfection, lui conviennent proprement. S. Thomas, Sum. theol., [ », q. xiii, a. 3, ad 2um. Il est nécessaire, pour avoir une notion aussi complète que possible de Dieu, de multiplier les points de départ de la théodicée. La plénitude de la perfection divine ne peut être atteinte que dans la multiplicité des perfections créées. S. Thomas, In l V Sent., 1. I, disl. Il q, i. a. 3. De là, nécessairement, la variété et la multiplicité possible des théologies affirmatives ; de là, en fait, leur évolution en largeur et en profondeur en fonction des connaissances naturelles et psychologiques des philosophes qui les construisent. Plus nombreuses seront les perfections connues, plus adéquate sera à l’intime des choses la connaissance humaine, plus haute et plus complète devra être normalement l’idée de Dieu.

Il est tout naturel enfin que l’on construise la théodicée surtout à l’aide de nos expériences psychologiques, individuelles et sociales, et que l’on attribue plus spécialement à Dieu nos perfections humaines : ce sont les perfections que nous connaissons le mieux, ce sont celles qui nous touchent de plus près, ce sont surtout les plus élevées, les plus spirituelles, celles qui laissent mieux place à la transcendance, et par là sont les plus capables de caractériser la simplicité de l’acte pur. Ainsi les notions de vie, de connaissance, d’esprit, d’intelligence, de volonté, de liberté, de personnalité, de pureté, de sainteté, etc., sont tout indiquées pour fournir les points de départ les plus solides de la théodicée. En raison de la proportion de notre être avec l'être de Dieu, il se trouve que ces notions, en désignant ce qu’il y a déplus intime en nous, caractérisent en Dieu l’aspect de son être éiuinent, qu’il nous importe le plus de connaître : ce qu’il est pour nous. On comprend que le progrès de la théodicée ait été, de fait, lié au progrès des expériences morales et psychologiques, et que les Pères aient cherché dans l'âme pure et élevée le plus beau rellet, l’image la moins dé-