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EMBRYOTOMIE

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se sont élevées contre les procédés cruels de l’embryotomie. Au Congrès international de gynécologie, tenu à Amsterdam en 1899, on émit le vœu que 'embryotomie, exercée sur un enfant vivant, ne lut considérée que comme une opération absolument exceptionnelle, et destinée à disparaître le plus tôt possible du catalogue des opérations obstétricales. Cf. Comptes rendus, p. Ci’JS. Plusieurs membres de ce même Congrès, professeurs de médecine dans de grandes universités, affirmèrent que le chirurgien accoucheur se doit également aux êtres dont il prend soin. Par suite, il n’a pas le droit de choisir entre la vie de l’enfant et celle de la mère, ou de juger du prix respectif de ces existences, d’après leur plus ou moins d’utilité sociale au moment actuel ; mais la pratique do l’embryotomie devait être totalement délaissée. Cf. Comptes vernies. p. 668, 722 sq.

Ces déclarations, néanmoins, ne plurent pas également à tous les congressistes. Un certain nombre continuèrent à soutenir que, pour sauver la mère, il ne fallait reculer devant aucun moyen, serait-ce l’immolation de l’enfant vivant, si c'était nécessaire. La raison invoquée élait toujours la même : la vie de la mère est bien plus précieuse que celle de l’enfant, el, entre deux maux, il faut choisir le moindre. Cf. Comptes rendus, p. 661, 752.

IV. Moralité.

1° Entre deux maux physiques, ou naturels, c’est vrai, il faut choisir le moindre, quand on est libre de choisir. Mais de cet axiome il ne s’ensuit pas qu’on puisse soi-même faire un mal moral, pour obtenir un bien physique. Si deux personnes se noient, et que l’on n’en puisse sauver qu’une, on peut, de préférence, porter secours à l’une plulôt qu'à l’autre, et laisser celle-ci se noyer, dans l’impossibilité où l’on se trouve d’empêcher cet accident. Mais on ne peut volontairement et directement noyer l’une pour sauver l’autre. L’embryotomie ne consiste pas à porter secours à la mère de préférence à l’enfant qu’on laisserait périr, parce qu’on ne pourrait l’empêcher ; mais elle consiste, pour délivrer la mère, à tuer positivement l’enfant, qui, non seulement est viable, mais très probablement est parfaitement conformé, et apte à vivre de longues années. C’est donc le meurtre d’un innocent, meurtre calculé, prémédité, voulu. Or, cela n’est jamais permis : Insontem et juslum non occides. Exod., xxiii, 7.

La raison sur laquelle s’appuient les partisans de l’embryotomie, pour la justifier, c’est la nécessité dans laquelle on se trouve, trop souvent, d’en venir à cette extrémité, pour sauver la mère. C’est dans l’intérêt de celle-ci, pour l’utilité de celle-ci. — Mais n’est-ce pas bouleverser toute notion du juste et de l’injuste, que de confondre ainsi l’utilité, ou l’intérêt, avec le droit ? La moralité d’une action ne saurait se mesurer à son degré d’utilité dans l’ordre des biens temporels, comme si la fin justifiait les moyens. Chez tous les peuples civilisés, l’intérêt et le droit sont deux choses absolument distinctes. Les individus qui, pour ligne de conduite, prennent uniquement leur propre intérêt, sont généralement honnis et délestés. On les appelle des égoïstes. Ce mot suffit pour indiquer aux yeux de tous combien ils sont méprisables.

L’utilité n’est donc pas une base du droit. Elle ne saurait, à elle seule, légitimer une action. Qu’on supprime l’idée de justice, pour ne plus voir que l’utilité, et les droits du faible seront toujours et partout sacrifiés aux intérêts du fort. Ce sera, en tout, l’application du sauvage axiome : la force prime le droit. Il en résultera non seulement le meurtre d’un fœtus animé devenu un danger pour la vie de la mère, mais encore la destruction des enfants trop nombreux dans une famille, comme aussi celle des malades incurables, des idiots, des vieillards, des impotents, qui ne sont

plus d’aucune utililé pour les familles ou pour la société, et qui constituent, au contraire, pour elles, une charge, parfois bien lourde. Toutes ces atrocités découleraient logiquement de la première. C’est le code et la morale des nalions barbares.

Si l’embryotomie est licite, on ne voit pas, en effet, pourquoi il ne serait pas permis de se débarrasser de tout individu dont l’existence devient une gêne, ou un danger. En cas d'épidémie, par exemple, il serait permis, et même recommandé, dans l’intérêt général, de tuer aussitôt tous ceux qui en seraient atteints : varioleux, cholériques, pestiférés, etc., parce que leur existence serait la cause prochaine et incontestable de la mort d’une foule d’autres qui, sans eux, n’auraient pas contracté le mal qui les conduirait au trépas.

2° En outre, le principe étant admis qu’on peut tuer un enfant pour sauver sa mère, on verrait bientôt se multiplier les cas, où des sacrifices de ce genre seraient exigés. Pourquoi, par exemple, l’avortement et l’infanticide ne seraient-ils pas permis, toutes les fois qu’il faut sauvegarder non seulement la vie, mais l’honneur d’une femme ? L’honneur, pour une femme, n’est-il pas infiniment plus précieux que la vie ? Une femme aura eu un moment d’oubli, de faiblesse, ou d'égarement, faudra-t-il alors qu’elle soit déshonorée toute sa vie durant, et même par de la le tombeau ? Faudrat-il que sa honte rejaillisse sur les siens, et sur toute une famille jusque-là sans tache ? Faudra-t-il qu’elle s’expose au ressentiment, ou aux fureurs de son mari, à sa vengeance et à ses mauvais traitements ?

Comment un médecin qui pratique, sans remords, l’embryotomie, ne se persuaderait-il pas que l’honneur d’une femme et la paix des familles sont de beaucoup préférables à la vie d’un être à peine conçu, dont l’existence est incertaine dans le présent comme dans l’avenir, et qui ne viendra au monde que souillé d’une tache indélébile, transmissible même à ses enfants, s’il en a ? Quel scrupule empêcherait donc ce médecin de provoquer un avortement aboutissant à un infanticide, quand il s’agit de faire disparaître la preuve d’une faute commise, avant que cette preuve ne devienne évidente ?

Dira-ton que les lois civiles défendent et punissent l’avortement et l’infanticide, tandis qu’elles permettent ou tolèrent l’embryotomie ? Mais pourquoi cette différence, puisqu’il est faux que la fin justilie les moyens ?

3° Une des raisons invoquées pour légitimer la pratique de l’embryotomie, c’est qu’il est permis toujours de se défendre contre un injuste agresseur. Or, l’enfant peut être considéré comme tel, quand il met en danger l’existence de sa mère, car il n’a aucunement le droit de causer la mort de celle-ci. Ce serait donc pour elle un cas de légitime défense. Elle pourrait donc, soit par elle-même, soit par le médecin, ou le chirurgien, auquel elle confie ce soin, tuer celui qui attente à sa vie.

Qui ne voit, par une simple réflexion, que ce prétendu raisonnement n’est qu’un hideux sophisme ? En aucune façon l’enfant, à sa naissance, ne saurait être considéré comme un injuste agresseur. Quoique sa présence dans le sein de sa mère soit un obstacle à la conservation de la vie de celle-ci, on ne peut, sans injustice, lui donner la mort, en lui perçant le crâne, ou en coupant tout son corps en morceaux.

L’injuste agresseur est celui qui cause du tort au prochain par une action qu’il n’a aucun droit de faire. Un être qui n’agit pas personnellement, mais qui est purement passif, ne saurait être assimilé à un agresseur. L’enfant n’est pour rien dans sa conception. Si, ensuite, il n’est pas un corps totalement inerte ; si même, dans le sein maternel, il jouit d’une certaine activité ; s’il se développe, c’est par suite d’un acte qu’il n’a pas lui-même posé. En se développant, sort-il des