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DISCERNEMENT DES ESPRITS

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venus dans le monde. C’est le moyen de discernement. En voici maintenant le devoir : « Vous reconnaîtrez à ceci l’esprit de Dieu : Tout esprit qui confesse Jésus-Christ venu en chair est de Dieu ; et tout esprit qui ne confesse pas ce Jésus n’est pas de Dieu ; c’est celui de l’Antéchrist, dont on vous a annoncé la venue. » I Joa., iv, 1-3. Saint Paul veut que l’on reconnaisse les esprits à leurs fruits et donne des règles morales de discernement ; saint Jean les dislingue par la profession de la foi et nous donne un critère dochival.

L’art du discernement des esprits est acquis ou infus. Ce que la sainte Ecriture nous en a révélé jusqu’ici concerne surtout le discernement acquis. Il est intéressant de lire la première Épitre aux Corinthiens où saint Paul parle des charismes de l’Esprit-Saint et range parmi eux le don infus de la discrelio spirituum. « Il y a diversité de dons, écrit l’apôtre, mais c’est le même Esprit. En effet, à l’un est donnée par l’Esprit une parole de sagesse, à l’autre une parole de connaissance selon le même Esprit ; à un autre la foi, par le même Esprit ; à un aulre le don des guérisons, par ce seul et même Esprit ; à un autre la puissance d’opérer des miracles ; à un autre la prophétie ; à un autre le discernement des esprits ; à un autre la diversité des langues ; à un autre le don de les interpréter. Mais c’est le seul et même Esprit qui produit tous ces dons, les distribuant à chacun en particulier, comme il lui plaît. » I Cor., xii, 4-11.

Le discernement des esprits appartient donc à l’organisme des charismes. On sait que ceux-ci étaient des dons surnaturels gratuits, accordés par Dieu, non pas toujours à la sainteté, mais comme il lui plaisait, à ceux qui pouvaient, aidés de ces dons, concourir à l’utilité commune. En effet, « à chacun la manifestation de l’Esprit est donnée pour l’utilité commune. » I Cor., xii, 7. Les charismes servaient à l’action du Saint-Esprit dans l’Eglise et n’étaient autres que des facultés spéciales données à certains fidèles de produire diverses opérations extraordinaires, comme la glossolalie et la prophétie. Le prophète Joël les avait annoncés, il, 28 sq. ; cf. Act., il, 16 sq. ; le Christ les avait promis, Marc, xvi, 17 sq. ; cf. Matth., x, 1, 8 ; Marc, ni, 15 ; VI, 7, 13 ; Luc, îx, 1, 6 ; Joa., xiv, 12 ; ils avaient apparu dans les apôtres, une première fois, à Jérusalem, le jour de la Pentecôte, comme preuve de la venue de l’Esprit-Saint. Act., ii, 4-13. Il en est souvent question aux premiers temps de l’Église, soit dans les Actes, x, 44-46 ; xix, 6 ; cf. viii, 18 ; soit sous la plume de saint Pierre, I Pet., iv, 10 ; soit surtout sous celle de saint Paul. Piom., XII, 6-8 ; I Cor., xii-xiv ; Cal., iii, 5 ; Eph., IV, 7-12.

Le discernement des esprits rejoint la prophétie à peu prés comme le don d’interprétation rejoint la glossolalie. Ceux qui avaient le don des langues ne pouvaient édifier les auditeurs, ni concourir à l’utilité spirituelle commune que si des chrétiens favorisés du don d’interprétation venaient traduire leur langage et en communiquer le sens aux fidèles. Pareillement, la prophétie avait, non pas toujours, comme la glossolalie, mais souvent, besoin d’être complétée, soit chez le prophète lui-même, soit chez un autre, par le don du discernement des esprits. Prophétie autem duo aut très dicant, et ceteri DIJVpiCENT, écrit saint Paul. I Cor., xiv, 29. Les prophètes parlaient sous l’inspiration divine, commentant la révélation pour l’enseignement de tous, exhortant à la vertu, s’élevant contre les vices, parfois découvrant les secrets des cœurs ou levant les voiles de l’avenir, afin de prouver la vérité et le caractère divin de leurs enseignements ou de leurs exhortations. Mais il pouvait arriver que l’un ou l’autre mêlât aux paroles inspirées par l’Esprit, des choses tirées de son propre fonds et entachées d’erreurs. Comment des lors démêler le divin et l’humain, re connaître ce qui était d’inspiration divine ? En autorisant plusieurs prophètes, deux ou trois à parler dans une même réunion, saint Paul donnait un premier mojen de contrôle, puisque les points de rencontre des divers discours pouvaient être considérés comme d’inspiration divine, mais Dieu, dans ces temps d’ignorance humaine et d’interventions surnaturelles extraordinaires, avait voulu, par le don infus de discernement, fournir à ses fidèles un organe sur qui permit de distinguer les vrais prophètes des pseudoprophètes. Cf. Ifagen, Lexicon biblicum, v° Charisma, Paris, 1905, t. i, col. 834 sq. ; Cornely, Comment in I Cor., xiv, Paris, 1890, p. 441 sq. ; pseudo-Clément, EpisU, i, De virg., xi, 10, Eunk, Patres apostolici, t. il, p. 11.

III. Chez les Pères.

Nous ne pouvons citer ici tous les textes des saints Pères se rapportant à l’un ou à l’autre des signes de l’Esprit de Dieu, de l’esprit de l’homme ou de l’esprit mauvais. Ce serait œuvre interminable et sans grand profit doclrinal. La grande synthèse, telle qu’elle se lit par exemple dans l’ouvrage de Scaramelli, n’est pas encore constituée, mais les éléments apparaissent successivement, soit dans les conseils moraux, ascétiques et mystiques inspirés aux saints Pères par leur expérience religieuse et adressés aux fidèles, particulièrement à ceux qui se destinent à une vie plus parfaile et sont les précurseurs des anachorètes ou des ascètes, soit dans l’explication des passages de la sainte Écriture où sont énumérés les dons du Saint-Esprit ou bien où sont décrites les tentations suggérées par le démon aux âmes et au Sauveur lui-même. Surles dons du Saint-Esprit, accordés aux fidèles et manifestant en eux l’action surnaturelle, voir saint Jean Chrysostome, In Ps. xliy, n. 2, P. G., t. lv, col. 186 ; S. Cyrille d’Alexandrie, In Js., xi, 2, P. G., t. i.xx, col. 314 ; S. Jérôme, In ls., xi, 2, P. L., t. xxiv, col. 144 sq. ; S. Ambroise, In Ps. cxviii, serin, iii, n. 21, P. L., t. xv, col. 1230 ; cf. De sacram., 1. III, c. ii, n. 8, P. L., t. xvi, col. 43L Voir Dons dv Saint-Esprit. Sur les signes de l’inspiration des démons, les saints Pères font observer que Satan profite souvent des premiers mouvements mauvais suscités en nous par notre nature pécheresse. Il laisse ces mouvements s’opérer en nous et par nous et il trouve en eux une excuse à nous tenter et à nous pousser plus avant dans une voie que nous avons nous-mêmes choisie et en même temps un moyen de dissimuler son influence, nous croyons continuer par nous-mêmes ce que nous avons commencé seuls. Cf. Origène, De princip., III, c. ii, n. 4, P. G., t. xi, col. 508 ; S. Basile, lnterr. in reg. brer., lxxv, P. G., t. xxxi, col. 1134 ; S. Jean Chrysostome, Homil, liv, in Act., n. 3, P. G., t. i.x, col. 377 ; De eccl. dogm., dans les Œuvres de saint Augustin, c. xi.ix (i.xxxu), P. L., t. xlii, col. 1221 ; cf. S. Thomas, Sum. theol., I a II", q. i.xxx, a. 4 ; Ach. Gagliardi, Commentarii scu explanationes in Exercitia spirilualia S. P. Jgnatiide Loyola, ni et iv hebdomada, c. I, § 1, Bruges, 1882, p. 110. L’action des démons sur nous se trahit surtout par l’orgueil qu’il met dans ses suggestions et qu’il introduit dans nos intentions. Cf. S. Augustin, De civitate Dei, 1. XIV, c. xiii, /’. L., t. xli, col. 120 ; S. Grégoire, Moral., 1. IV, c. ix, /’. L., t. LXXV, col. 644 ; S. Rernard, De gradibus humilitatis et superbise, P. L., t. clxxxii, col. 958.

Dès que la vie cénobifique ou érémilique se fut un peu développée, le problème du discernement des esprits se posa et s’imposa avec une force telle, que les principaux instituteurs des moines durent l’examiner et en donner des solutions théoriques et pratiques conservées dans l’histoire du monachisme. Nous en trouvons les premiers linéaments dans les œuvres de Cassien, de saint Nil et de saint Jean Climaque. Au rapport de Cassien, on demandait à l’abbé Daniel comment